Des couverts au cas par cas en arboriculture

Sur leurs exploitations respectives, trois arboriculteurs témoignent de leurs possibles recours aux couverts végétaux et de leurs alternatives. Les objectifs sont souvent les mêmes : pouvoir augmenter la vie du sol, optimiser l’irrigation et la fertilisation dans une approche de durabilité et de qualité.

Luzerne, trèfle, vesce et gesce sont semés entre les arbres fruitiers chez Pascal Clavier.

© Pascal Clavier

Le déclic « agroécologie » a eu lieu en 2008 pour Pascal Clavier, arboriculteur du Berry, lorsqu’il rencontre deux agronomes de la société Symbiose Energie, et aborde l’enjeu des sols vivants. « L’objectif était de faire évoluer le verger vers davantage de résilience, en augmentant la fertilité des sols », précise-t-il.

Parmi ses pratiques : préparations fermentescibles à base de thés de compost, activateurs de vie du sol, mais aussi changements des couverts. Il renforce ses connaissances grâce aux groupes d’échanges portés par les agronomes Konrad Schreiber et Alain Canet, et bénéficie d’avancées sur d’autres filières autour des semis sous couverts notamment.

« Dans mes vergers, je semais un simple mélange de graminées, dans une approche purement technique, pour la portance des sols. Désormais, j’intègre de nombreuses légumineuses pour gagner en autonomie sur la fertilisation, et je ne les broie qu’en fin de cycle, pour bénéficier davantage de l’effet mulch. Je fais aussi mes propres composts en milieu forestier, à base de différents fumiers, paille et bois raméal, avec un effet comparatif meilleur qu’un activateur de vie du sol du commerce », précise le producteur installé sur une cinquantaine d’hectares de pommes et poires à Saint-Georges-sur-Moulon, dont une quinzaine d’hectares en bio depuis 2001.

Attelage semoir/rouleau pour l’implantation de couverts dans les vergers.

© Pascal Clavier

Limiter l’érosion

Des enherbements semés entre les rangs, et du sorgho cultivé entre deux plantations. Aux Vergers de Bayol, Mickaël Mazenod a adopté les couverts végétaux depuis quelques années. Producteur de pommes, poires, cerises et coings en HVE sur 30 ha de SAU, à 10 km de Saint-Étienne, ses sols en pente ont des profondeurs de quelques centimètres à plus d’un mètre. « Suite à d’importants orages dans les années 1970 ayant entraîné de la terre jusque dans la maison d’habitation en contrebas, mes parents et grands-parents ont arrêté le travail du sol, pour maintenir des enherbements naturels ou semés. »

Installé sur 90 ha de vergers à Saint-Martin-de-Crau, aux portes d’Arles, Patrice Vulpian, vice-président de la Fédération nationale des producteurs de fruits, ne produit pas des engrais verts sur son exploitation, mais a trouvé une alternative.

« Nos sols sont très peu profonds avec de nombreux cailloux, et un socle de tuf – agglomération de cailloux créant une roche très dure – situé entre 40 et 70 cm de profondeur seulement. Nous cultivons donc nos fruitiers sur buttes, avec, sur chacune, deux ou trois rangées de goutte-à-goutte », explique le producteur de pêches, nectarines et abricots.

Retenir l’eau

Pour favoriser la rétention d’eau et développer la vie du sol, le producteur de la Crau apporte des déchets verts de taille 0-6 cm, faiblement compostés, fournis gratuitement par les collectivités avoisinantes. Plusieurs centaines de tonnes lui sont ainsi livrées chaque année.

« Ces apports, réalisés en 1re ou 2e feuille sur 10 cm d’épaisseur entre les rangs, lorsque l’épandeur peut encore passer entre les arbres, offrent les bénéfices d’un engrais vert, avec la constitution d’un mulch qui retient l’eau ! Le but est d’assouplir la terre entre les rangs plantés à 6 m, avec un apport de compost sur 3-4 m. »

Sur son sol peu profond, l’arboriculteur ne voit pas l’intérêt de semer des engrais verts. « Les premières années, les enherbements concurrenceraient trop les arbres, et les suivantes, leur entretien serait compliqué. Nous gérons ainsi le désherbage chimiquement sur les buttes, et nous passons uniquement le broyeur entre les rangs pour les bois de taille. Aucun travail mécanique du sol ne peut être pratiqué, en raison de sa structure avec la présence de gros cailloux. »

Aujourd'hui, Pascal Clavier a choisi de simplifier ses pratiques. « Je suis passé par des étapes parfois trop pointues de préparation de sol et de semis à diverses profondeurs des couverts. Maintenant, je gratte avec la herse étrille, je sème un mélange de légumineuses vivaces comme la luzerne et les trèfles, ainsi que des annuelles comme la vesce et la gesce, et je renouvelle les semis entre les rangs tous les deux ou trois ans. J’ai aussi arrêté le rouleau faca, dont les résultats ne me satisfaisaient pas, je préfère du broyage grossier deux fois par an pour abaisser le couvert. J’accepte également dans mon système certaines adventices, comme les orties ou le rumex, qui ont aussi leurs intérêts. C’est une approche nouvelle, dont l’intérêt est de gérer des cultures horizontales avec les couverts, et des cultures verticales avec les arbres, avec de vraies symbioses au niveau de la rhizosphère. »

Des semis adaptés aux conditions

Pour des semis d’enherbement à l’automne, Mickaël Mazenod opte pour un mélange « fortement poussant » à base de ray-grass anglais, blé, fétuque et trèfle. Objectif : obtenir une bonne couverture hivernale.

Avec la pratique de ses couverts, notamment de légumineuses, les apports d’azote sont réduits à 40 UN/ha chez Mickaël Mazenod.  

© Mickaël Mazenod

Au printemps, pour obtenir des enherbements moins concurrentiels, il retire les ray-grass et le blé du mélange. « À force de pratiquer les couverts, nous observons une implantation naturelle des trèfles blancs, qui se ressèment, indique Mickaël Mazenod. Nous avons aussi fait évoluer notre gestion des couverts, en limitant le broyage à seulement deux, voire trois passages par an. Un gain de carburant, de temps, et un mulch assurant une couverture du sol. Aussi, l’herbe montée à graines consomme moins d’eau et se couche naturellement, puis repousse bien moins vite que lorsqu’elle est coupée et concurrence moins les arbres. Pour les jeunes vergers, nous broyons davantage tout de même. »

La ligne de plantation est encore désherbée chimiquement avec un herbicide de contact pour bénéficier là aussi d’un mulch, bien que l’arboriculteur espère opter pour des robots de tonte (Wall-Ye).

Ajustement de la fertilisation

Avec la pratique de ses couverts, notamment de légumineuses, les apports d’azote sont réduits à 40 UN/ha chez Mickaël Mazenod. « C’est aussi à mettre en perspective de nos rendements au maximum de 30 à 40 t/ha en pommes », précise-t-il. Point noir des enherbements : la prolifération de campagnols, qui détruisent les arbres.

« Nous avons peut-être 1 ha détruit par les rats sur l’ensemble des 17 ha de vergers ! chiffre l’arboriculteur. La seule solution, c’est le travail mécanique du sol entre les cultures, et, dans nos conditions, la pelleteuse est nécessaire pour reformer les escaliers dans les pentes. On évite d’ailleurs la luzerne en couvert, avec des racines qui sont favorables aux rats, ou des jachères fleuries, dont les graines les attirent aussi. »

En fertilisation, l’arboriculteur berrichon n’a, de son côté, pas diminué ses apports d’azote, entre 60 et 90 unités d’azote par an. « Être en sol vivant ne veut pas dire “moins mais mieux” d’azote ! Nos sols froids en début de printemps ne permettent pas de démarrer une minéralisation, d’où l’intérêt d’apporter de l’azote pour relancer la machine, notamment la pousse des couverts. Mon but premier est de rendre une terre en aussi bon état, voire meilleur, que lorsque je les ai reprises il y a quarante ans, et les couverts ont cet objectif, avant de chercher à réduire les doses d’azote ! »

Pratiquant une fertilisation minérale par goutte-à-goutte, Patrice Vulpian s’interroge sur sa modulation suite aux apports de compost. Des mesures sont d’ailleurs en cours d’étude par la chambre d’agriculture des Bouches-du-Rhône, et la société VertCarbone.

Ne pouvant pas semer des couverts dans ses vergers, Patrice Vulpian utilise des composts entre ses arbres.

© Patrice Vulpian

Depuis huit ans, entre deux plantations, du sorgho du Soudan est implanté en mai, puis broyé en novembre chez Mickaël Mazenod. Le sol est ensuite travaillé, en attendant la mise en place des jeunes arbres au printemps suivant. « Cela apporte un volume important de matière organique grâce aux tiges de 3 m et le travail du sol détruit les galeries des campagnols. L’implantation coûte moins cher qu’une luzerne. »

Depuis huit ans, entre deux plantations, du sorgho du Soudan est implanté en mai, puis broyé en novembre chez Mickaël Mazenod.

© Mickaël Mazenod

Impact sur la qualité des fruits

Pour Pascal Clavier, si un impact des nouvelles pratiques est visible, c’est sur la qualité de ses fruits. « C’était l’objectif, de réussir à revenir à une typicité de terroirs, alors que mon début de carrière a entraîné une homogénéisation de la production et du goût. Aujourd’hui, grâce à la vente directe, je reçois des retours très positifs sur la qualité des fruits, plus goûtus. »

La pratique des couverts n’est pour autant pas sans désavantage. « Certaines variétés de pommes, par manque de stress, gagnent moins en coloration… Pour les ravageurs comme la punaise diabolique, avoir des couverts hauts est peut-être aussi un désavantage. J’aimerais que la recherche se penche davantage sur ces aspects de vie du sol et de couverts végétaux, pour mieux quantifier les impacts, et que la profession ose s’orienter sur des approches nouvelles, qui participent d’une évolution nécessaire de l’agriculture », termine-t-il.

Les MVA en alternative aux couverts ?

« Nous avons plusieurs études en cours sur l’apport de matières végétales affinées (MVA), notamment auprès d’arboriculteurs de la Crau, en partenariat avec l’Inrae d’Avignon », indique Éric Navarro, agronome et président de VertCarbone. Employées fraîches ou compostées, ces matières sont issues de déchets verts préalablement collectés par les collectivités, dépollués et tamisés (maille de 50 mm). Leur emploi en agriculture peut « laisser espérer un ajustement de la quantité d’arrosage et de fertilisation », nuance l’expert, préférant attendre les résultats complets des études pour tirer des conclusions. « Certains arboriculteurs apportant des MVA depuis une dizaine d’années, plutôt en paillage, ont vu des bénéfices sur leurs arbres, grâce à davantage de matières organiques dans les sols, une flore intégrant beaucoup de trèfles, et de l’eau mieux retenue. Mais nous devons poursuivre les suivis, pour pouvoir mieux conseiller les types d’apports de MVA selon les objectifs des producteurs. »