Gérer l’enherbement du verger grâce aux lapins

Porté par Davi Savietto, zootechnicien à l’Inrae de Toulouse, et Stéphanie Drusch, agronome à l’Inrae de Gotheron, le projet exploratoire Lapoesie (le lapin, le pommier et les bénéfices écosystémiques interspécifiques) a pour ambition de démontrer la faisabilité et la plus-value de l’association arboriculture/élevage en introduisant des lapins dans les vergers de pommiers, en agriculture biologique.

Les lapins ont consommé en moyenne et quotidiennement 43 g de matières sèches.

© Davi Savietto

Le lapin ne serait-il pas un ravageur dans les vergers ? Même si l’écopâturage se développe, même en arboriculture, les lapins, pourtant herbivores, ne sont pas les premiers animaux envisagés dans un verger. Le lapin est un animal de petite taille, qui n’atteint pas les branches et les fruits de l’arbre et il ne tasse pas le sol.

C’est tout le défi du projet Lapoesie : démontrer qu’introduire ce petit mammifère, considéré comme un ravageur, de façon contrôlée dans un verger de pommiers peut apporter des bénéfices non négligeables aux arbres et aux animaux.

Des prototypes pour raffiner l'association

Lapoesie est un projet transdisciplinaire, financé par l’Inrae (méta-programme Metabio) à hauteur de 50.000 €, qui s’est déroulé sur deux ans (2020/2022). Son objectif est d’observer l’association arboriculture et élevage de lapins en verger de pommiers, en agriculture biologique.

Côté verger, les ingénieurs ont évalué tous les bénéfices et contraintes que pouvait apporter ce type d’élevage dans le verger (désherbage, fertilité, dégâts de lapin, attraction de prédateurs ou maladie…).

« Nous avons souhaité mettre en avant l’élevage de lapins. C’est un herbivore très efficace pour le désherbage et, au contraire des moutons, les lapins sont très résistants à l’ingestion de cuivre (jusqu’à 50 fois leurs besoins nutritionnels journaliers). Une résistance qui permet de continuer d’utiliser le cuivre dans la protection des cultures en agriculture biologique, même si, lors des traitements, les animaux sont retirés du verger et un délai de rentrée doit être respecté », précisent Davi Savietto et Stéphanie Drusch.

L’élevage des lapins est controversé (respect au bien-être des animaux, dépendance aux antibiotiques et impact environnemental). La création d’un système de logement avec accès au plein air, une densité animale réduite, un milieu de vie riche permettant l’expression des comportements naturels de l’espèce, ainsi que le service de « recyclage » des ressources non valorisées (herbe, fruits déclassés, feuilles, branches…) font de cette association « un système de production d’aliments et de services plus en accord avec les attentes de la société », poursuivent-ils.

Une coconstruction avec les arboriculteurs

Avec un projet si novateur, l’équipe s’est lancée dans un terrain inconnu. « Nous devions concevoir un système d’élevage polyvalent, facile à gérer et adapté aux contraintes du verger », ajoute Davi Savietto. Pour mettre au point un système inédit, l’unité expérimentale de Gotheron a mis à disposition un verger de pommiers en fin de vie, cultivé en 2005.

Ainsi, les potentiels dégâts que les lapins porteraient aux arbres n’impacteraient pas la survie des cultures. « Le plus grand défi était de trouver le bon logement pour le lapin, indique-t-il. À Toulouse, puis à Gotheron, nous avons fait des prototypes. Une cage mobile de 3 m2 pour 12 lapins qu’il fallait déplacer sur l’interrang tous les jours, ou un parc fixe sur le rang, de 25 m2 pour 12 lapins, avec un système de clôture à ganivelles », continue-t-il.

Fin décembre 2021, l’équipe Lapoesie a organisé un atelier de coconstruction avec arboriculteurs et éleveurs de lapins. « Les professionnels ont jugé le parc fixe comme plus intéressant pour gérer l’enherbement sur le rang. C’est la zone où il y a plus de défis sur cette problématique, sans mentionner le côté “ravageur” du lapin », explique Stéphanie Drusch.

Sur une semaine, les 12 jeunes lapins (de 45 jours) avaient mis le sol à nu. Pour offrir un accès constant à l’herbe aux lapins, le parc fixe s’est rapidement transformé en parc mobile (déplacement hebdomadaire). Cependant, le système de clôture choisi dans ce prototype a dû être modifié, car le temps de travail pour le déplacement du parc était jugé trop long et contraignant, les ganivelles étant lourdes et inadaptées au palissage du verger.

À l’issue de l’atelier, un nouveau prototype de parc, constitué de panneaux de grillage rigide et plus ergonome, a été testé et validé.

24 parc et 144 lapereaux

Enfin, pour finaliser l’expérience, un essai avec 24 parcs et 144 lapereaux a été réalisé à l’automne 2022. Durant cinq semaines, 24 parcs de 18 m2 (12 dans le verger et 12 dans une prairie cultivée) ont accueilli six lapins chacun. Chaque parc était disposé à 1,25 m de part et d’autre du rang. Une série de mesures a été réalisée : croissance, état sanitaire, bien-être pour les lapins ou bien fertilité du sol, nettoyage du rang et dégâts au tronc pour les arbres.

Si l’automne est la période la plus propice pour la cohabitation : absence de traitements sur le verger, fin de récolte, moins de travail prévu sur les arbres et abondance de ressources pour les lapins (herbe, fruits, feuilles, bois de taille…), l’expérience réalisée démontre que cela est aussi possible au printemps, si le projet est bien réfléchi.

L’un des points importants est la protection des troncs, une obligation pour la réussite de l’association. « Nous avons opté pour des manchons en plastique. Cela dit, ces derniers sont plutôt optimisés pour les jeunes vergers. Ils étaient trop bas et il a fallu trouver une astuce pour protéger tout le tronc », rappelle Stéphanie Drusch.

Entre l’herbe, les pommes déclassées et les feuilles, les lapins ont consommé en moyenne 43 g de matière sèche par jour par lapin. « Nous avons constaté un nettoyage méticuleux du rang après le passage des lapins. Au début du printemps suivant, le sol est toujours nu. Là où les lapins dormaient (autour du tronc), l’herbe pousse encore moins », souligne-t-elle. Aucun trou au sol n’a été constaté. Concernant les attaques du tronc, sur les cinq semaines d’essai, 16 % des arbres ont été touchés et 3 % en situation critique. « Il n’y a pas eu d’arbres morts. Mais les protections sont indispensables », admet-elle.

Si certains résultats sont en cours d’analyse comme l’effet du pâturage sur la fertilisation, ce dispositif expérimental a déjà démontré des observations intéressantes.

© Davi Savietto

Nettoyage complet du verger

Si certains résultats sont en cours d’analyse, comme l’effet du pâturage sur la fertilisation, ce dispositif expérimental a déjà démontré des observations intéressantes. Les lapins dans les vergers de pommes, c’est possible !

« Les résultats sont prometteurs », cite le groupe projet. « Une croissance similaire à celle observée en élevage en bâtiment, mais avec moins d’intrants (granulés) et un excellent état sanitaire. Côté verger, nous avons observé une amélioration de la fertilité du sol en présence des lapins (potassium, + 30 % en moyenne par rapport aux emplacements sans lapin) et un nettoyage très efficace. »

En outre, les lapins réalisent un nettoyage au pied de l’arbre plus efficace qu’un outil de travail du sol. Dès le début de la période de contamination en tavelure, il y a beaucoup moins de feuilles au sol. « Notre essai ne nous permet pas de démontrer des réductions de tavelure directement sur l’arbre mais nous pouvons espérer une réduction de l’inoculum de la tavelure », note l’ingénieure.

D’autres mesures étaient attendues comme la teneur en chlorophylle, mais « celles-ci n’ont malheureusement pas été concluantes en raison de la trop forte attaque de tavelure présente sur ce verger (verger qui a dû être arraché, car aucun traitement au printemps n’avait été réalisé) », précise Stéphanie Drusch.

Le projet Lapoesie va toutefois avoir une suite. Plusieurs questions n’ont pas pu trouver de réponses dans ce premier dispositif. « En effet, il nous était impossible de mesurer l’impact du pâturage des lapins en post-récolte sur la tavelure, le dispositif expérimental n’était pas adapté, car les parcelles avec lapins doivent être distantes d’au moins 25 m des parcelles témoin et dans notre dispositif elles se touchaient », explique-t-elle.

D’autres questions sur l’apport d’azote et sur l’impact de la présence des lapins sur la vie du sol demeurent. Côté élevage, le duo s’interroge, car la composition d’une prairie adaptée au lapin n’est pas connue et, par conséquent, la composition d’une prairie adaptée au lapin et au pommier l’est encore moins.

Un nouveau projet en 2027

Pour capitaliser les acquis du précédent projet, « nous venons d’implanter un nouveau dispositif expérimental à l’Inrae de Gotheron. L’idée générale est de développer un espace permettant de combiner au mieux la production de fruit et l’élevage de lapins, tout en maximisant les services rendus par les animaux au verger et par le verger aux animaux », développe-t-elle.

Des éléments permettant d’améliorer l’ergonomie du travail et favorisant la pénétration de la lumière au niveau du sol pour optimiser l’installation de la future prairie ont été privilégiés. « De ce fait, nous avons imaginé un verger de pommiers assez extensif : 3,75 x 10 m sans palissage et qui sera conduit en gobelet haut (départ des charpentières vers 1,20/1,30 m pour ne pas trop compliquer le travail sur les arbres) », précise-t-elle.

Les expérimentations avec les lapins devraient débuter en 2027 dès que les arbres et la prairie seront suffisamment développés. Les premiers résultats sont attendus pour 2029/2030.

Sabrina Beaudoin

Des lapins en bonne santé

L’expérience arboriculture/élevage a été une réussite pour les lapins. Au niveau santé, un seul mort sur 144 lapins est à déplorer. En moyenne, un élevage conventionnel enregistre 10 % de mortalité sur la même période. Quelques lapins ont été traités par antibiotique, en individualisé. L’objectif était aussi de réduire l’utilisation d’antibiotique, quasi systématique. À l’issue de l’expérimentation, les lapins étaient en bonne forme et le poids moyen à l’abattage a été atteint dès les 73 jours de vie. Les lapins pesaient en moyenne 2,4 kg.