L’engouement pour les pistaches ne faiblit pas. « En s’appuyant sur les ventes des pépiniéristes, nous avons évalué, en 2023, la surface déjà plantée à 400 ha. Et lorsque nous organisons des formations de taille pour nos adhérents, 30 à 40 personnes se déplacent à chaque fois », observe Benoît Dufaÿ, du syndicat France Pistache, nouvellement créé aux côtés de l’association Pistache en Provence.
Ceux qui plantent sont pour la plupart des vignerons ou des arboriculteurs à la recherche d’une diversification. « À côté de vignes, nous avons déjà 10 ha de cerisiers pour l’industrie et 4 ha d’oliviers pour lesquels nous utilisons la même récolteuse. Nous avons poursuivi avec 3 ha de pistachiers. Ils se récolteront avec la même machine, ce qui nous aidera à l’amortir », explique Nicolas Carlin, producteur à Lourmarin dans le Vaucluse.
Il a planté ces 3 ha en 2021 et 2022. « J’ai opté pour la variété Kerman greffée sur UCB1. C’est un porte-greffe vigoureux, les arbres ont bien poussé », observe-t-il. Après avoir investi 21.000 € dans les plants, il attend un peu avant d’installer le goutte-à-goutte. « Le pistachier a besoin de peu d’eau. Mais pour que les amandons grossissent, c’est mieux d’arroser en juillet et en août. »
Nicolas Carlin espère faire une première récolte dans trois ou quatre ans. « Elle se placera après les vendanges et avant les olives, ce qui complétera bien le calendrier. »
Pour arriver au plein rendement, il table plutôt sur dix ans : « Nous n’en sommes qu’au début, il nous reste beaucoup de choses à découvrir, c’est passionnant ! »
Des choix à faire avant de se lancer
Dans le sud de la France, le pistachier se situe en limite climatique. Il se développe surtout dans l’arrière-pays, en Provence, en Languedoc, en Roussillon et en Corse. Moins sensible au gel que l’amandier, il a des besoins en froid de 400 heures à 900 heures en fonction des variétés. L’été, il a également besoin de fortes chaleurs. « Kerman, tardive, nécessite par exemple 2.500 heures à plus de 7 °C pour arriver à maturité », précise Benoît Dufaÿ.
« Il faut que la zone soit ventée pour faciliter la pollinisation », note Kahina Baha, référente Occitanie du syndicat. Les sols, eux, doivent être filtrants afin d’éviter l’asphyxie racinaire. Le porte-greffe térébinthe, résistant à la sécheresse, s’adapte bien aux terres maigres. L’UCB1, plus vigoureux et tolérant à la verticilliose, convient aussi aux sols plus profonds. Il reste à tester leur compatibilité avec chaque variété.
Le choix de celles-ci dépend également des débouchés visés. « Kerman, très plantée en Californie et en Espagne, a un bon potentiel de rendement et de calibre. Elle convient bien au snacking, car à maturité, la coque de la majorité des fruits s’ouvre spontanément », note Benoît Dufaÿ. Les variétés méditerranéennes comme Aegine, Pontikis, Larnaka ou encore Napoletana donnent des amandons plus petits mais bien verts et très aromatiques, recherchés pour la fabrication de nougats, de glaces ou de pâtisseries.
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Avec ou sans irrigation
Les vergers peuvent être conduits avec ou sans irrigation. « Mais sans arrosage, l’alternance est plus marquée », note Benoît Dufaÿ. Dans le cadre d’un GIEE, huit producteurs suivent les besoins en eau de leurs arbres. « En 2022, des apports de 500 à 800 m3 ont été suffisants », précise-t-il. Pour éviter les stress hydriques trop intenses, mieux vaut également améliorer les sols. « Des amendements et des couverts permettent de remonter le taux de matière organique et d’accroître la réserve utile en eau », rappelle Kahina Baha.
Les arbres, plantés le plus souvent à 6 m x 5 m, sont formés en gobelet avec un tronc haut si la récolte doit être mécanisée. Un simple élagage suffit ensuite, sans qu’il y ait besoin de taille de fructification. « Nous avons besoin de matières actives pour les maladies du feuillage. Grâce à l’inscription du pistachier dans le groupe des fruits à coque, nous avons obtenu une dérogation pour la bouillie bordelaise, et nous espérons une extension pour le soufre en 2024 », précise Benoît Dufaÿ.
Récolte mécanique ou manuelle
Les pistaches arrivées à maturité peuvent être récoltées mécaniquement ou manuellement. Dans le cas particulier de la production d’amandons verts émondés, la récolte manuelle s’impose, car les fruits ne sont pas complètement mûrs. « Dans les deux cas, l’épluchage et le séchage doivent être réalisés dans les 48 heures qui suivent la récolte afin d’assurer une bonne conservation », note-t-il.
Les fruits dont la coque n’est pas ouverte passent ensuite en casserie. « Dans le cadre du projet Pistache Avenir financé par FranceAgriMer, nous travaillons avec le groupe audois FLDI afin d’adapter du matériel destiné aux amandes, ce qui permettra d’avoir des installations polyvalentes », note-t-il. Plusieurs casseries de ce type sont en projet dans le Sud, et il en existe déjà une chez les frères Gianesini à Limoux, dans l’Aude.
Installée à Mèze dans l’Hérault, Axelle Bodoy a choisi de produire des amandons verts émondés. « Il sera peut-être possible de récolter les fruits à la main, mais par grappes entières », envisage-t-elle. Cette pluriactive a planté en deux ans 6 ha de pistachiers aux côtés de 5 ha de grenadiers. Sur des sols profonds, elle a choisi Aegine et Napoletana greffées sur UCB1. « Je prévois d’irriguer pour sécuriser la production », note-t-elle. En bio, elle espère valoriser les amandons autour de 35 €/kg. « Il me faut attendre quelques années avant de voir leur qualité, qui conditionnera le prix », ajoute-t-elle.
À Lauris, dans le Vaucluse, Aurélien Le Tellier a opté pour la récolte mécanique. À côté de vignes et d’oliviers, il a planté 2 ha de pistachiers en 2020 avec Aegine sur térébinthe et Kerman sur UCB1. « Cela me permettra de tester deux types de débouchés avant d’aller plus loin. » Avec son associé, ils ont investi 15.000 € dans les plants, qui pour l’instant poussent bien. « J’apporte seulement un peu d’eau avec une tonne pour aider les plants à démarrer », précise-t-il.
Sans irrigation, ils espèrent récolter au moins 500 kg/ha valorisés à 25 ou 30 €/kg. Là encore, il faudra voir la qualité. « Il y aura une première petite récolte sur Aegine l’an prochain, car cette année, les arbres portent des bourgeons à fruits. Il faut être patient ! Mais c’est intéressant de participer à la création d’une filière, ajoute-t-il. Au sein du syndicat, nous mutualisons nos observations et nous apprenons ensemble. »
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Valorisation : des débouchés bien différenciés
« En Espagne, en 2023, les pistaches en coque destinées au snacking se valorisaient de 6 à 10 €/kg en conventionnel et de 8 à 10 €/kg en bio », a observé Benoît Dufaÿ. Les amandons destinés aux confiseurs, glaciers, pâtissiers et chocolatiers, en provenance principalement d’Iran et de Turquie, se vendent autour de 25 €/kg, avec des prix qui peuvent grimper à 60 €/kg pour des qualités exceptionnelles. « Les pistaches, très demandées, se vendent cher », confirme Alexis Bertucat, du groupe Territoire de Provence. Celui-ci rassemble entre autres la confiserie du Roy René et la Maison Brémond, et commercialise déjà des produits à base de pistaches, du nougat, un suprême et un pesto verde, qui séduisent les consommateurs. « Nous travaillons en partenariat avec le syndicat France Pistache et l’association Pistache en Provence, et nous sommes prêts à acheter des pistaches françaises », affirme Alexis Bertucat. Il reste à voir les qualités qui seront obtenues dans le sud de la France et à bien s’organiser pour maîtriser le séchage. « C’est une étape importante », souligne-t-il.
Développement : des collectivités locales engagées
« Les pistachiers intéressent les communes de la vallée de l’Agly, confrontées au problème des friches qui accroissent les risques d’incendie », note Myriam Levalois-Bazer, du Pays de la vallée de l’Agly, dans les Pyrénées-Orientales. Avec des agriculteurs prêts à remettre en culture ces friches, ces collectivités locales ont créé une association pour tester des cultures capables de s’adapter au réchauffement. « Nous allons essayer le pistachier, mais aussi d’autres plantes adaptées à un climat semi-aride, comme l’arganier, le jujubier, l’argousier ou encore le vétiver », note Marguerite Bonzoms, vice-présidente de cette association.
Quinze hectares de pistachiers vont être plantés cet hiver chez des producteurs et dans des vergers test commmunaux. « Nous devrions bénéficier d’aides à la plantation de la Région Occitanie », précise-t-elle. À côté de vignes et d’amandiers, cette agricultrice va planter 1,5 ha en deux temps. « J’ai choisi Larnaka et Pontikis, qui conviennent bien à la transformation. Je fournis déjà des amandes à un pâtissier, intéressé également par des pistaches vertes émondées. » La récolte devra se faire à la main. « Cela tombera au moment des vendanges, manuelles elles aussi, et complétera ainsi le travail des cueilleurs. »
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