S’investir pour développer et pérenniser la production française

Si Romain Zoroddu s’est installé à Jonquières-Saint-Vincent en 2007, ce n’était pas sans mal. L’accès au foncier sur le plateau des Costières est très complexe, même pour un jeune agriculteur. Quinze ans après son installation, le producteur de fruits à noyau va peut-être pouvoir acquérir des terres près de l’exploitation familiale.

Romain Zoroddu, arboriculteur à Jonquières-Saint-Vincent, cultive abricots, pêches-nectarines, cerises, raisins de table.

© S.Beaudoin

Titulaire d’un BTS analyse et conduite des systèmes d’exploitation et d’une licence en droit et gestion agricole obtenue à Toulouse, Romain Zoroddu a plusieurs cordes à son arc. Référent phytosanitaire au sein de la Fédération nationale des producteurs de fruits (FNPF) et membre du comité phyto du verger de la costière, il est aussi vice-président adjoint de la FNPF. Son engagement lui tient à cœur. Il souhaite défendre la production et les producteurs tout en encourageant l’innovation.

Pourtant, l’installation de Romain n’a pas été simple. « J’ai pu acheter quelques terres assez proches. J’ai ensuite monté mon entreprise de travaux agricoles. Je taillais les vignes l’hiver avec le même personnel que l’on employait l’été. Il fallait gérer jusqu’à 1.000 hectares en prestation de services avec une cinquantaine de personnes », explique-t-il.

25 hectares très éloignés de l’exploitation familiale

Cette double activité lui a permis d’obtenir le financement nécessaire pour acquérir d’autres terres. Malheureusement, n’ayant pas accès au foncier local, proche du verger familial détenu par son père et son oncle, Romain Zoroddu a dû investir dans 25 hectares de vergers éloignés du siège d’exploitation familial.

« J’ai des abricotiers en production situés à une heure de route. C’est très compliqué à gérer. Il faut délocaliser la main-d’œuvre le temps des travaux sur place, déplacer les tracteurs et autres matériels avec des poids lourds. C’est 20 à 30 % de temps et d’argent perdus », nous racontait-il.

Lors de notre rencontre, Romain nous avait confié être sur le point d’acquérir un verger proche de chez lui et, donc, se séparer de cette parcelle éloignée. Si cette acquisition s'opère, ce sera un plus non négligeable. Car ce parcellaire est aussi plus difficile à protéger. « Quand vous n’êtes pas sur le verger, vous ne pouvez pas être aussi réactif aux attaques des maladies et au risque de gel. Deux années de suite, 2021 et 2022, j’ai presque tout perdu à cause du gel », avoue-t-il.

Délicot, une variété auto-fertile, offre un bon taux de sucre et un goût qui honore le fruit avec une pointe d’acidité et d’arôme.

© S.Beaudoin

Si l’éloignement peut être un frein, le coût du foncier en est un autre. « La pression foncière est complexe sur la costière. Le remembrement est difficile. Il y a beaucoup de terres arboricoles qui sont inexploitées ou mises en céréales ou herbe. Il faut actuellement débourser au minimum 20.000 €/ha nu, si l’on souhaite acheter un bloc d’une superficie conséquente », précise-t-il.

Investir dans le verger et le protéger

2023 a été une année fructueuse en abricots. L’éclaircissage manuel, débuté en avril après les derniers coups de froids, avait nécessité 250 à 300 heures/hectare de travail. C’est une étape importante pour obtenir le calibrage optimal. « Le marché le plus favorable à l’abricot est celui de la barquette. Il faut arriver à trouver un équilibre entre tonnage au verger et calibre du fruit pour satisfaire à un certain nombre d’unités de consommation », explique-t-il.

Avec un pouvoir d’achat en berne, les distributeurs peuvent avoir recours au « downsizing ». « Au lieu de commercialiser des barquettes d’un kilogramme, ils vont opter pour les barquettes de 500 g pour proposer une unité de consommation plus accessible dans le panier du consommateur », indique-t-il.

Outre le prix du foncier, l’ensemble des avances aux cultures est important. « À la veille de la récolte, cela représente plus de 15.000 €/ha investis, avant de pouvoir en retrouver les bénéfices. » Les travaux de formation, taille, éclaircissage, récolte et emballage sont réalisés manuellement, ce qui, compte tenu du coût important de la main-d’œuvre (environ 15 €/h chargée), vient peser sur les charges opérationnelles.

Plus de 200 hectares de filets paragrêles ont été installés pour sécuriser la production (20.000 €/ha) ainsi que 17 tours antigel. « Si l’année est bonne, nous prévoyons de les doubler l’année prochaine. En comparaison à une chaufferette antigel avec 8h d’autonomie qui vaut 11 € HT employées au nombre de 250 à l’hectare, cela revient à 3.000 €/ha la nuit de protection sans la main-d’œuvre. La tour antigel, c’est un investissement unique de 55.000 € HT pour protéger jusqu’à 7 ha. En l’espace de trois nuits, c’est rentabilisé », indique-t-il.

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Sélection variétale et agroécologie

Dans son verger formé en gobelet semi-piéton, tout est pensé pour optimiser la production et offrir au consommateur un produit de qualité. « C’est en partie la variété qui fait le travail. Nous sélectionnons des variétés rustiques, auto-fertiles, offrant un bon taux de sucre et un goût qui honore le fruit et qui exprime un potentiel agronomique satisfaisant. Si la sélection variétale progresse, je parierai davantage sur l’abricot », suggère-t-il. Il renouvelle chaque année 10 % de son verger, avec environ deux-tiers de pêches-nectarines et un tiers d’abricots. « Mais si l’innovation variétale des abricots rattrape celle de la pêche, les proportions pourraient s’inverser », avoue-t-il.

Différents essais sont menés par l’interprofession ou les services techniques comme les AOP, CTIFL ou Sudexpe. « Nous nous efforçons d’être acteurs et d’apprendre de ces expérimentations. Nous réinventons perpétuellement notre façon de produire en tenant compte des contraintes pédoclimatiques, des attentes sociétales et de nos impératifs économiques », ajoute le producteur.

Pour réaliser des économies sur l’eau par exemple, le système d’irrigation est automatisé en goutte-à-goutte et piloté avec des tensiomètres pour mesurer les besoins exacts de la culture. Cela représente un apport localisé et fractionné de 0,7 mm d’eau à l’heure et à l’hectare.

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« Nous mettons en œuvre des procédés agroécologiques à base de bon sens agricole et appliquons des solutions de lutte phytosanitaire de façon systémique et non systématique, avec de multiples observations avant d’agir », poursuit-il.

Dans son verger en gobelet, tout est pensé pour optimiser la production.

© S.Beaudoin

300 hectares de production, 14.000 tonnes vendues

Romain, son père et son oncle commercialisent leur production au travers de la SARL Zoroddu. À eux trois, ils détiennent près de 300 hectares de verger en production et disposent d’une station de conditionnement. Avec l’apport de productions voisines, ils conditionnent, vendent et expédient, sur une année dite « normale », jusqu’à 14.000 tonnes de fruits. La production est vendue à 100 % en France, à divers distributeurs de grandes et moyennes surfaces, et doit respecter plusieurs cahiers des charges tels que VER, HVE, Sudnature, Globalgap, GRASP.

Près de 400 saisonniers travaillent sur l’exploitation en période de pointe. Près de 70 % d’entre eux sont des travailleurs d’origine européenne installés en France avec leur famille, l’autre tiers est sous contrat OFI et ne vient que pour la période de travail saisonnière. « Sans la main-d’œuvre d’origine étrangère, nous n’aurions pas assez de personnel local pour mener notre travail à bien », assure Romain Zoroddu.