Les producteurs de poires se sont fixé collectivement deux objectifs : redynamiser tout à la fois le verger et le rayon afin de regagner des parts de marché. La première étape, avec le renouveau variétal et les plantations en cours, a bien démarré. Elle va permettre d’augmenter la présence de l’origine France en rayon tout au long de la saison. La deuxième étape, destinée à relancer la consommation, se prépare déjà et sera mise en œuvre une fois que l’offre se sera étoffée.
Afin d’actualiser les attentes des consommateurs, le CTIFL a lancé une étude sur trois ans. « En 2021 et 2022, nous avons décrit l’offre présente en rayon avec un panel entraîné ainsi que deux panels de consommateurs, un d’enfants et un autre d’adultes », explique Valentine Cottet, qui mène ce projet Poire Coco au laboratoire d’analyse sensorielle du centre CTIFL de Balandran, à Bellegarde dans le Gard.
Des appréciations plus ou moins contrastées
Les dégustations ont eu lieu à trois périodes : octobre, décembre et février. En deux ans, 56 lots issus de 14 variétés ont été dégustés par les trois panels. « Nous avons utilisé des fruits prélevés au stade expédition, puis affinés, afin de les amener à l’état optimal au moment des dégustations », précise-t-elle.
En s’appuyant sur les résultats de celles-ci, Valentine Cottet a élaboré une carte sensorielle avec trois axes portant sur la texture, la jutosité et l’intensité aromatique. Elle a ainsi mis en évidence six profils gustatifs. Le premier regroupe les variétés Comice, Conférence, Angys® et Sweet sensation®. « Avec des fruits qui associent fondant, juteux, sucre et arômes, elles font consensus et sont très appréciées des consommateurs », note-t-elle.
Dans le deuxième profil, on trouve Williams et Guyot, des poires plus ou moins juteuses avec une pointe acidulée, qui obtiennent des appréciations plus contrastées. « Les arômes typés de Williams ne plaisent pas à tous », observe Valentine Cottet.
Le troisième profil, un peu moins apprécié aussi, regroupe Louise Bonne et Abate, qui présentent un peu d’astringence. Le quatrième est représenté par Passe-Crassane. Avec une pointe d’astringence ou parfois d’acidité, mais une chair très fondante et juteuse, cette variété séduit largement les consommateurs.
Un fruit qui reste très apprécié
Xénia® et Fred® se retrouvent dans le cinquième profil. Là encore, les appréciations sont contrastées. Juteuses, sucrées et aromatiques, avec une note acidulée pour Fred®, elles ont une chair dense qui ne plaît pas à tous. Enfin, le sixième profil regroupe QTee® et Rocha. Juteuses et sucrées, ces variétés ont des arômes moins intenses et sont plus appréciées fondantes que croquantes.
Ces évaluations ne sont pas corrélées au taux de sucre mesuré. « Celui-ci n’est pas un critère d’agréage pertinent, car l’intensité du caractère sucré perçu par les consommateurs varie en fonction des autres critères gustatifs. Les poires plus juteuses, par exemple, sont perçues comme plus sucrées », note-t-elle.
De même, la perception de l’astringence varie en fonction des autres critères. « Sur la récolte 2024, nous allons travailler sur cette caractéristique », précise-t-elle.
Les poires restent très appréciées des consommateurs, qui leur attribuent une note moyenne d’au moins 7 sur 10 quel que soit le profil gustatif. Il n’y a pas de clivage net entre le panel des enfants et celui des adultes. « Ils classent les variétés dans le même ordre, avec des notes légèrement plus sévères pour les enfants », constate Valentine Cottet. Ceux-ci attachent plus d’importance à la finesse de la peau et à la jutosité, alors que les adultes sont plus attentifs aux arômes.
Des freins à l’achat
Les 185 consommateurs ont également été interrogés sur leurs attentes vis-à-vis des poires. « Près de la moitié d’entre eux apprécie de croquer dans le fruit avec la peau et un tiers souhaite les manger le jour de l’achat ou le lendemain. Sur ces deux points, les nouvelles variétés de poires comme QTee® et Fred® répondent bien à leurs attentes et élargissent ainsi la clientèle potentielle », note-t-elle. Consommables à des fermetés différentes, celles-ci apportent également une souplesse dans le choix du moment où les manger.
« Une partie des consommateurs hésitent sur le moment où les poires sont prêtes à déguster. C’est un des freins à l’achat mis en évidence dans l’enquête quantitative sur la consommation de la poire réalisée en 20191 », relève Catherine Baros, du CTIFL, qui a mené celle-ci.
La plupart savent qu’il faut attendre pour que la maturation se finisse. Mais où ranger les poires en attendant ? Certains les mettent dans un compotier, d’autres au frigo avec les autres fruits et légumes, ce qui ne favorise pas l’affinage.
Parfois, ils finissent par oublier ces fruits, qui deviennent alors trop mûrs. « 20 % des consommateurs disent jeter de temps en temps des poires. Ce sont aussi ceux-là qui sont les plus nombreux à trouver que les poires se conservent mal et à renoncer à en acheter », précise-t-elle. Les plus âgés cuisinent plus souvent les poires et utilisent ainsi celles qui sont trop mûres. « Les jeunes se remettent à cuisiner. Il faudrait leur faire découvrir des recettes avec des poires », suggère-t-elle.
Faire découvrir les différentes variétés
Ce fruit est considéré comme délicieux par 98 % des consommateurs qui déclarent en acheter. Parmi les raisons d’aimer les poires, ceux-ci placent en premier leur parfum. « Les fruits et légumes sont des produits que l’on peut encore acheter avec tous nos sens », relève Catherine Baros. Mais le manque de connaissance des variétés freine parfois le passage à l’acte d’achat.
Près de 20 % des consommateurs ne peuvent pas citer spontanément une seule variété. Pour les autres, Williams reste la plus connue, suivie par Conférence, Guyot, Comice et Passe-Crassane.
« Pour relancer la consommation, le défi est avant tout de faire connaître les multiples qualités gustatives des poires et les différentes façons de les utiliser, tout en accompagnant l’achat avec des fruits mieux identifiés en rayon », note Valentine Cottet. Dans ce but, l’Association nationale pommes poires a édité une affichette avec les variétés, leurs caractéristiques gustatives et leur saison, destinée aux magasins partenaires de la démarche Vergers écoresponsables.
Faire découvrir la production de façon plus concrète faciliterait aussi les achats. « Nous avons constaté que les consommateurs qui ont un poirier dans leur jardin se sentent plus à l’aise avec ce fruit, observe Catherine Baros, qui vient de réaliser une étude sur les jardins familiaux. Ils connaissent mieux la maturité de la poire, la cuisinent volontiers et en achètent plus. »
(1) « La consommation de la poire » en 2019. Édition CTIFL, mars 2020.
Chiffres : la consommation suit l’offre
D’après le panel Kantar, 67 % des ménages achètent des poires. Leurs achats fluctuent entre 4,5 et 5 kg par an. En 2021-2022 et 2022-2023, ceux-ci ont fléchi du fait d’une offre réduite par les aléas climatiques et se sont établis à 3,9 kg par ménage en 2022-2023. En valeur, ils sont restés plus stables avec un prix d’achat moyen en hausse de 2,79 €/kg.
Les ménages de plus de 65 ans consomment nettement plus de poires à leur domicile que les jeunes ménages. Cela ne veut pas dire pour autant que la consommation va s’effondrer dans les années à venir. « Il y a dix ans, la répartition des achats en fonction de l’âge était déjà sensiblement la même », observe Matthieu Serrurier, qui suit le panel Kantar au CTIFL.
Les trois quarts des ventes se font en libre-service. Les marchés de plein vent et les primeurs, où les consommateurs peuvent bénéficier de conseils, ne représentent respectivement que 14,5 et 7,5 % du total des achats des ménages.
Élargir la clientèle : un enjeu pour la filière
« Ce travail de fond du CTIFL sur la consommation de poires va accompagner le renouveau de la production française, apprécie Servane Jacquet, référente poire du groupe Blue Whale, engagé dans cette reconquête aux côtés d’autres entreprises. Les premiers résultats nous confortent sur les nouvelles variétés QTee® et Fred®. Elles peuvent se consommer aussi bien croquantes que fondantes ou entre les deux. C’est ce qui ressortait aussi de nos enquêtes au sein de Blue Whale. »
Avec une durée de vie plus longue, les consommateurs ont ainsi moins de risques de se tromper sur la maturité et d’être déçus. « La gestion de la maturité est parfois difficile pour eux. C’est un enjeu pour la filière de mieux les informer sur ce thème », souligne-t-elle. Dans les premiers résultats de l’étude, elle a aussi noté que les hommes aiment plus croquer dans le fruit entier, et que les jeunes adultes apprécient particulièrement QTee®. « Cela nous donne des pistes pour élargir la clientèle. »