La longue histoire du citron de Menton se résume en quelques phrases. « Avant, tout le monde vivait du citron à Menton, puis il y a eu les deux Guerres mondiales, le grand gel de 1956 et le malsecco, une maladie venue d’Italie dans les années 1950. nous sommes repartis de zéro », raconte Fabrice Puech, l’agrumiculteur et transformateur le plus productif de la région.
Fabrice Puech (Au pays du citron), le maillot jaune
Moins de dix ans après l’attribution de l’IGP, Puech se détache du peloton, car il a changé de braquet et mis un gros coup de pédale dans la montée. Il produit aujourd’hui la moitié des citrons de Menton IGP (plus de 30 tonnes par an) grâce à une propriété acquise en 2020, au début de la pandémie de coronavirus. Une bonne affaire, même s’il est « endetté pour les 20 prochaines années », car ses trois hectares, en plus de 400 citronniers, abritent 200 autres agrumes, 60 avocatiers et 300 oliviers, sur les hauteurs de Menton. Quand il a commencé, avec quelques citronniers, Fabrice transformait surtout les citrons des autres dans son atelier de Sospel, au-dessus de Menton. Aujourd’hui, il maîtrise toute la filière, de l’arbre au client final. Et le prix moyen est passé de 2 euros le kilo, quand il achetait ses premiers citrons, à 10 euros.
Fabrice et sa femme Sonia peuvent aussi compter sur 40 salariés et surtout cinq boutiques Au pays du citron, très bien placées (Menton, Lyon, Cannes, Eze-Village et Monaco), sans compter la vente en ligne qui est en pleine expansion (5 % du chiffre d’affaires). La visite d’une boutique montre le niveau de créativité du couple. Il y a bien sûr du limoncello et des confitures, mais pas seulement. Liqueur de vodka au citron, bière au citron, babas au limoncello, savons au citron… le catalogue est bien rempli pour gourmands et curieux, avec un choix énorme et des prix raisonnables.
Une telle réussite a donné des idées à un nouveau concurrent, la Maison Gannac, soit un père et son fils, Adrien, fraîchement diplômé d’une école de commerce. Ils ont créé la marque La maison du citron et suivent les mêmes principes, dans la roue du maillot jaune. Mais le leader du peloton n’a pas l’intention de se faire doubler. Il a déjà planté 150 nouveaux citronniers qui devraient être opérationnels en 2027, « et il y a encore de la place sur mon terrain », sourit Fabrice Puech.
La pluie de boue pour nettoyer les fruits
Last but not least, comme disent les Anglais, de plus en plus nombreux sur la French Riviera, la météo est particulièrement clémente du côté de Menton et il n’y a plus eu de gel depuis 1985 (-2 à -3 °C). Pas de grêle non plus et toujours assez de pluie, grâce au Parc du Mercantour voisin, pour remplir régulièrement les nappes phréatiques. Cette année, en plus des pluies d’avril, il y a même eu une pluie de boue en mai, bien plus efficace que des traitements phytosanitaires pour nettoyer les fruits. La dernière période de sécheresse, l’été dernier, a fait que « les fruits étaient plus petits, mais leur qualité était supérieure », selon un petit producteur local, François Mazet, sur place depuis 1968.
La qualité des citrons, c’est très important pour les chefs étoilés du coin et d’ailleurs. Chez Michel Rostang à Paris, au Restaurant Dessirier, il y a sur la carte des desserts une « Tarte au citron de Menton ». Quant à l’un de ses confrères, il a ses propres citronniers, dans son jardin. Le célèbre chef italien Mauro Colagreco régale au Mirazur, sur les hauteurs de… Menton.
Daniel Ortelli
APCM : les gardiens de l’IGP
L’Association pour la promotion du citron de Menton (APCM), dirigée par Stéphane Constantin, ne ménage pas ses efforts pour que l’on parle du citron toute l’année, et pas seulement lors de la Fête du citron, début mars. Il y a désormais 150 adhérents à l’APCM, dont 76 opérateurs qui produisent et conditionnent 70 tonnes de fruit chaque année, et autant de membres associés qui soutiennent son action. Avec une mission bien précise : « Appliquer et réviser le cahier des charges de l’IGP », le label européen de qualité obtenu fin 2015 (référence SRA 625 pour l’Inra).
Le point commun entre tous les producteurs locaux, petits ou grands, est qu’ils doivent tous être adhérents de l’APCM pour bénéficier du label IGP, indispensable pour trouver des débouchés. Et la renaissance est en marche, car « deux jeunes agriculteurs viennent de planter 250 citronniers, et un autre 400. La Mairie de Menton en exploite 600. Et elle encourage les jeunes à reprendre des terrains et des arbres abandonnés. Il y a actuellement 2.500 arbres déclarés à l’APCM par les producteurs », ajoute Stéphane Constantin, très soutenu par sa ville. Avec des résultats significatifs.
François Mazet, une citronneraie remarquable
C’est un personnage de cinéma, qui a été pilote de Formule 1 et assureur. Il a retrouvé « la passion du végétal », qu’il avait enfant, en s’installant définitivement sur la Côte d’Azur. François Mazet raconte le citron à la manière de Marcel Pagnol, il a plus de 80 ans et continue à veiller sur sa citronneraie installée juste à la sortie de l’autoroute, sur les hauteurs de Menton. Il a été l’un des premiers à faire la promotion de son fruit préféré auprès des chefs étoilés et il continue de les approvisionner.
« J’ai plus de 3.000 arbres, 850 espèces végétales, 400 citronniers… » s’enthousiasme le propriétaire des lieux, un « Jardin remarquable » répertorié par la Direction régionale des affaires culturelles. « Depuis que j’ai rencontré Paul Bocuse, je vends des citrons aux chefs étoilés de toute la France », ajoute François Mazet, qui a aussi présidé pendant trente ans la Caisse régionale du Crédit Agricole. Sa production de citrons haut de gamme tourne aujourd’hui autour de 3 à 4 tonnes par an, à 10 euros le kilo en moyenne. Cette activité le passionne depuis qu’en 1968 il a racheté 5.000 m2 aux enchères, au tribunal de commerce.
Aujourd’hui, François Mazet règne sur 20 hectares, dispose de son propre forage pour trouver une partie de l’eau indispensable à tous ses arbres, et sa citronneraie est en vente, car ses enfants ne souhaitent pas la reprendre. L’acheteur potentiel a un profil rare : un millionnaire qui aurait la main verte et souhaiterait se faire plaisir en cultivant des citrons, sans gagner une fortune, en profitant aussi de 900 m2 construits et d’une superbe piscine. Avis aux amateurs !