L'effet papillon des cours du pétrole sur les prix agricoles

Si l'offre et la demande sont les déterminants essentiels des prix des productions agricoles, d'autres éléments entrent aussi en jeu dans la vie des exploitants. Parmi eux, le cours du brut.

Molecular sieve dehydration system : Oil and gas Refinery

Lorsque les cours du brut baissent, les prix pour les intrants fondés sur les énergies fossiles reculent aussi, mais dans de moindres proportions, selon les études.

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Les agriculteurs français vont-ils, indirectement, être en partie sauvés par la Chine ? La question peut paraître saugrenue.

Elle prend sa source dans la fameuse formulation d'un scientifique américain, Edward Lorenz, en 1972. Il travaillait sur les problèmes de prédictibilité météorologique et se demandait : « Le battement d'ailes d'un papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au Texas ? »

Si l'on applique cette idée aux produits agricoles, on peut se demander si l'évolution du cours du brut a un impact sur les produits agricoles. Peut-être pas l'effet d'une tornade, mais d'un léger soupir de soulagement. Les cours du pétrole sont en effet actuellement en baisse, du fait de la moindre demande chinoise, qui recule en raison d'une croissance économique en berne.

La baisse des cours du brut pourrait se poursuivre

Les analystes de Goldman Sachs, l'une des grandes institutions financières américaines, dont les prédictions sont très écoutées à travers le monde, ont indiqué, le 20 août, qu'ils s'attendaient à ce que les cours du Brent, le pétrole de mer du Nord, l'une des références mondiales en la matière, tombent à 68 dollars le baril à la fin de l'année 2025 – si, et seulement si – la demande chinoise restait atone dans les mois qui viennent.

Ces dernières semaines, le prix du Brent se situait sur les niveaux de 77 dollars le baril. Il a certes déjà été nettement plus bas (autour de 20 dollars en mars 2020), mais il n'a cessé de reculer depuis quelques mois. Le temps où certains envisageaient des cours passant la barre des 100 dollars le baril (comme cela a été le cas au printemps 2022), semble bien loin.

Rien n'est acquis cependant, et, au lieu d'une trêve à Gaza, une extension du conflit pourrait faire déraper la mécanique actuelle. Par ailleurs, au-delà de la demande chinoise et des développements géopolitiques à venir, d'autres éléments, parfois contradictoires, entrent également en jeu, dont les taux d'intérêt et le dollar, le brut étant libellé dans cette monnaie.

L'impact d'un dollar faible sur le brut...

D'ailleurs, le 23 août, les cours du brut repartaient à la hausse, après les commentaires de Jerome Powell, le président de la Banque centrale américaine. Ce dernier laissait entendre que les taux directeurs (qui dictent ensuite les taux d'intérêt pratiqués par les banques) seraient amenés à baisser dès septembre.

L'inflation semble en effet sous contrôle outre-Atlantique et, selon les dernières données, le marché de l'emploi s'essouffle. Or des taux d'intérêt élevés soutenaient le dollar, puisqu'il rapportait plus en matière d'investissement.

Le dollar a ainsi atteint, le 23 août, un plus bas niveau depuis 13 mois face à l'euro. Une baisse de la valeur de la monnaie américaine peut ainsi entraîner un regain de demande de brut, de la part d'acteurs qui utilisent une autre monnaie d'origine puisque, dans ce cas, le baril de brut revient moins cher. 

… et sur le prix des céréales

De même, conséquence du même phénomène, celui d'un renforcement du pouvoir d'achat d'acteurs non-américains, la baisse du dollar a aussi un effet sur les prix des céréales.

Ainsi, selon certaines études, menées notamment après la crise financière et économique de 2008, montrent que la baisse de la valeur du dollar face à d'autres monnaies, dont l'euro, a contribué à une hausse du prix des céréales.

Pas de relation directe de cause à effet

Mais, comme dit le physicien Étienne Klein, « ce n'est pas parce qu'on voit des grenouilles après la pluie qu'on peut dire qu'il pleut des grenouilles ». De fait, selon diverses analyses, le prix des contrats à terme sur le blé et le cours du Brent sont certes corrélés, mais pas forcément reliés entre eux par un système direct de cause à effet.

Avant tout, les prix des céréales sont liés entre eux. Non seulement ils ont des déterminants communs, dont l'offre et la demande, de même que la météo, mais les effets de substitution peuvent jouer. Ainsi, en cas de hausse du prix de certaines céréales, le maïs, par exemple, les éleveurs auront tendance à se reporter sur une autre, comme le soja, pour nourrir leur bétail, faisant par là même monter les cours de ce produit de substitution.

Une transmission indirecte, via les engrais

En fait, le premier effet de la baisse du prix du brut sur l'agriculture est indirect. Il passe par le prix des engrais azotés et des phytosanitaires chimiques, fabriqués à partir de produits gaziers pour les premiers et de produits gaziers et pétroliers pour les seconds. De produits importés, donc.

D'ailleurs, dans son rapport sur l'évaluation de la souveraineté agricole et alimentaire de la France, paru le 31 mars 2024, le secrétariat général à la Planification écologique alertait sur le fait que la France était très fortement dépendante aux importations d'azote minéral (engrais). En 2022, la France importait plus de 80 % de ses engrais, dont une large part provient de pays en dehors de l'Union européenne, créant une double dépendance : aux pays tiers et aux énergies fossiles.

La Banque mondiale table sur - 6 % en 2025

Si cette dépendance française ne sera pas réglée aisément, la Banque mondiale prévoyait cependant, dans un communiqué de presse du 25 avril 2024, que, selon son scénario central, les prix des engrais devraient, au niveau mondial, baisser de 22 % en 2024 et 6 % en 2025.

Un avantage pour les agriculteurs, qui devront donc dépenser moins pour leurs achats d'intrants. Sans compter que la baisse des cours du brut devrait aussi, à terme, se retrouver dans un prix du carburant moindre, pour les tracteurs ou le transport des grains. De quoi, également, améliorer les marges sur le prix des céréales. Cela dit, les études montrent que lorsque les cours du brut baissent, les prix pour les intrants fondés sur les énergies fossiles reculent aussi, mais dans de moindres proportions...