S'il fallait décerner une médaille pour l'emploi des seniors, un dossier sur lequel la France est à la traîne par rapport à nombre d'autres pays en Europe, c'est au secteur agricole qu'il faudrait la remettre !
En effet, les exploitants agricoles français ne cessent de vieillir : selon le dernier recensement (2020), leur âge moyen se situait à 51,4 ans, contre 50,2 ans en 2010. Ce qui place, de fait, les agriculteurs dans la catégorie socioprofessionnelle la plus âgée de la population active... En outre, la moitié des fermes était dirigée par au moins un exploitant de 55 ans ou plus en 2020.
La souveraineté alimentaire en question
Mais cette caractéristique concernant l'emploi des seniors cache un enjeu bien plus vaste : celui du renouvellement des générations en agriculture. Comment, en effet, tendre vers la souveraineté alimentaire – ambition affichée par la France et l'Europe – si les exploitants âgés prennent enfin une retraite bien méritée et ne sont pas remplacés par des jeunes ? Or, dans dix ans, un tiers des agricultrices et des agriculteurs seront en âge de partir à la retraite, et d'autres suivront ensuite.
Que va devenir ma ferme ? Plus d'un tiers des exploitants ne le savent pas
Selon les données de l'Agreste, quelle que soit la taille de l'exploitation, 34 % des répondants avouaient en 2020 n'avoir aucune idée du devenir de leur ferme dans les trois ans à venir. Certes, la même proportion des répondants n'avait pas non plus l'intention de prendre leur retraite dans l'immédiat.
Et si 26 % des personnes interrogées réfléchissaient, à horizon de trois ans, à une reprise par un membre de la famille ou un tiers extérieur, elles n'avaient pas encore clairement identifié un repreneur éventuel.
Enfin, 6 % envisageaient carrément la disparition de leur exploitation, qui serait absorbée par une autre, tandis que d'autres (6 % également) pensaient à une transformation de la terre en usage non agricole.
Une occasion à saisir pour la transition
Comment faire, alors, dans ces conditions ? Si le renouvellement des générations peut être perçu comme une occasion « d'accélérer le mouvement de transformation de l'outil productif, de laisser entrer de nouvelles compétences dans le secteur et de favoriser l'innovation », selon le rapport publié par le think tank Terra Nova, en mars 2024, encore faut-il le réussir. Et pour cela, l'appuyer.
La France n'est pas la seule confrontée au défi
La situation française n'est pas unique en Europe. Et d'ailleurs, l'Hexagone n'est pas le plus mal loti. Ainsi, en 2020, selon Eurostat, au sein de l'Union européenne, un tiers des agriculteurs avaient plus de 65 ans, 57,6 % étaient âgés d'au moins 55 ans et seuls 12 % des chefs d'exploitation avaient, en revanche, moins de 40 ans.
Cette dernière proportion était encore plus faible en Espagne, au Portugal ou en Grèce. C'est en Autriche que l'on trouve le plus de jeunes installés (15 % de moins de 35 ans dans la région de Salzbourg, par exemple), suivi de la Slovaquie et de la Pologne.
En revanche, le renouvellement des générations est un vrai casse-tête pour Chypre (1,3 % de jeunes installés) et le Portugal (1,9 %). Ce dernier pays cumule d'ailleurs les régions où les personnes de plus de 65 ans sont majoritaires dans les exploitations agricoles. Dans l'Algarve, ce taux atteint même 63 %.
Des actions concrètes dans le projet de loi d'orientation agricole
C'est l'objet de la loi d'orientation agricole, ou projet « pour la souveraineté agricole et le renouvellement des générations en agriculture ». Voté par les députés le 28 mai 2024, le parcours du texte avait été suspendu en raison de la dissolution de l'Assemblée nationale, le 9 juin.
Plusieurs actions concrètes sont inscrites dans le projet de loi. Elles vont de la mise en place d'un programme national d'orientation et de découverte des métiers de l'agriculture et de l'agroalimentaire à la création d'un Bachelor Agro, en passant pour la formation en trois ans de 50.000 professionnels de l'enseignement, du conseil, et de l'administration, sur les actions et solutions en faveur des transitions agroécologique et climatique.
Mais surtout, il s'agit, selon le texte, de « refonder la politique d'incitation à l'installation des agriculteurs et à la transmission des exploitations par une offre de nouveaux outils ». Ainsi, le projet de loi prévoit l'accompagnement individualisé de chaque personne qui souhaite s'installer ou travailler en agriculture ou céder une exploitation, avec l'instauration du réseau France services agriculture, la mise en place d'outils de diagnostic et d'accompagnement qui permettront une évaluation des exploitations à la transmission et à l’installation et enfin, la création du groupement foncier agricole d'investissement, afin d'attirer de nouveaux capitaux dans l'agriculture.
Coop et négoces sont aussi à la manœuvre
Au-delà des dispositifs prévus par la future loi, La Coopération agricole relève que « les coopératives n'ont pas attendu la loi pour répondre à ce défi ». De fait, selon les données 2022 de l'observatoire des actions en faveur des nouveaux associés coopérateurs, publié en octobre 2023, au-delà de traditionnelles rencontres d'information et de visites d'experts pour aider à la vie de l'exploitation, une coopérative sur deux, toutes tailles confondues, met en place des actions en faveur des nouveaux associés coopérateurs.
Un accompagnement personnalisé
L'enquête fait ainsi ressortir que plus de 80 % des grandes coopératives (de 500 à 1.000 associés coopérateurs) et très grandes coopératives (plus de 1.000 associés coopérateurs) mettent en place des actions en faveur des nouveaux associés coopérateurs pour les accompagner dans les premières années de l'exercice de leur vie professionnelle.
Ces mesures d'accompagnement portent aussi bien sur un soutien financier et la maîtrise des techniques de production que sur les démarches administratives (pour le nouvel associé coopérateur, la coopérative devient ainsi un référent privilégié de l'accompagnement administratif, pour la constitution de dossiers PAC ou FranceAgriMer).
Avances de trésorerie
L'avance de trésorerie s'est ainsi généralisée dans toutes les catégories de coopératives.
Si les aides à la rémunération spécifiques pour les jeunes sont stables depuis 2019, la coopérative assure de plus en plus fréquemment la sécurisation du lien entre le nouvel associé coopérateur et sa banque : grâce à une garantie bancaire, par exemple, afin de sécuriser la banque pour l'octroi de prêts.
Dotations, subventions, primes à la production
Parmi leurs autres actions, les coopératives développent des dotations, des subventions ou des primes à la production. Certaines mettent ainsi en place des fonds de dotations pour soutenir des créations et des reprises d'élevages, en particulier dans des régions où leur maintien est devenu un enjeu clé.
Mise en relation entre cédants et repreneurs
Enfin, pour favoriser la transmission des exploitations, de plus en plus de coopératives (80 % en 2020, contre 33 % en 2019) mettent en relation cédants et repreneurs. Une participation à la mise en relation qui permet d'établir un premier contact avec le repreneur et d'entamer une relation d'accompagnement avant la souscription de parts sociales.
Enfin, quelque « 45 % des coopératives vont plus loin qu'une mise en relation en aidant à l'accès au foncier, notamment dans les filières viticoles », précise le rapport de l'observatoire.
Intégrer les jeunes dans les coop
Et, toujours selon l'observatoire, 64 % des coopératives ont mis en place une commission Jeunes, pour faciliter les échanges, tandis que 28 % d'entre elles ont désigné un référent chargé de l'accompagnement des nouveaux associés coopérateurs, afin de mieux les intégrer à la vie de la coopérative.
Les premiers résultats de tous ces efforts sont déjà palpables. Mais il faudra poursuivre, encore et toujours, si la France veut rester l'un des leaders agricoles européens.
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