Dans les Hautes-Alpes et le nord de Sisteron, l'initiative du pâturage des vergers par des brebis émerge comme une solution efficace pour la gestion de l’enherbement. Des arboriculteurs de la région se sont associés avec des éleveurs ovins pour faire pâturer leurs brebis dans les vergers en automne. Allier arboriculture et élevage ovin permet non seulement d’optimiser la gestion de l’enherbement en verger mais aussi d’apporter une ressource alimentaire supplémentaire aux animaux.
Dans le cadre du réseau Déphy
Entre la vallée de la Durance, la vallée du Buëch et sur les hauteurs de Gap, dix arboriculteurs font partie d’un groupe engagé dans le réseau Dephy depuis 2012. Leur objectif ? Trouver des solutions durables pour réduire l’usage des produits phytopharmaceutiques.
Les Hautes-Alpes abritent le premier cheptel de la région Paca avec plus de 252.000 ovins et les deux tiers des exploitations sont spécialisées dans l’élevage de brebis. Parallèlement, l’arboriculture représente la première richesse du département. La région est le deuxième producteur national de poires d'hiver, le troisième de poires d'été, et le sixième de pommes en matière de surface cultivée.
Une synergie entre arboriculteurs et éleveurs
C’est en 2018 que le pâturage des vergers, pratique pourtant ancestrale, a été remis au goût du jour par le groupe Dephy Pommes des Hautes-Vallées, renforcé par la création d'un groupe Action 30000 sur cette thématique pendant 3 ans. « Une enquête a été réalisée auprès des principaux intéressés pour savoir comment cela pouvait être mise en place », indique Julie Pradal-Meizel, conseillère spécialisée arboriculture à la chambre d’agriculture des Hautes-Alpes et ingénieure réseau Dephy. « Les résultats ont montré que les deux productions pouvaient se compléter efficacement », poursuit-elle.
Nettoyage de l’interrang
« Pour préparer la récolte, améliorer le confort des cueilleurs et assainir le lieu de dépose des palox, l’arboriculteur broie l’interrang. Si possible, pour optimiser le pâturage, il faudrait réaliser cette intervention 15 jours avant la récolte, ce qui permettrait à l’herbe de commencer à repousser avant l’arrivée des brebis », conseille Julie Pradal-Meizel.
Durant l’automne et une partie de l’hiver, les ovins élisent domicile dans les vergers alpins, en altitude. Les brebis, principalement de race Mérinos ou Préalpes du Sud, sont installées dans les vergers après la récolte des fruits et jusqu’au débourrement suivant.
Les brebis profitent alors de l’herbe disponible dans les vergers avant la chute complète des feuilles. Une herbe riche en azote et en énergie. Cette pratique permet de nettoyer les vergers des fruits tombés et des mauvaises herbes tout en réduisant ainsi le besoin en herbicides. Pour les éleveurs, c’est une source de fourrage précieuse, surtout après plusieurs années de sécheresse qui ont limité la production estivale de fourrage.
Quelques dégâts mineurs sur les bourgeons
« Les brebis aident à la dégradation des feuilles au sol grâce à leur piétinement, ce qui est bénéfique pour l’arboriculteur. Pour l’éleveur, c’est une ressource alimentaire supplémentaire non négligeable », souligne Julie Pradal-Meizel. Cependant, des dégâts mineurs sur les bourgeons et les lignes d'arrosage ont été notés. Ces derniers sont jugés tolérables comparés à ceux causés par la faune sauvage (chevreuil et sanglier).
Les vergers peuvent être pâturés en utilisant des techniques de pâturage différentes (gardé, parc mixte). La durée de pâturage est ajustée en fonction de la quantité d’herbe disponible et du nombre de brebis. En moyenne, un troupeau de 400 brebis peut pâturer 0,5 hectare en 5 heures.
Des gains pour l’éleveur et l’arboriculteur
Un accord de confiance doit être établi entre arboriculteur et éleveur pour garantir le succès de la pratique. « Certains arboriculteurs peuvent préférer limiter les dégâts en retirant les brebis très tôt, tandis que d'autres peuvent accepter plus de dommages pour une gestion plus optimisée de l’enherbement », assure-t-elle.
Le pâturage des vergers alpins par les brebis offre aux arboriculteurs une méthode naturelle et efficace de gestion de l’enherbement, tout en apportant des bénéfices agronomiques et économiques. En adoptant cette approche, les arboriculteurs peuvent bénéficier d’une réduction des interventions mécaniques et chimiques, tout en soutenant l’autonomie alimentaire des éleveurs.
Des conseils pour adopter cette pratique
Pour encourager cette pratique, un guide a été mis en place et est disponible auprès de la chambre d’agriculture des Hautes-Alpes. Il donne quelques conseils aux arboriculteurs et éleveurs qui souhaitent tenter l'approche.
Pour minimiser les dommages, il vaut mieux retirer les brebis dès que l’herbe se fait rare pour éviter qu’elles s’attaquent aux feuilles des arbres. « Le pâturage sur jeunes vergers est proscrit tout comme le pâturage sur sol mouillé, car les brebis ont tendance à souiller l’herbe et à se tourner vers les branches », admet Julie Pradal-Meizel.
Autres conseils : n'effectuer aucune intervention chimique quelques jours avant l’arrivée des animaux et prévoir une zone de repos pour la nuit en dehors des vergers.
Sabrina Beaudoin