« Notre problème n°1 n’est pas la sécheresse, c’est la sous-commercialisation »

Le vignoble de Banyuls Collioure est la tête de pont du réchauffement climatique en France, mais il ne sera pas sa tête de turc. Le syndicat, présidé par Romuald Peronne, entend déménager une partie des vignes en altitude. Cette mesure inédite n’est que l’une des nombreuses actions du plan de relance imaginé pour sauvegarder un vignoble économiquement viable sur les pentes non mécanisées de la côte Vermeille.

L’ODG des crus Banyuls-Collioure souhaite modifier son aire d’appellation. Le vignoble prendrait de l’altitude. Qu’attendez-vous de cette migration ?

Romuald Peronne : Banyuls-Collioure est un vignoble très particulier, entre mer et montagne, à la frontière espagnole. La palette des vins que nous produisons est très diversifiée avec des vins secs et des vins doux. Les vignes les plus basses surplombent de quelques mètres la Méditerranée quand les plus hautes s’élèvent à 400 mètres.

Toutes les parcelles se tiennent dans un mouchoir de poche mais il existe des différences climatiques notables entre celles sur le trait de côté et les hauts de vallées, entre les expositions nord et les expositions sud. Par expérience, nous ressentons ces différences. L’étude que l’on est en train de mettre en place avec la société Adama Terroirs devra le démontrer scientifiquement. Plus 200 capteurs climatiques vont être installés et plus 300 fosses pédologiques vont être creusées.

En découlera inévitablement une modification de l’aire d’appellation auprès de l’INAO en abandonnant peut-être certains secteurs et en ajoutant éventuellement certains autres.

L’objectif est de permettre aux vignerons d’avoir accès à des parcelles adaptées aux vins qu’ils souhaitent produire et au climat actuel. De par sa topographie, notre vignoble peut facilement s’adapter aux évolutions climatiques.

Quel avenir pour les vignes les plus exposées au réchauffement climatique ?

R. P. : Le vignoble perd des surfaces depuis des décennies, bien avant que les effets du changement climatique ne se fassent ressentir. Le manque de rentabilité de nos exploitations et la perte de marchés de commercialisation en sont la cause. Après-guerre sur les quatre villages du cru que sont Collioure, Banyuls, Port-Vendres et Cerbère il y avait 4.200 ha de vigne. Aujourd’hui il en reste 1.200.

Dans un avenir proche, on pourrait descendre à 700-800 ha. Chaque année, il y a un ou deux nouveaux installés mais cela ne compense pas les départs à la retraite. Notre population viticole est vieillissante. Un quart des producteurs ont plus de 70 ans, et près de la moitié ont plus de 61 ans.

Des parcelles sont et seront abandonnées. Et sur nos terroirs en pente difficilement mécanisables, on n’arrache pas. La vigne s’ensauvage et tombe en friche. L’un des problèmes de cette déprise agricole c’est qu’elle augmente le risque incendie.

Notre plan de relocalisation du vignoble intègre cette donnée. Un travail avec le SDIS66 va être mis en place afin d’implanter du vignoble sur les secteurs les plus à risque et les plus stratégiques pour un rôle coupe-feu.

Un tiers du vignoble est dans des pentes supérieures à 50%. Sur les coteaux sont produits des vins secs en AOC Collioure et des vins doux en AOC Banyuls. 

© ODG Banyuls Collioure

Le vrac représente un quart des volumes totaux mis en marché et les 2/3 de toute la marge négative du vignoble. Le rosé aussi est élaboré à perte. Faut-il continuer ?

R. P. : En 2022, un état des lieux inédit a été réalisé sur la base des données économiques 2019/2020. À l’échelle du vignoble, on enregistrait une perte annuelle de 500 000 euros.

Aujourd’hui, avec les hausses de charges et les rendements très faibles sur plusieurs millésimes, ce déficit collectif a dû se creuser. On perd de l’argent à faire du vin, notamment du vrac.

Le seuil de rentabilité pour nos exploitations est de 27 hl/ha. Le rendement moyen est lui de 20 hl/ha. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Dans un contexte de tournant démographique, quand en plus on n’arrive pas à vendre le peu de vin que l’on produit, pourquoi maintenir coûte que coûte des vignes déficitaires.

Capitalisons sur des vignes productives rentables, existantes ou à planter sur des terroirs d’avenir, avec dans le viseur un potentiel de production raisonnable et de commercialisation de 25 000 hl. À 27 hl/ha, cela représente environ 900 ha de vigne.

Dans le plan de relance du cru Banyuls-Collioure, trois leviers ont été identifiés pour restaurer la rentabilité des entreprises. Augmenter le prix de vente est l’un d'eux.

Le cru n’a pas attendu le changement climatique pour être en difficulté économique. Notre problème n°1 ce n’est pas la sécheresse c’est la sous-commercialisation de nos produits, à des prix en deçà de nos prix de revient.

Nos ventes se réalisent au 2/3 localement en vente directe ce qui est bien sûr une réelle opportunité. Et aucun vin ne situe sous la barre des 15 € TTC prix public. La montée en gamme doit se traduire par un prix de bouteille de 20 € minimum.

Elle doit aussi permettre une meilleure valorisation de nos vins sur les marchés traditionnels France et export qui sont globalement déficitaires.

Romuald Peronne est le président de l'ODG Banuyls-Collioure 

© ODG Banyuls-Collioure

Les consommateurs et les acheteurs seront-ils prêts à accepter cette hausse substantielle ?

R. P. : Sur ce point le syndicat a un rôle majeur à jouer. L’image de notre vignoble est à construire. Nos vins n’ont pas la notoriété qu’ils devraient malgré des millions d’euros investis depuis des décennies. Nous sommes sortis de l’interprofession des vins du Roussillon (CIVR) pour reprendre la main sur la stratégie marketing du cru.

Pour renforcer la vente directe qui est actuellement le canal de distribution le plus rentable, nous misons sur l’œnotourisme. La région est extrêmement touristique, les paysages sont sublimes. En quelque sorte, nous devons réussir à faire sortir les touristes des plages pour leur faire découvrir le vignoble. Il faut dire que jusqu’à présent rien ne leur était proposé ou presque.

Ça va changer ! Une maison des vins est en train de se structurer, des sentiers découvertes ludiques vont voir le jour... La côte Vermeille deviendra une destination oenotouristique comme l’Alsace ou la Bourgogne.

La population viticole en France est vieillissante et de plus en plus faible. Celle de Banuyls-Collioure est-elle fondamentalement différente ?

R. P. : Comme je le disais précédemment, la moitié des producteurs ont plus de 61 ans. 70% d’entre eux sont double-actifs ou retraités. Les trois quarts cultivent moins de 5 ha. Sur le millier d’adhérents aux trois caves coopératives du territoire, 90 coopérateurs 'professionnels' réalisent les 2/3 des tonnages de la coopération. Et il a seulement 50 caves particulières.

Par ailleurs, il faut savoir que seulement 7% des exploitations ont un statut fiscal au réel. 63% des exploitations sont au micro BA et 30% ne sont pas assujettis à la MSA.

Il y a donc seulement une trentaine de structures capables et ayant le souhait d’investir et de se développer.

Inexorablement, vue la conjoncture, nous passons d’un vignoble d’amateurs à un vignoble de professionnels. Ces professionnels, qu’il soit en cave coopérative ou en cave particulière, il faut les encourager.

En leur proposant des vignes implantées sur des terroirs capables de supporter le changement climatique par exemple mais pas uniquement. À ce jour, il est par exemple impossible de vinifier en dehors des villages.

Aucun chai ne peut être construit sur des terres agricoles. Cette entrave administrative du PLU bloque la modernisation et la multiplication des caves particulières.

Quel est l’avenir du vignoble de Banyuls et de Collioure ?

R. P. : On travaille pour qu’il soit adapté à notre époque. Il sera donc totalement différent dans 10 ans. Nos vins continueront d’évoluer, avec des vins secs plus pointus. Nous connaissons mal nos terroirs. Nos aïeux producteurs exclusifs de vins doux naturels s’y intéressaient peu.

Ça change et le syndicat accompagne ce mouvement. L’étude des terroirs va être un vrai bouleversement. L’analyse de toutes les données pédoclimatiques servira surement à identifier des lieux-dits à faire reconnaitre par l’INAO.

Sans irrigation, sans mécanisation, avec deux traitements fongicides par campagne en moyenne, notre bilan carbone et environnemental est exceptionnel. Et nous sommes un territoire d’avenir qui n’a pas peur de s’adapter.

Séverine Favre