La présentation par la filière viticole de sa stratégie face au changement climatique fin 2021, qui s’appuie sur le programme Laccave de l’Inrae et la contribution de plus 700 actions issues du terrain, inclut notamment des démonstrateurs régionaux. Objectif : booster la R&D participative aux côtés des vignerons et envisager des technologies de rupture, pour accompagner les stratégies d’adaptation. Un « Climat Tour » est aussi au programme. Le point avec Christophe Riou, directeur général de l’IFV.
Vous revenez du Salon de l’agriculture. Comment le sujet du changement climatique vous semble pris en main par les responsables politiques et la filière viticole ?
Christophe Riou : Le Salon de l’agriculture reste en effet incontournable pour aller à la rencontre des représentants de l’État, des professionnels viticoles, et nous en sortons avec de nombreux engagements, contrats, et prises de contacts, en particulier sur ces enjeux d’adaptation au changement climatique. Nous avons participé à une table ronde du ministère de l’Agriculture aux côtés d’autres filières végétales, où il a été rappelé l’ensemble des dispositifs à la disposition des producteurs pour faire face aux évolutions du climat : financement d’équipements, solutions assurantielles, programmes de R&D, ou encore le plan France 2030 de soutien aux filières industrielles et technologiques. Le volet de l’adaptation à la contrainte hydrique a été abordé également, tout comme celui de la stratégie d’atténuation du changement climatique. Dans ce sens, nous avons pu présenter l’outil Ges&Vit, pour réaliser le diagnostic des émissions de gaz à effet de serre sur l’atelier viticole, afin d’envisager le déploiement du label bas carbone sur la filière viticole. Le référentiel est prêt, et nous attendons les résultats d’une étude FranceAgriMer sur le marché potentiel du carbone pour la filière viticole d’ici quelques mois. Je suis convaincu de la pertinence de ce dispositif à terme pour la filière, les leviers d’action pour réduire les émissions et le potentiel de stockage carbone avec les couverts ou la plantation de haies. Les chambres d’agriculture ont aussi présenté leur dispositif d’accompagnement à la transformation des exploitations agricoles pour renforcer leur résilience, en affichant l’objectif de toucher 10 000 agriculteurs à l’horizon 2030.
Enfin, lors de nos échanges avec le ministre de l’Agriculture et la Première ministre, nous avons pu évoquer le plan d’action de la filière viticole face au changement climatique, qui découle du programme Laccave porté par l’Inrae, avec la contribution de plus de 700 actions de terrain issues de tous les bassins viticoles.
Comment se met en œuvre le plan d’actions ?
C. R. : 40 actions prioritaires ont été retenues. Par exemple, la question de la gestion de l’eau est centrale. Il est clair que la réglementation spécifique à l’irrigation de la vigne doit évoluer. S’il est interdit d’irriguer aujourd’hui du 15 août à la récolte, cette règle doit évoluer face à la précocité des millésimes, en apportant plus de flexibilité. Autre exemple sur le matériel végétal, il est déjà possible pour les ODG de déployer les « variétés d’intérêt à fin d’adaptation », avec une limitation à 5% de l’encépagement de l’exploitation et à 10% en assemblage. Des cépages grecs, évalués par l’IFV, montrent déjà de très bonnes prédispositions sur nos terroirs. L’évolution des cahiers des charges pourrait s’ouvrir ensuite à d’autres sujets, comme la densité de plantation ou la hauteur de haie foliaire. En France, 90% de la production de vin est sous signe de qualité, et tout ce qui aidera à travailler les stratégies d’adaptation va dans le bon sens, pour maintenir la répartition du vignoble français tel qu’il l’est actuellement, comme souhaité par la profession.
Une série de démonstrateurs régionaux doit se mettre en place, comme des laboratoires face au changement climatique. Où en est-on ?
C. R. : Les démonstrateurs doivent en effet devenir des dispositifs innovants et structurants du plan d’adaptation au changement climatique, comme des incubateurs des pratiques de demain. Courant 2023, nous recensons les appels à candidatures, avec des sites existants pouvant rentrer dans le cadre de ce programme. Avec dix bassins viticoles en France, nous n’aurons sûrement pas dix démonstrateurs dès la première année, mais l’idée est de pouvoir construire un réseau d’une douzaine de démonstrateurs, actifs à partir de 2024, menés dans une démarche participative en coconstruction avec les organisations viticoles régionales, en particulier les ODG, pour réaliser le travail de R&D et de transfert. Dès la conception, les vignerons doivent être partie prenante de ces lieux d’expérimentation, pour s’approprier l’évolution des pratiques. L’impulsion sera aussi à la hauteur des moyens financiers qui pourront être mobilisés, au travers des différents programmes comme le plan France 2030, et dans une démarche de cofinancement avec les régions.
Quelles innovations seront testées ?
C. R. : Selon les bassins, les dispositifs sont plus ou moins aboutis, mais l’enjeu est d’avoir à chaque fois un projet mené dans une approche système. À Montreuil-Bellay en Val-de-Loire, la réflexion est menée autour de l’agroforesterie, la couverture du sol, notamment le thym entre les rangs et les variétés résistantes. À Piolenc dans le Vaucluse, il est question d’étudier la brumisation ou l'agrivoltaïsme à plus grande échelle. Au Château de l’Éclair dans le Beaujolais, le projet permettra d’étudier la modification de la densité et la hauteur de palissage, associée aux filets d’ombrage. À Blanquefort, sur le lycée viticole de Bordeaux, les travaux menés dans le cadre du projet Vitirev pourront aussi servir de démonstrateur. À Narbonne, les travaux menés sur le recyclage des eaux usées pour la viticulture, soutenus par l’IFV et l’Inrae, seraient aussi intéressants à valoriser au sein d’un démonstrateur. De nombreuses technologies de rupture donc, parfois très innovantes.
Un démonstrateur pourrait-il être envisagé dans un bassin non viticole, comme la Bretagne ou les Hauts-de-France ?
C. R. : Les professionnels ont fait le choix de travailler au maintien des vignobles actuels, en cherchant à faire évoluer les pratiques pour s’adapter. Mais je trouverais cela très pertinent de s’ouvrir en effet à de nouvelles zones de production. À l’IFV, nous testons déjà sur la résistance de nouveau cépages sur différents bassins de productions, ou à plus de 1 000 m d’altitude. Alors pourquoi ne pas imaginer ouvrir un incubateur dans une nouvelle zone géographique.
Sur le modèle du « PNDV Tour », vous prévoyez un « Climat Tour ». Qu’en attendez-vous ?
C. R. : Le PNDV Tour a été une très belle réussite nationale, autour du transfert technique et la communication sur les enjeux du dépérissement. L’idée, sur ce même modèle participatif, est d’animer des échanges autour des solutions d’adaptation au changement climatique, pour que la profession s’empare des travaux de recherche mis en œuvre sur les démonstrateurs et échange sur les pratiques innovantes. Les lycées viticoles auront d’ailleurs toute leur place dans le dispositif, avec l’enjeu du renouvellement des générations de viticulteurs qui doit être associé à ce travail d’adaptation du vignoble.