
Entre le gigantisme hypersophistiqué des grosses automotrices et la vendange manuelle, il y a un monde… Mais la gestation d’une automotrice ultracompacte approche du terme et le marché pourrait bien voir émerger un nouvel acteur. Le choix des faire-part approche dans le Beaujolais, voici les résultats de la dernière échographie.
Pour Lucien Nugues, fils de viticulteur, l’origine du projet réside en grande partie dans le respect du grain de raisin. Avant d’expliquer comment porter le soin maximal à la grappe, il pose un postulat mécanique simple : « Il faut très peu de puissance pour taper un cep, convoyer la récolte et extraire les feuilles. Si nous faisons le bilan de tout ça, il nous faut 20 chevaux. Le reste de la puissance sert à déplacer la machine. » Lorsqu’elles pèsent six tonnes ou plus, il n’est pas incohérent d’équiper les vendangeuses conventionnelles de moteurs de 130 chevaux. Le passé industriel de cet ancien dirigeant des établissements Balligand transpire dans l’analyse.
Face à ce constat et dans le contexte singulier du Beaujolais, l’envie de créer une petite machine était aussi la base d’un cercle vertueux. Le concepteur détaille : « Nous avons conçu une vendangeuse de 1 500 kg. Même à 30 % de pente, avec une vitesse de 2-3 km/h, il ne faut que 10 chevaux pour déplacer cette masse. » La machine, légère, affiche un atout indéniable quant au respect du sol. De même, nous pouvons parler d’efficience accrue quand nous constatons sa sobriété en carburant. Le petit moteur de 35 ch est en mesure d’accomplir une journée de travail avec 35 litres de gasoil. Bien entendu, la comparaison avec des automotrices à quatre roues et aux capacités supérieures n’est pas tenable. Le nombre d’hectares récoltés n’est pas le même mais la performance reste remarquable pour tout vigneron qui n’a pas besoin de mener ses vendanges tambour battant. Selon Lucien Nugues, « lors d’une petite journée de vendange, la machine récolte 2,5 ha facilement. Elle n’est pas pensée pour faire 10 hectares par jour mais plutôt pour convenir au vigneron qui recherche les conditions climatiques favorables et la meilleure maturité. Ce n’est pas pour faire de l’abattage ».
Dans les vignes étroites
Construite avec le concours de MGV, la petite automotrice n’a pas été prévue pour une homologation routière. Elle se déplace donc sur une remorque. Un point négatif qui prend, dans certaines conditions, les traits d’un avantage. Le véhicule léger qui la remorque atteint les 80 km/h sur nos routes de campagne quand une automotrice plafonne à 25 km/h. Il suffit de quelques minutes pour le chargement/déchargement.
Les concepteurs n’ont rien laissé au hasard concernant la partie motrice. Un œil avisé remarquera un capteur d’angle de braquage positionné dans la partie droite de l’outil. Il est au cœur de la maniabilité de la machine : « Quand on tourne le volant, les roues extérieures (directrices) renseignent un potentiomètre sur leur position par rapport à l’avancement en ligne droite. De cette information, un calculateur commande une augmentation ou une réduction du débit des deux moteurs hydrauliques qui gèrent l’avancement. » De plus, la sécurité est accrue grâce à la roue de pivot. « Elle n’est jamais mise dans un état de roue libre, précise Lucien Nugues. Il reste du couple et de la traction même quand elle roule très peu lors des manœuvres en bout de rang. » Les différents essais, sur le domaine du château de l’Éclair à la Sicarex, ont montré que les moments de patinage sont très rares, quelles que soient les conditions.
Cueillir le raisin sans bavures
La volonté de récolter avec le plus grand soin était un leitmotiv. Nous retrouvons donc un secoueur à bâtons rigides monté sur silentbloc. Il est issu de l’expérience de Pierre Germain (viticulteur et concepteur de machines). Dans les années 1980, ce dernier avait mis au point un secouage pour récolter mécaniquement en grappe entière. Après ce premier organe, l’accent a été mis sur la réduction du temps de convoyage. « La plupart des grosses automotrices provoquent une trituration du raisin. Les enchaînements de tapis et les chutes ne lui rendent pas la vie facile avant la trémie, constate Lucien Nugues. Nous avons voulu faire une partie récolte la plus simple et donc la plus respectueuse possible. » Ainsi, le fruit parcourt environ deux mètres dans les godets de la noria en L. Il tombe sur un petit tapis qui verse dans le bac, situé sur le côté droit de la machine. Le tapis est mobile et peut répartir la récolte sur la longueur du bac. Ce dernier bascule vers l’avant et peut atteindre 500 kg de capacité.
Les spécialistes de l’hydraulique apprécieront la présence d’une pompe par fonction. Ainsi, la noria, les ventilateurs, le secouage ne sont pas tributaires des inconvénients des diviseurs. La correction du dévers et l’animation du bac sont connectées à la même pompe que la fonction de direction. Cette dernière est raccordée par un circuit prioritaire. La maintenance et le lavage sont des aspects qui n’ont pas été mis de côté. Nous ne trouvons que dix graisseurs. Le lavage dure quinze minutes et ne demande pas plus d’une centaine de litres d’eau. Cette petite vendangeuse constitue, sans aucun doute, une bonne illustration de l’artisanat de pointe français. Grâce à quelques passionnés, amoureux du travail bien fait, nous avons un nouvel exemple qui ne sort pas d’une start-up ! Pour s’offrir les services de cette automotrice atypique, il faudra investir moitié moins qu’une machine conventionnelle. Rendez-vous en 2020 pour compter les exemplaires en service et récolter vos témoignages, si vous sautez le pas !
Article paru dans Viti Leaders de novembre-décembre 2018