Le paillage sous les rangs de vignes comme alternative au désherbage chimique ou mécanique, certains le teste. Nous avons interrogé trois viticulteurs sur leurs expériences.
Jérôme Bouby, viticulteur à Verneuil, en Champagne, a testé le paillage sous le rang avec des écorces, associées à du fumier de bovin ou de cheval. « Nous avons arrêté pour deux raisons : la première est la baisse de la qualité des écorces depuis quelques années, et la seconde est l’introduction du labour sur le domaine, difficilement compatible avec les écorces, explique le viticulteur. Néanmoins, la technique fonctionnait plutôt bien. Nous mettions 250 à 300 m3/ha, soit un peu plus que les préconisations à 180-200 m3/ha. Les levées d’adventices se faisaient, mais beaucoup moins que sans paillage. Un désherbage en complément suffisait généralement. » Jérôme Bouby a par ailleurs constaté un retour rapide des adventices, qu’il explique notamment par le passage du tracteur. Ce dernier aurait tendance à bouger le sol et déplacer le paillage, laissant apparaître des zones non couvertes, favorables au passage de la lumière. « Bien sûr, ce n’est pas la prairie, et il n’y a que quelques adventices, nuance-t-il. Le problème dans nos vignes étroites est que le paillage a souvent tendance à bouger. Pour une bonne réussite, l’idéal est de pailler en plein, sous le rang ainsi que l’interrang. L’inconvénient est que dans les deux à trois ans qui suivent, la matière est déjà dégradée. En revanche, la vigne bénéficie également des autres effets du paillage tels que la conservation de l’humidité. »
Jérôme Bouby reste convaincu qu’il faut un mélange de plusieurs essences pour le paillage, afin d’amener une certaine diversité au niveau de l’humus produit. Dans le cas d’une utilisation de paille de céréales, il préconise de la paille grise et non de la paille jaune. « La paille jaune “fraîche” consomme de l’azote pour sa dégradation au profit de la vigne. Alors qu’avec une paille grise, une grande partie de l’azote a déjà été consommée, explique-t-il. Une chose qui peut être intéressante, et que je n’ai jamais essayée, serait d’effectuer une sorte de millefeuille. C’est-à-dire de remettre régulièrement des couches sur le paillage d’origine afin de compenser sa dégradation. »
Une couche par an pour compenser la dégradation
Une technique que pratique la famille Monier à Saint-Désirat, en appellation Saint-Joseph. Sur leur domaine, ils testent le paillage depuis février 2019. Pour cela, ils ont utilisé du foin un peu passé qu’ils ont appliqué à la main sous le rang en couche de 15 cm et qu’ils ont complété par 15 cm de paille. « Nous avons choisi le foin, car il consomme moins d’azote que la paille pour se dégrader, explique Jean-Pierre Monier. Ensuite, une fois par an, nous rechargeons le paillage avec de la paille de céréales. Nous appliquons une bonne quinzaine de centimètres, sachant que sur une année, cette épaisseur diminue de plus de la moitié. » Il n’exclut pas cependant d’aboutir à une certaine stabilité du paillage dans quelques années, qui conduirait à n’apporter plus que 5-6 cm à chaque fois. Un phénomène qu’il a constaté dans son propre potager.
Si le paillage contribue à gérer les levées d’adventices, les viticulteurs observent par endroits que certaines d’entre elles arrivent à le traverser. C’est le cas notamment du chiendent ou de la grande oseille. « Pour les contenir, nous sommes intervenus deux fois dans la saison avec un rotofil, souligne Jean-Pierre Monier. Mais nous sommes à peu près convaincus qu’en améliorant la structure du sol, le chiendent devrait disparaître avec le temps. »
Entre 16 et 17 tonnes de paille à l’hectare
À l’automne dernier, Romain Gleizes, viticulteur en Champagne, a lui aussi essayé le paillage sur deux de ses parcelles. Son but, éviter le désherbage mécanique, qui pour sa part nécessite cinq à six interventions à l’année. Il souhaite également juger de la capacité du paillis à conserver l’humidité. Pour cela, il a appliqué de la paille de blé sous le rang et, comme il lui restait 10 m3 d’écorces à disposition, il a recouvert les entre-rangs avec. Quant à la deuxième parcelle, elle a reçu un paillage sous les rangs de vignes, associé à des bandes enherbées. Lors du chantier de paillage, Romain Gleizes a utilisé une pailleuse, destinée au paillage des tas de betteraves, afin d’obtenir des tiges broyées. Celles-ci ont ensuite été chargées à la mini-pelle dans un épandeur à écorces monté sur un chenillard. L’épandeur a été modifié avec l’ajout de deux goulottes, afin d’orienter le flux de matière à gauche et à droite de l’appareil et ainsi pailler sous les rangs.
« J’ai appliqué une couche de paille comprise entre 20 à 25 cm d’épaisseur et avec une longueur de brin autour de 3 à 5 cm, explique Romain Gleizes. En moyenne, il me faut entre 16 et 17 tonnes de paille à l’hectare. Pour le coût, en prenant tout en compte, de la matière première au broyage et à l’épandage, je l’estime entre 2 000 à 2 500 euros/ha. » L’épandage d’écorces entre-rangs est lui aussi réalisé à l’épandeur avec une couche de 10 à 15 cm. Concernant le débit de chantier, le vigneron compte une journée et demie par hectare pour le broyage et l’épandage de paille sous le rang avec trois machines. « Le but du jeu est que cela tienne quatre à cinq mois, et de n’en remettre une couche qu’une fois par an. » Par ce biais, le viticulteur recherche une solution moins chronophage que le travail du sol. Il a en effet un peu plus de temps à consacrer lors des périodes de paillage plutôt qu’au moment des désherbages mécaniques.
Romain Gleizes envisage de remettre une couche de paillage sous le rang dans le courant du mois de mars afin de compenser le tassement. Il indique que le paillage d’écorces, quant à lui, tient pratiquement deux ans. Il prévoit également d’essayer la paille de colza, qu’il juge moins sensible à la dégradation qu’une paille de céréales.
Article paru dans Viti 459 de mars 2021