La récolte du grenache noir est un moment à part pour la Maison Parcé Frères, installée entre Collioure, les Côtes du Roussillon et la vallée de l’Agly (Pyrénées-Orientales). À chaque vendange, la même interrogation : le jus va-t-il couler « comme il faut » ? C’est-à-dire en quantité suffisante, pas trop coloré, pour pouvoir produire des blancs de noirs sur vins tranquilles.
« Dès le début, notre objectif était de vinifier sans agent décolorant extérieur, indique Rémi Walter, l’œnologue de cette maison composée du Domaine Augustin et du Domaine de la Préceptorie. Pour se garantir d’y arriver, nous avons décidé de récolter en légère sous-maturité, avant d’atteindre la maturité phénologique. C’est-à-dire entre 13° et 14°, jamais au-dessus. De cette manière, sous le pressoir, on a des jus très peu teintés, et en fin de vinification, le jus est incolore. »
Choix du cépage
La couleur, ou plutôt l’absence de couleur, est le nerf de la guerre des blancs de noirs, qu’ils soient tranquilles ou effervescents. Cela passe d’abord par le choix du cépage. La Maison Parcé Frères a ainsi écarté la syrah et le carignan, estimant qu’ils ne permettraient pas d’obtenir les résultats recherchés. De manière plus pragmatique, ce choix peut être orienté par les quantités de raisin à disposition, qui plus est, à une période où les ventes de vin rouge marquent le pas.
À la coopérative Berticot, à cheval sur le vignoble bordelais, de Duras et de Bergerac, c’est le merlot qui a été choisi. « C’est un cépage qui manque d’acidité, qui mûrit vite et qui se charge beaucoup en anthocyane, ce qui le rend très coloré, constate Stéphane Clément, l’œnologue de la coopérative. Le plus facile pour faire du blanc de noir, c’est le cabernet franc parce que c’est le cépage qui a le moins d’anthocyanes. Mais on en utilise beaucoup sur le crémant et le rosé, et on en a très peu dans le Lot-et-Garonne. C’est pour cette raison que l’on utilise le merlot pour faire du blanc de noir. »
Une maturité très mesurée
La date et les conditions de récolte sont des facteurs clés de réussite. Il est crucial que le fruit ne soit pas trop mûr pour ne pas libérer trop de coloration, d’autant plus quand il s’agit de merlot, comme chez Bordeaux Families. Première productrice de crémant de Bordeaux, la coopérative a mis à profit cette expérience pour lancer en 2021 son premier millésime de blanc de noir sur vin tranquille. Grâce à l’outil Dyostem, elle s’assure « d’avoir un profil de fruit frais, à maturité, mais avant le fruit mûr », décrit Aurélie Vion, son œnologue, également attentive à la température à laquelle la vendange se déroule. « On la fait tôt le matin, voire de nuit, pour qu’il fasse le plus frais possible », précise-t-elle.
Comme à la Maison Parcé Frères, l’idéal est de vendanger à la main et en caisse. Mais tout le monde ne peut pas prendre autant de précautions. « Des vendanges manuelles nous coûteraient trop cher par rapport au prix auquel nous vendons le blanc de noir », constate Stéphane Clément, l’œnologue de Berticot.
Moduler le pressurage
Il s’agit ensuite d'aller vite, d’éviter l’écrasement et la trituration des raisins, ainsi qu’un début de macération qui pourraient teinter le jus. La Maison Parcé Frères applique un pressurage « assez délicat et progressif » d’environ deux heures. Tandis que Berticot sépare les presses et les analyse à partir de deux outils, le Polyscan et le NomaSense Color. « Le premier mesure les polyphénols dans les moûts, ce qui nous permet de savoir quand séparer les presses et de moduler le niveau de pression, explique Stéphane Clément. Le second donne des indications sur l’intensité colorante. L’un et l’autre nous aident à déterminer quel traitement il faut apporter. »
Le « traitement » désigne l’utilisation de charbon et de colle afin d'éliminer toute trace de teinte rouge. Après débourbage à froid, ce qui écarte les dernières matières colorantes, la vinification puis l’élevage sont lancés, en tout point similaires à ce qui se fait sur des blancs et des rosés. « Ce qui diffère chez nous, nuance Rémi Walter de la Maison Parcé Frères, c’est que l’on fait une fermentation malolactique. Du fait de la sous-maturité au moment de la récolte, on a une acidité très marquée. »
En l’absence de traitement, les deux domaines sont également attentifs à l’évolution de la couleur. « On a constaté qu’au fil de la fermentation, le peu de coloration, une sorte de rosé piscine, s’atténuait avec le temps, et qu’à la fin de l’élevage, il n’y avait quasiment plus aucune couleur », rapporte l’œnologue de Banyuls-Collioure.
Se diversifier grâce aux blancs de noirs sur vins tranquilles : un retour commercial positif
Les trois producteurs de blanc de noir sur vin tranquille interrogés le reconnaissent volontiers. Leur choix de développer ce produit a été motivé par la baisse des ventes de vin rouge et par l'augmentation de la demande en vin blanc. « L’encépagement est constitué en grande majorité de raisins noirs, mais notre clientèle est de plus en plus intéressée par nos vins blancs, sauf que nous n’avions pas le volume pour la satisfaire », explique Rémi Walter de la Maison Parcé Frères. Lors du troisième millésime, 20 hectolitres ont été produits chez Augustin – soit 10 % de la production totale – et une quarantaine à la Préceptorie, sur 700 hectolitres au total. Face à l'enthousiasme des clients, principalement des cavistes et des restaurateurs, les volumes devraient augmenter dans les prochaines années.
Même retour commercial positif du côté de Bordeaux Families, dont la production de crémant ne suffisait pas à couvrir la demande. Tandis que chez Berticot, les 13.000 hectolitres de blanc de noir sont aujourd’hui vendus à des clients qui en font des vins effervescents ou aromatisés. Mais suivant l’évolution du marché, la production d’un vin tranquille en propre n’est pas exclue.