Ils élèvent leurs vins rosés sur lies

Ils élèvent leurs rosés sur lie. Photo : Attard

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La technique de l’élevage des rosés sur lies, identique dans sa mise en œuvre à celle des blancs, n’est pas vraiment dans l’air du temps. Il n’empêche que certains vignerons lui restent fidèles. Pour faire des rosés plus opulents et très typés, voire emblématiques de leur domaine.

L’élevage sur lies des rosés, en cuves et plus rarement en barriques, reste peu pratiqué. La tendance est aux rosés frais, aromatiques. Pourtant, des producteurs continuent d’élaborer des vins plus opulents et onctueux, plus longs en bouche.

Autant de caractères que permet d’obtenir, comme avec les vins blancs1, un élevage sur lies, plus ou moins long.

Photo : Attard

Trois vignerons racontent leur itinéraire d’élevage.

"Le problème, c’est le calendrier"

Dans la course qui mène des vendanges à la mise en marchés, le chronomètre est impitoyable et frustrant.

« Les impératifs de mise en marché raccourcissent malheureusement la phase d’élevage sur lies de nos rosés », Philippe Bru du Château Vignelaure en Provence. Photo : DR
Au Château Vignelaure, classé en appellation coteaux-d’aix-en-provence, Philippe Bru regrette cette accélération qui l’oblige à la mise en marché de ses rosés dès le mois de février, en particulier pour l’export.

Car l’élevage des rosés sur lies, très largement utilisé pour la plupart des 120 000 cols produits chaque année par ce domaine varois, demande du temps.

Du temps et du travail qu’impose cette recherche de l’équilibre parfait entre acidité et rondeur. « Nous voudrions allonger la durée de cet élevage, comme pour nos blancs, mais c’est impossible, explique le directeur-œnologue de Château Vignelaure. D’autant que nos vendanges sont plutôt tardives, autour du 15 septembre. Après la fermentation alcoolique, nous faisons un premier soutirage. Le bâtonnage des lies fines, deux fois par semaine, peut alors commencer. Cette phase concerne essentiellement des vins en cuves inox. Elle dure deux à trois mois et prend fin trop tôt, avec les impératifs de la mise en bouteille. » Le sol argilo-calcaire, les 400 m d’altitude et un micro-climat marqué par l’influence de l’air froid venu des Alpes donnent de belles acidités aux trois vins rosés du domaine. Ils assurent la moitié de la production totale grâce à des assemblages de grenache, syrah, cabernet-sauvignon, cinsault et merlot.

« Cette acidité naturelle est évidemment un atout pour cet élevage sur lies, confirme Philippe Bru. Mais cela n’exclut pas, pour jouer avec l’acidité, de réaliser des assemblages où tous les éléments n’ont pas réalisé leur malo. Nous évoluons, nous affinons les styles de nos vins. Quoi qu’il en soit, le respect des délais d’expédition reste notre contrainte principale dans l’élaboration des rosés. »

"Un rosé à forte identité"

« Avec l’élevage sur lies, nous faisons un rosé typé, reconnaissable entre mille », Philippe Morin du Domaine  de Marchandise en Provence. Photo : DR
À quelques dizaines de kilomètres du Château Vignelaure, le Domaine de Marchandise a fait du rosé sa spécialité : 85 % des 320 000 bouteilles produites en AOC côtes-de-provence ont en effet cette couleur.

Grenache (35 %), tibouren (20 à 25 %), syrah (20 %), mourvèdre et cinsault fournissent le corps d’une seule cuvée de rosé. Et là aussi, on n’abandonnerait pour rien au monde un long élevage sur lies fines.

« Le bâtonnage commence début novembre et s’achève fin mars, précise Philippe Morin, maître de chai et responsable de la culture. La priorité pour nous, c’est d’élaborer un rosé à forte identité ; un de ceux qui, dégustés à l’aveugle, sont reconnaissables immédiatement. C’est cela qui fait notre fierté. Une macération de 24 à 30 heures, l’utilisation d’une chaîne du froid très performante, un décuvage gravitaire, un simple collage à dose faible de bentonite (5 g/hl) et un élevage sur lies, telles sont nos méthodes pour obtenir un vin structuré et typé, mais sans sacrifier l’élégance. C’est la dégustation qui détermine le point d’équilibre et donc l’arrêt du bâtonnage. »

Dans des cuves en béton émaillé ou en inox, la fréquence de bâtonnage est de deux fois par semaine, puis une fois.

« Pour moi, l’élevage sur lies fines peut être résumé en trois points : libération de protéines issues des membranes des levures, collage léger à la bentonite, pour ne pas dépouiller le vin, et stabilité des arômes et de la couleur dans le temps. »

"Fixer les arômes et la couleur"

« Le bâtonnage de mon rosé de saignée se poursuit jusqu’en février », Frédérick Bozza  du Château Fourreau dans le Bordelais. Photo : DR
Le troisième témoignage est bordelais. Au Château Fourreau, (27 ha sur les sols argilo-calcaires de la commune de Pujols), il n’y a qu’un rosé dans la gamme. Un vin 100 % cabernet-franc, élaboré par saignée mais à partir d’une cuve dont les raisins ont été cueillis dans l’optique d’un rosé dont le nez mêle agrumes et fraise.

« Je fais du vin à l’ancienne, précise Frédérick Bozza, le propriétaire. Je ne suis pas un inconditionnel des analyses, mais je contrôle l’acide malique, qui me donne une bonne indication du démarrage des vendanges. J’effectue un débourbage durant un jour et demi à deux jours, suivi d’un soutirage et d’une phase de huit à dix jours ; le tout à 6° ou 7 °C. Pendant cette période, les précurseurs aromatiques apparaissent. La dégustation quotidienne confirme ces changements rapides. Ensuite, on lâche la température pour lancer une fermentation, régulière et longue puisqu’elle dure trois semaines. Ensuite, le bâtonnage commence ; il a lieu tous les jours au début, puis la fréquence diminue. Il se poursuit jusqu’au début du mois de février. Il me permet d’obtenir de la sucrosité et du gras et c’est cette caractéristique qui facilite la fixation des arômes mais aussi de la couleur. Je n’ai connu qu’un seul problème de réduction ; dans ce cas, on travaille les lies séparément, à l’oxygène. »
 

(1) Lire "La seconde vie des levures", Viti Leaders, n°403, janvier 2015.

Sébastien Pardaillé, œnologue conseil  au Laboratoire Natoli et associés. Photo : Natoli
Conseils d’œnologue
De multiples façons et raisons d’élever sur lies

« Dans une recherche de qualité, on peut utiliser les lies d’un autre cépage, comme du vermentino ou du sauvignon, explique Sébastien Pardaillé, œnologue conseil au Laboratoire Natoli et associés. Le bâtonnage de ces lies permettra d’enrichir le vin rosé en arômes. C’est une intéressante mise en valeur des lies. L’élevage sur lies des rosés est aussi une technique utile quand le raisin a été ramassé en sous maturité. L’élevage sur lies va donner de la chair au vin et aussi le rééquilibrer si l’acidité est importante. Il aurait par exemple été utile en 2015, car pas mal de rosés étaient un peu “creux”. Autre cas, celui des rosés tanniques, très colorés par la macération pelliculaire dans le pressoir. Le bâtonnage des lies va donner de l’épaisseur et de la consistance. On fera un vin moins vif et moins désaltérant, mais plus opulent. Enfin, même si la pratique est marginale : on peut faire un élevage sur lies en “statique”, c’est-à-dire sans bâtonnage. Cela permet de rester dans un milieu réducteur quand on travaille des cépages oxydatifs comme la clairette, la roussanne ou le grenache blanc. »

Article paru dans Viti n°419 d'octobre 2016

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