Vinifications sans sulfites : quelles solutions pour réduire l’oxydation ?

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Pour réduire les doses de soufre dans les vins, l’acide ascorbique mais aussi les gaz neutres sont de bons alliés à la cave. Mais encore faut-il savoir à quelles étapes il est important de réduire les risques d’oxydation.

Protéger ses jus de l’oxydation, notamment par le dioxyde de soufre, était une règle à suivre dans tous les manuels d’œnologie, rappelle Arnaud Immélé, œnologue alsacien au laboratoire Vinedia. Mais les choses ont évolué, poursuit celui qui œuvre au développement de la réduction des sulfites en œnologie. « Actuellement, on reconnaît que les précurseurs aromatiques des vins blancs au niveau des moûts ne sont pas sensibles à l’oxydation. Il y a même un intérêt à laisser s’oxyder davantage les jus, notamment ceux riches en polyphénols, pour avoir un vin plus stable, moins sensible à l’oxydation. Car plus on protège un moût blanc de l’oxygène, plus les vins seront instables après les fermentations. »
En phase pré-fermentaire, plus on utilisera de gaz neutres ou d’acide ascorbique, plus le jus sera protégé, mais plus le SO2 pourra ensuite se combiner et augmenter la sensibilité du vin à l’oxydation. « Une oxydation maîtrisée en phase pré-fermentaire, avant le débourbage, aura aussi un intérêt pour des jus avec un profil variétal ou thiolé. Cette oxydation est cependant dommageable à partir du levurage, car les thiols libérés par les levures sont alors très sensibles à l’oxydation, avec un risque de perte aromatique. » L’emploi d’acide ascorbique ou de levures inactivées riches en glutathion sur des vins blancs de type sauvignon, pourra alors être utile dans cette deuxième phase. « Avant, les vignerons avaient peur que les jus brunissent et perdent de leur qualité avant la fermentation, alors qu’il n’y a réellement de risque de dommage qu’après la fermentation alcoolique », insiste Arnaud Immélé.

« Les v

Pour Arnaud Immélé, la question à se poser n’est pas « pour ou contre l’oxydation ? », mais « combien d’oxygène  pour quel vin ? ». Photo : O.Lévêque/Pixel Image
ignerons avaient peur que les jus brunissent et perdent de leur qualité avant la fermentation, alors qu’il n’y a réellement de risque de dommage qu’après la fermentation alcoolique »,
Arnaud Immélé, laboratoire Vinedia

 

Combien d’oxygène pour quel vin ?

La question n’est pas « pour ou contre l’oxydation ? », mais « combien d’oxygène pour quel vin ? » poursuit-il. Une vendange sur mûrie, récoltée à la machine, pourrie ou extraite avec un pressurage poussé gagnera à avoir de l’oxygène pour obtenir des vins moins amers et plus stables. Au contraire, une vendange manuelle et saine ne supportera pas ou très peu d’oxygène, nécessitant l’emploi de gaz neutre en protection, poursuit l’œnologue. « Les cuvées champenoises sont un bon exemple. La première partie du pressurage, peu riche en polyphénols, nécessite d’être protégée de l’O2 ; avec du soufre ou des gaz neutres. Mais les fins de presses, plus riches en polyphénols, ont besoin d’oxygène, d’où une absence de protection. Ces jus de presse gagnent d’ailleurs à être mis plusieurs fois au contact d’oxygène, pour amoindrir leur amertume et gagner en stabilité. »
Si la protection de l’oxydation lors des vinifications par l’emploi de SO2 se réduit et devrait disparaître d’ici dix ans, estime Arnaud Immelé, notamment via la bioprotection, il n’en est pas de même lors de l’élevage. « Pour les jus blancs, il est important d’avoir les bonnes pratiques, limitant l’apport d’oxygène dans le vin au cours de l’élevage. Pour cela, il faudra employer des gaz neutres lors des étapes de transferts, et éviter la présence d’air dans les tuyaux sur ces étapes. Et aussi, il est important de former le personnel de cave aux bonnes pratiques. »

Trois gaz neutres

Du côté des gaz neutres, trois sont majoritairement utilisés en œnologie : azote, gaz carbonique et argon, avec les mêmes propriétés antioxydantes, estime Arnaud Immélé. « Le gaz carbonique avec ses formes variées, neige ou glace carbonique, offre certains avantages en emploi au fond des cuves par exemple, car il est plus lourd que l’air. L’azote, lui, s’utilise en élevage et à la mise en bouteille, sous forme pure ou mélangé avec du CO2. Quant à l’argon, encore plus inerte et beaucoup plus cher, il reste très peu employé. »
Excellent antioxydant, l’acide ascorbique ou vitamine C peut remplacer la fonction anti-oxydante du dioxyde de soufre, pour protéger les jus à faible teneur en polyphénols. « Sur moût, l’acide ascorbique est efficace, même en l’absence de SO2. Mais à partir de l’élevage, son emploi est plus délicat : avec le risque de former des peroxydes, l’effet pourrait être inverse sur la conservation. Le SO2 est un ralentisseur d’oxydation qui sera intéressant sur la durée, alors que l’acide ascorbique qui réagit très vite sur l’oxygène sera préféré pour contrer les effets d’un enrichissement ponctuel en O2, comme lors des transferts. »
Quant au prix, gaz neutres et acides ascorbiques reviennent toujours plus chers à l’emploi que le soufre, mais « la tendance des vins sans soufre est lancée, bien au de-là des bio, et il est donc important de poursuivre les efforts dans ce sens ! », conclut Arnaud Immélé.

Nouvelles pratiques : la co-fermentation se développe
Avec la baisse des doses de SO2, le risque de fermentations malolactiques est de plus en plus fort à la prise de mousse pour les vins effervescents. Des malo pas toujours voulue, qui traînent, et avec des résultats rarement homogènes d’une bouteille à l’autre, observe Arnaud Immélé. « Pour éviter cela, la pratique de co-fermentation se développe. C’est une fermentation malolactique qui a lieu en même temps que la fermentation alcoolique, ou qui se termine juste après. En 2017, j’ai suivi une 20e de cave, avec 7 000 hl vinifiés ainsi, principalement en Alsace. Finalement, un gain aromatique, une facilité d’emploi et une malo maîtrisée. »
Pour arriver à ce résultat, l’œnologue recommande l’emploi de bactéries sélectionnées, de type Armonia œnolia (AEB), pouvant se développer dans des jus à pH bas, mais relativement sensible au SO2. « Le coût des bactéries reste comparable à d’autres bactéries vendues pour l’œnologie. Pour cette campagne 2018, la 20e de cave repart sur cette technique, et d’autres caves suivront des essais sur d’autres régions : Corse, Bordelais, Loire, etc. »

Article paru dans Viti Leaders de septembre 2018