
« Le renouveau des vins rouges » passe par des vins plus fruités selon l'ICV.
© Hoody Baba/Adobe stock« La surproduction mondiale de vin est structurelle depuis 20 ans. Et l’on entre dans une phase de décroissance de la consommation. Tous les pays sont touchés, comme la Chine qui ne retrouvera jamais son dynamisme. Il n’y a que les États-Unis qui résistent. Le changement des modes de consommation touche fortement le vin rouge, mais il reste le produit vin le plus consommé au monde. Il y a toujours de la demande, et notamment sur des profils plus légers. L’innovation produit est donc pertinente », analysait Marion Barral, consultante chez AOC Conseils, invitée lors d’une matinée technique ICV intitulée « Le renouveau des rouges » dans la vallée du Rhône.
Alors comment faire différemment, plus frais, plus fruité, plus buvable, avec les vignes en place ? En jouant par exemple sur le taux d’alcool. L’objectif étant, bien entendu, de le baisser. « En ce sens, le poids des baies est un paramètre majeur, introduit Tristan Perchoc, conseiller viticole pour l’ICV de Beaumes-de-Venise. On va donc chercher à l’optimiser en favorisant la multiplication cellulaire. Tout se joue à la floraison. Il y a une dizaine de jours d’intenses divisions cellulaires. C’est à cette période cruciale que le vigneron peut intervenir. »
Stimuler la multiplication cellulaire lors de la formation des baies
Sur une année où l’eau est limitante, les viticulteurs qui sont équipés de goutte-à-goutte auront intérêt à faire un apport précoce. Un essai ICV, mené à Tavel en 2023, a montré qu’un apport de 25 mm mi-avril avait permis de gagner 30 % de poids de baie. Pour les autres, il serait possible de « tromper » la vigne. « En coupant les apex à mi-floraison, le viticulteur interrompt la synthèse d’une hormone impliquée dans la croissance végétative : l’auxine. La libération d’une seconde hormone, la cytokinine, est au contraire stimulée. Celle-ci va permettre une meilleure multiplication cellulaire dans les baies », indique Tristan Perchoc.
Un déficit d’eau entrave aussi la minéralisation de la matière organique, la nutrition de la vigne et in fine le poids des baies. Les stratégies dépendent, là encore, des équipements hydrauliques à disposition des viticulteurs. « La fertirrigation est une option pour ceux qui le peuvent. Pour les autres, un apport d’engrais organique foliaire avec 5 unités d’azote avant la floraison est intéressant. Nos essais montrent que l’on peut ainsi gagner jusqu’à 30 % de taille potentielle des baies. »
Rappelons que des baies avec beaucoup de cellules sont des baies avec beaucoup de vacuoles. Leur potentiel de stockage d’eau est donc plus important. Devenues indépendantes physiologiquement du reste de la plante, elles seront moins sensibles à la déshydratation et donc à la concentration des sucres. « Ce sont aussi des baies avec un meilleur potentiel de maturité phénolique et aromatique », atteste le conseiller.
Surveiller l’accumulation des sucres
Toujours dans l’optique de jouer sur la concentration en sucre, il est possible de réduire la surface foliaire. « Presque de moitié sur le côté le moins exposé, au début de la véraison. Avec ce geste, la photosynthèse de la vigne est limitée, le chargement en sucre aussi. On peut perdre 1 à 1,5 degré d’alcool sur le vin fini. La pratique ayant un impact sur la mise en réserve, il faudra compenser par un apport d’acides aminés en fin de saison. »
La date de récolte est bien entendu déterminante. « Le suivi régulier du chargement en sucre des baies est indispensable. On vise le stade fruit frais. »
Du magnésium en foliaire
Obtenir des vins rouges frais passe également par un pilotage de l’acidité. « Dans les baies, les concentrations en acides sont relativement bonnes, celle d’acide tartrique notamment. Le problème, c’est qu’il combine en cuve avec le potassium. Pour limiter ce phénomène, on peut agir sur la nutrition de la vigne et sur l’antagonisme potassium-magnésium. Sur des sols surchargés en potassium, de petits apports précoces en foliaire de magnésium améliorent l’équilibre des éléments dans les baies. » Tristan Perchoc conseille deux ou trois applications de solution à 2 ou 3 % de magnésium, dès le stade petits pois, en foliaire. En association avec un traitement phyto ou seul avec un gros mouillage pour plus d’efficacité.
Jouer sur le microclimat autour des baies a aussi un impact sur l’acidité des jus, avec des filets ou avec des applications d’argile qui vont limiter l’échaudage. Ces coups de chaud dégradent en effet, et entre autres, la concentration en acide malique.
Moins d’astringence
Après la teneur en alcool et en acidité, c’est à l’amertume et à l’astringence qu’il faut s’intéresser. « Pour les diminuer, à la vigne, on va agir sur des leviers agronomiques permettant d’améliorer la maturité phénolique, explique Tristan Perchoc. Pourquoi pas un effeuillage face nord en début de véraison ? Ou bien des biostimulants appliqués à la véraison ? Des solutions montrent une bonne efficacité. » Mais onéreuses et à appliquer seules, elles sont à réserver à des parcelles dont les raisins seront bien valorisés. « L’ICV finalise un projet de biostimulant qui pourrait être associé », confie le conseiller.
La matinée technique de l’ICV a révélé de nombreux leviers agronomiques permettant d’améliorer la buvabilité des vins rouges de la vallée du Rhône. À voir comme une boîte à outils, tous ne sont pas adaptés à chaque situation. « C’est du cas par cas. À raisonner à la parcelle. Mais il y a des solutions pour le vignoble sud-rhodanien. Celles citées précédemment et d’autres comme la vendange en deux fois, la taille tardive ou le surgreffage avec des cépages rouges plus tardifs comme le piquepoul N, le carignan… » conclut Tristan Perchoc.
Séverine Favre
Du blanc dans le vin rouge
Le cahier des charges de l’appellation côtes-du-rhône autorise 5 % de vin blanc dans l’assemblage d’un vin rouge. « Ajouter des raisins blancs en début de fermentation alcoolique augmente l’acidité des jus sans impact sur la couleur. Des cépages comme le bourboulenc, le terret ou le piquepoul sont bien adaptés à cette pratique », assure Tristan Perchoc, de l’ICV.
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