Adhérents à une cave coopérative, ils ont décidé de passer en cave particulière

À la faveur de l’arrivée d’une nouvelle génération, des exploitations viticoles décident de quitter la cave coopérative du coin pour produire leur propre vin. Mûrement réfléchie, cette décision est souvent motivée par l’envie d’aller jusqu’au bout de son travail. 

Julien Klein, vigneron en Alsace

Julien Klein, vigneron en Alsace, a sorti 3,5 hectares sur six de la cave coopérative. Il prévoit de sortir un hectare supplémentaire en 2025.

© Julien Klein

Longtemps, les parents et grands-parents de Claire Carrière et de Xavier Bonnaud1 ont trouvé dans la cave coopérative locale leur intérêt financier, mais aussi un fonctionnement qui les soulageait de certaines contraintes. « Ma belle-mère Catherine Pradal aimait vinifier mais la vente était moins sa partie, raconte Claire Carrière, associée du Domaine Carrière Pradal Famille vigneronne, dans le Languedoc. Alors, quand la crise viticole des années 1980 est arrivée, elle a voulu se dégager du stress d’écouler le vin et a préféré passer en coopérative. »

Dans le Bordelais, sur une appellation réputée, les grands-parents de Xavier Bonnaud ont eux aussi vinifié, des années 1950 à 1960, avant de rejoindre la cave du coin. Là aussi, c’est une crise – une succession d’épisodes de gel et de grêle, puis la faillite d’un négociant – qui les a décidés. « Les caves grossissent en période de crise, observe le Bordelais. Ça se comprend : la mutualisation enlève certains frais, de vinification, de stockage, d’entretien et de mise en bouteille. La coopérative s’occupe de la commercialisation et elle peut aussi avancer de la trésorerie en cas de difficultés. »

« On perd un peu l’identité du terroir » 

S’il a ses avantages, le principe des caves coopératives a aussi ses limites. Vigneron en Alsace à Kintzheim, Julien Klein, dont les parents ont adhéré à la cave dès leurs débuts et sont passés au bio en 2011, confie avoir « toujours trouvé dommage que tous les raisins soient mélangés pour faire du riesling, et que le beau travail que nous faisons à la vigne et la diversité de nos sols – des gneiss, des granites, des calcaires, des marneux – ne soient pas valorisés. On perd un peu l’identité du terroir. »  

Claire Carrière et Baptiste Carrière Pradal, domaine Carrière Pradal dans le Languedoc

Baptiste Carrière-Pradal a souhaité sortir du cadre coopératif au moment de son installation au sein du domaine familial. Pour Claire Carrière, sa belle-soeur et associée : « La raison première était l'absence de reconnaissance de notre dynamique bio et agro-environnementale de la part de la cave. »

© Domaine Carrière Pradal Famille vigneronne

« J’avais l’impression de ne pas aller jusqu’au bout de mon travail et très envie de faire mon propre vin », explique tout simplement Xavier Bonnaud. Plus critique, la languedocienne Claire Carrière se souvient que « nous n’avions aucune reconnaissance vis-à-vis de notre dynamique bio et agro-environnementale, qui est pourtant notre ADN. Nous étions aussi en AOP languedoc, ce qui impliquait une baisse de nos rendements, alors que la coopérative voulait du volume. En somme, tout cela était antagoniste avec le fonctionnement de la cave. » 

Sortie progressive de la cave 

Autant de raisons qui font que, lorsque cette nouvelle génération a décidé de s’installer, elle l'a fait en sortant du cadre coopératif. De manière progressive et mûrement réfléchie. Revenu en 2007 sur l’exploitation familiale, Xavier Bonnaud a attendu 2013, la labellisation bio et la fin du contrat avec la cave pour sortir la moitié de ses vignes, soit trois hectares. Puis ce n’est qu’en 2023 qu’il a totalement arrêté d’apporter ses raisins.

De même, le projet de Julien Klein est né quand il avait 20 ans. Il en a 38 aujourd’hui, et encore trois hectares sur six à la coopérative. « J’ai travaillé dans différents domaines alsaciens entre 2006 et 2016 parce que je sortais d’école et qu’on ne sait pas grand-chose à cet âge-là, se souvient-il. J’avais besoin de goûter des choses à droite à gauche, de m’inspirer de ce qui me plaisait et de demander conseil pour ensuite essayer de faire quelque chose qui me corresponde. »

Vinifications tests

Ce temps est nécessaire pour lancer tous les chantiers qu’implique la création d’un domaine à part entière. Du changement éventuel de pratiques culturales en passant par le renouvellement des vignes, la réalisation de vinifications tests, la création d'une marque et la recherche de marchés.

« Lorsque mon beau-frère Baptiste Carrière-Pradal et sa mère Catherine ont sorti cinq hectares entre 2017 et 2020, ils n’avaient pas de recul sur les caractéristiques du parcellaire, souligne Claire Carrière. Ils ont donc passé les deux premières années à étudier les parcelles avec une équipe d’œnologues pour déterminer quels profils de vins ils pouvaient faire, et de quelle manière ils pouvaient redéfinir le parcellaire en fonction des destinations des vins. » Sept ans plus tard, le Domaine Carrière Pradal vinifie la totalité de ses 55 ha – 26 cépages cultivés – et produit dix cuvées.

Positionnement haut de gamme 

Que ce soit dans le Languedoc, en Alsace ou dans le Bordelais, les trois domaines interrogés se positionnent sur des produits haut de gamme et labellisés bio. Le prix consommateur final est compris entre 10 € et 22 € au Domaine Carrière Pradal, entre 15 € et 46 € chez Julien Klein, et entre 25 € et 60 € chez Xavier Bonnaud. Aucun ne travaille avec la grande distribution, et tous ont investi des marchés sur lesquels leurs vins sont mieux valorisés : restaurants, cavistes, particuliers et export. Ce qui leur permet de se développer malgré le contexte de déconsommation et les aléas climatiques à répétition. 

« Même sur les belles appellations, on sent la crise, reconnaît Xavier Bonnaud. On arrive quand même à gagner des clients particuliers et à l’export. » Julien Klein, qui espère pouvoir bientôt vivre à 100 % de son activité, admet n’avoir fait « aucune vente » en mars, avril et mai. « Maintenant, c’est reparti. Est-ce que ça va durer ? Je n’en sais rien. Je pense en tout cas que si j’avais 15 ha à écouler, la situation serait plus compliquée. » « C’est dur, mais nous avons de très bons signes, positive Claire Carrière. Les marchés se développent à la fois en France et sur l’export, les clients nous suivent, et le business évolue dans le bon sens. Dans tous les cas, nous sommes bien conscients qu’il faut au moins dix ans pour mettre en place un domaine quand on part de zéro. » 


(1) Prénom et nom modifiés à la demande de l’interlocuteur.

Trois conseils pour créer sa cave particulière

1. Commencer par investir dans la partie commerciale 

Consultante au sein de l’agence AOC Conseils, Marion Barral insiste sur l’importance d’intégrer le fait que « vendre du vin prend du temps. Au moins trois ans sont nécessaires pour établir des marchés ». Elle conseille donc d’investir en premier lieu dans la vente en recrutant un commercial qui pourra participer à la création de la marque, définir son positionnement et démarcher des clients. « Il faut aussi avoir en tête que l’investissement commercial implique l’achat de matières sèches, la participation à des Salons et tout un volet communication, ajoute-t-elle. Il est donc important de raisonner en marge et non plus seulement en valorisation à l’hectolitre. » 

2. Éviter les gros investissements  

Plutôt que de se lancer dès les premières années dans l’aménagement d’un chai, Marion Barral évoque la possibilité de faire appel à une prestation de vinification. « Les douanes l’autorisent sur deux ou trois millésimes, et il faut évidemment bien faire sa traçabilité, souligne-t-elle. Le vigneron a moins de latitude en matière de profil des produits et il peut faire moins de choses identitaires, mais c’est intéressant pour commencer à vinifier de petits volumes. » 

3. Bien étudier les attentes du marché  

Vu le contexte actuel, Marion Barral conseille de construire sa gamme de vins en partant des attentes du marché. Elle développe : « l’idée c’est de connaître ce que les consommateurs veulent comme vins, et de voir ce que l’on est capable de faire avec l’outil de production dont on dispose déjà. On peut commencer par essayer de faire des rouges plus digestes en récoltant plus tôt que ce que l’on avait l’habitude de faire en cave coopérative. Le marché est encore dynamique sur les blancs et les bulles, donc si l’on a beaucoup de cépages rouges, il ne faut pas hésiter à se lancer sur un blanc de noir qui trouvera certainement plus preneur sur les marchés qu’un rouge à 15°. »