Dans les pays qui ont adopté une législation positive sur la consommation de cannabis à usage thérapeutique et/ou récréative, la consommation d’alcool semble reculer. Des industriels s’intéressent à un marché en construction : celui des boissons à base de cannabis.
En France, en 2017, le marché a été évalué à 1,2 milliard d’euros. Dans le monde, il pourrait atteindre les 150 milliards de dollars. La vente de cannabis est un marché lucratif, qui se fait certainement à 95 % sur le marché noir.
Encore balbutiant, le cannabusiness légal se développe à mesure que les pays légalisent le cannabis à usage récréatif et/ou thérapeutique. « Il y a un changement de considération et un vent de légalisation portés par l’aspect médical, expliquait Matthieu Brun, chercheur associé à Sciences Po Bordeaux et responsable des études du Club Demeter, dans un épisode du postcast « La Story » des Échos. Le marché légal est porteur à long terme. Et si l’industrie agroalimentaire s’intéresse à ce secteur, en particulier les entreprises du tabac et de la boisson comme Heineken ou Coca-Cola, c’est parce qu’il y a des parts de marché à prendre. Par ailleurs, dans les pays qui ont légalisé le cannabis récréatif, on mesure une baisse de la consommation d’alcool. Si on prend un produit comme une bière et une boisson à base de cannabis, on a les mêmes effets, mais sans alcool. » Le cannabis serait-il un concurrent sérieux aux boissons alcoolisées et donc au vin ?
Cannabis légalisé et consommation d’alcool réduite
Des études scientifiques abondent dans ce sens. L’une d’entre elles, menée par des universitaires américains, montre que dans les comtés du pays où le cannabis thérapeutique est légalisé, la consommation d’alcool a baissé en moyenne de 15 %. Cette baisse s’inscrirait dans le temps : « Les effets ne sont pas de courte durée, avec des réductions observées jusqu’à vingt-quatre mois après l’adoption de la loi. » La tendance observée aux États-Unis serait identique au Canada, pays qui a légalisé le cannabis pour un usage récréatif et thérapeutique fin 2018. « Beer Canada, l’association de l’industrie de la bière au Canada, rapporte que les ventes globales de bière ont diminué de 3 % au cours de la première année complète de légalisation du cannabis », peut-on lire dans un article paru sur Newsweed, un média en ligne d’informations françaises et en français sur le cannabis.
« Toutes les études ne s’accordent pas sur l’effet de la légalisation du cannabis médical sur la consommation d’alcool, mais la présomption d’une diminution est forte, complète Aurélien Bernard, fondateur de Newsweed. Sur 39 études abordant le sujet, 16 concluent que les gens remplacent l’alcool par le cannabis, alors que 10 suggèrent que la plus grande disponibilité du cannabis augmente la consommation d’alcool, 12 ne voient aucun effet. Néanmoins, il faut prendre en considération le fait que les statistiques portent surtout sur la situation aux États-Unis, et que d’un état à l’autre les résultats sont variables. Et l’effet négatif de la légalisation du cannabis sur la consommation d’alcool porterait plutôt sur la bière. Donc il est difficile de conclure et de généraliser sur le fait que le cannabis serait un substitut à l’alcool. En revanche, il est clair que les alcooliers voient dans le cannabis un relais de consommation. Dans la plupart des pays, la consommation d’alcool est en baisse1. Pour ces entreprises qui ont déjà un réseau de distribution bien construit, le cannabis et les boissons que l’on peut faire à base de cannabis représentent une diversification assez simple à mettre en œuvre. »
Le cannabis 2.0 ou le potentiel boom des produits dérivés
En plus des fleurs et de la résine, les produits historiques à base de cannabis, on voit se développer des produits dérivés nouveaux, réunis sous l’appellation cannabis 2.0. Sur le créneau alimentaire, le space cake est rejoint par des pizzas, des steaks, et surtout des boissons enrichies en THC ou en CBD. « Concernant celles à base de CBD (une des molécules du cannabis ayant des effets thérapeutiques avéré sans effet psychotrope), aujourd’hui le savoir-faire est mal maîtrisé, car la molécule n’est pas soluble dans l’eau. Souvent, il y a moins de CBD dans la boisson que ce qui est annoncé sur l’étiquette. Les boissons à base de THC présentent aussi des problèmes techniques sur le goût, la texture, la concentration et donc sur les effets, mais aussi sur la vitesse à laquelle ils se font ressentir. Pour concurrencer l’alcool, il faut que les effets du THC sur l’organisme se manifestent aussi vite que ceux de l’éthanol, avec une persistance courte. Techniquement, c’est un marché immature. L’arrivée d’acteurs de poids comme Constellation Brands (bière Corona) ou Heineken peut changer la donne. »
Selon un récent article de StrainInsider, un site d’information anglophone sur le cannabis, il n’y a pas que la technique qui pêche, le positionnement marketing des boissons au cannabis a aussi du mal à être identifié. « À l’instar des consommateurs potentiels, de nombreuses marques de l’industrie sont toujours incapables d’exprimer exactement ce qu’est une boisson au cannabis. Certains ont fait valoir qu’il remplacera les boissons après le travail pour les consommateurs cherchant à se débarrasser de l’alcool. D’autres ont décrit ces boissons comme une catégorie à part entière, à l’image du kombucha. » Cette dernière proposition est la ligne adoptée par Constellation Brands, pour qui il s’agit de « créer une catégorie. Avant Red Bull, il n’y avait rien de tel. Les boissons à base de cannabis répondent à un nouveau besoin ».
(1) Dans les pays de l’OCDE, la consommation annuelle moyenne correspond à 9,1 litres d’alcool pur par habitant, soit une baisse de 2,5 % en moyenne au cours des vingt dernières années.
Les producteurs de cannabis veulent faire reconnaître leur savoir-faire et leurs terroirs
« Il y a un vrai parallèle entre la production de cannabis et la production de vin, estime Aurélien Bernard, le fondateur du média en ligne Newsweed. Dans le discours de producteurs historiques et chez les amateurs avertis, les notions de terroirs, de savoir-faire, d’effet millésime, de variétés et de mode de production font leur apparition. Ce sont des paramètres qui impactent la qualité de la fleur et donc des produits dérivés qui sont achetés par les clients consommateurs. La logique est la même avec le raisin et le vin. Comme certains vignerons et vins sont reconnus, il y a un phénomène identique avec des cultivateurs et certains de leurs produits. Une notoriété se construit et ceux qui en bénéficient veulent la protéger. » On voit donc apparaître des textes de loi contraignants, comme en Californie. Là-bas, le gouverneur a fait passer une loi qui élargit les interdictions concernant l’usage impropre de noms de comté pour des produits à base de cannabis afin d’inclure une protection des appellations basée sur des régions géographiques spécifiques. « Très concrètement, une marque de cannabis ne peut pas utiliser le nom de Humboldt, un comté réputé pour sa culture de cannabis en extérieur, si son produit n’a pas effectivement poussé à Humboldt et s’il n’est pas exclusivement composé de cannabis issu de là-bas », détaille Aurélien Bernard. Mais bientôt, pour aller plus loin dans la protection, exactement comme pour le vin de Californie, des aires d’appellations verront le jour.
Les Français consommeraient entre 360 et 500 tonnes de cannabis par an. Il faut compter en moyenne 10 euros le gramme d’herbe, 5 euros le gramme de résine et 40 euros le gramme de concentrés. Sur une base de 30 tonnes consommées chaque mois, la dépense des Français en cannabis en 2020, selon le magazine Newsweed, est estimée à 3,24 milliards d’euros. Ce chiffre est bien supérieur à une autre estimation, celle faite en 2017 par l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies qui table sur 1,7 milliard d’euros.
Article paru dans Viti Les Enjeux 33 de décembre 2020