Didier et Vincent Quiroga, père et fils, se sont lancés dans la production et dans la vente de vin sans aucune expérience dans le secteur. Sans a priori et sans réseau, ils ont construit une stratégie commerciale originale pour un domaine familial : produire des vins « plaisir » identitaires, de qualité, à un coût réduit, tout en conservant une marge viable et en ciblant des professionnels capables de commander de gros volumes.
L’histoire de Vincent Quiroga est originale, la stratégie du domaine l’est tout autant. à 19 ans, Vincent convainc sa famille de se lancer dans le métier de vigneron et leur propose un petit domaine de 7 ha avec un fort potentiel de qualité mais en faillite. Nous sommes alors en 2014, Vincent vient tout juste de revenir d’Afrique du Sud après avoir obtenu son bac pro viti-œno et Didier, son père, le rejoint quelques mois plus tard, mettant de côté d’autres activités professionnelles pour l’épauler dans ce projet bien plus complexe qu’il ne le pensait. À l’un la production et la passion, à l’autre la stratégie, la commercialisation et l’administration. « Nous étions et nous sommes encore des nouveaux arrivants sur l’appellation côtes-de-provence. Et à l’époque, en plus de ne pas être connus des acheteurs, les vins de la propriété n’étaient pas reconnus. Impossible donc de profiter de la notoriété passée du domaine. C’est sans clientèle que nous nous sommes lancés dans l’aventure », se remémore Didier Quiroga, père de Vincent et actuel propriétaire du domaine de l’Allamande situé au nord de Hyères dans le Var.
Débutant dans le monde viti-vinicole, Didier Quiroga n’est en revanche pas un néophyte dans le monde de l’entreprise. Cet ingénieur de formation est fondateur et gérant de plusieurs sociétés dans le domaine naval en France et à l’étranger. « J’ai réalisé une analyse de marché standard en me focalisant sur l’offre des vins “plaisir” que l’on peut trouver dans la région. Pour percer, nous avions deux possibilités : se faire une place à renfort de grands coups marketing ou être des suiveurs de marques. L’option une a été rejetée. J’avais déjà beaucoup investi pour l’achat du domaine, nous avions peu de vignes en production (7 ha), peu de vins à proposer, et Vincent était un tout jeune vinificateur. Nous sommes donc raisonnablement partis pour l’option deux : être des suiveurs de marques, mais des suiveurs qui devaient rapidement faire du bénéfice. J’ai donc appliqué un raisonnement industriel à un domaine familial. »
La clientèle professionnelle est privilégiée pour écouler la production intégralement mise en bouteille. Didier Quiroga vise le commerce BtoB et ses gros metteurs en marché et en priorité la grande distribution.
Une vision volumique des ventes
Didier Quiroga définit son business model pour prendre des parts de marché rapidement avec comme ticket d’entrée des prix concurrentiels pour des vins de qualité et identitaires et des volumes de 10 000 à 40 000 cols par client, ce qui mène le père et le fils à :
- agrandir le domaine pour atteindre rapidement 40 ha ;
- commercialiser leurs vins sans intermédiaire ;
- une réduction maximale des frais généraux et commerciaux ;
- mener l’analyse de la valeur sur leurs coûts de production, pour réduire ceux d’achats, mais aussi pour être le plus efficient en termes de production.
« Ce qui se traduit par des investissements en matériels performants, la décision de faire, et non de faire faire, que ce soit la mise en culture, la mise en bouteille ou encore la maintenance des matériels, et ce, avec une équipe réduite. Dans les forces vives du domaine, il y a mon fils à la vigne et au chai aidé désormais par deux ouvriers agricoles, sa compagne pour l’administration des ventes et moi à 50 % encore quelque temps. Pour satisfaire l’objectif de rentabilité, avec les préalables décrits précédemment, la stratégie identifiée comme la plus pertinente était donc de se concentrer sur quelques clients importants, de ne pas nous disperser. Sans intermédiaire, j’ai répondu à des appels d’offres émanant de magasins locaux pour, petit à petit, placer les vins du domaine à l’échelle régionale, puis, maintenant, nationale. »
Quand un producteur est nouvellement référencé, dans la plupart des cas un autre sort. Pour Vincent et Didier Quiroga, le défi était donc de séduire les acheteurs grâce à un rapport qualité/prix assez attractif pour pousser dehors des marques concurrentes. « Avec un rendement de 40-45 hl/ha, nous visons un prix de vente à la sortie du chai de minimum 520 €/hl pour le rosé AOP côtes-de-provence donc environ 3,90 euros HT/col. D’après les référentiels établis par la chambre d’agriculture du Var, nous sommes 20 à 40 centimes moins chers que la moyenne des concurrents vignerons-producteurs. Mais il ne sert à rien d’être distribué si l’on ne peut pas en vivre. Alors pour dégager un cash-flow1 de 30 à 40 % avec ces prix de vente, tous les coûts de production sont minimisés. Notre leitmotiv est de produire des vins low-cost. La structure de nos coûts est donc bien étudiée. »
Viser la qualité
Le domaine de l’Allamande se distingue de la norme dès le poste de production. « Entre des raisins de bonne qualité et des raisins de moins bonne qualité, entre des pratiques respectueuses de l’environnement et celles qui le sont moins, il n’y a pas vraiment de différence de coûts significatifs rendus à la bouteille (bien inférieurs à du décorum packaging), estime le gérant du domaine de l’Allamande. Donc, autant viser la qualité et le moindre usage d’intrants : un choix fait par de nombreux confrères. En revanche, nous nous différencions par nos méthodes. Vincent utilise nos propres outils d’aide à la décision et logiciels de suivis des besoins pour appliquer le strict nécessaire. Nous ne faisons pas appel à des conseillers externes pour commander les produits phytosanitaires, les engrais et les amendements. Je lance des appels d’offres au niveau européen. S’il n’y a pas trop de différences sur les amendements, sur les phyto, sur la base de spécification de molécules, les prix peuvent passer du simple ou double si j’arrive à bien remonter la chaîne de distribution. La définition de l’agriculture raisonnée devrait d’ailleurs être celle-ci : un raisonnement agronomique et économique. »
Sur la vinification, la stratégie low cost se joue essentiellement autour des capacités de stockage. La production actuelle de 150 000 cols entre au chausse-pied dans les cuves du domaine. Moins de cuves, c’est moins de capacité de froid à déployer, mais aussi, lors de la vendange, moins de frais à engager… Grâce à une récolte manuelle sur les 30 ha de vigne que compte aujourd’hui le domaine. « Avec les vendangeurs, la récolte dure en moyenne quatre semaines. L’entrée de la vendange est étalée sur toute la journée, contrairement à ce qu’il se passe généralement lorsque l’on opte pour la machine à vendanger. Avec notre logique, pas besoin de multiplier les pressoirs, les usines frigo, les productions électriques… Mais les économies les plus importantes se font sur le reste de la chaîne de production du vin : à la mise en bouteille. »
Comme pour les intrants de protection des cultures, les matières sèches sont commandées sur appels d’offres européens. Le fournisseur le moins cher qui remplit le cahier des charges strict établi par la famille Quiroga remporte la mise. Au domaine de l’Allamande, la fidélité n’entre pas dans l’équation.
Par la suite, l’embouteillage est effectué par Vincent Quiroga sur une machine récente acquise d’occasion, entretenue par le vigneron. Les vins sont conditionnés au fur et à mesure des commandes, pour ne pas avoir à investir dans un local de stockage conséquent, mais aussi pour étiqueter selon les demandes des clients. « Lorsque l’on n’a pas de notoriété, il est intéressant “d’offrir” des services en plus de la concurrence. La souplesse et la réactivité sont des services que nous pouvons proposer puisque nous avons internalisé la mise en bouteille et la PAO, et dans le même esprit services, la production des contre-étiquettes spécifiques. »
Peu de références dans la gamme
Du côté de la gamme de vins proposés par le domaine de l’Allamande, la couleur dominante est bien entendu le rosé. 85 % des vins du domaine provençal sont des rosés. Deux profils sont élaborés : amylique et thiolé. Une référence pour chacun d’entre eux. « Avec 30 ha, nous ne sommes pas de gros faiseurs et les commandes portent sur des volumes importants. Donc, sur ce point aussi, il n’est pas raisonnable de se disperser. » Concentrer les efforts pourrait être la devise de la famille Quiroga ! Même le portefeuille client est limité. Mais, en bon entrepreneur, Didier Quiroga ne met pas tous ses œufs dans le même panier. Le domaine cherche le compromis entre l’éparpillement et la dépendance.
Les 150 000 cols sont répartis grosso modo en paquets de 30 000 cols : un paquet pour la vente aux particuliers et l’export, et les quatre paquets restants pour les enseignes de la GD, les grossistes et les acteurs du CHR capables d’acheter a minima une palette par commande. « Sur la grande distribution, nous travaillons essentiellement avec trois groupements : Grand Frais, Casino et Leclerc. Le plus gros des affaires se fait aujourd’hui au niveau national, un échelon plus facile à atteindre que l’on ne croit pour un vigneron qui a des volumes à proposer. Dans les catalogues nationaux, les références de vins “plaisir” faites par des vignerons sont rares et recherchées », confie Didier Quiroga qui est toujours autant surpris par les techniques d’achat des centrales. « Les acheteurs n’ont pas le réflexe de la contractualisation pluriannuelle. Pourtant, je leur propose des contrats avec une révision annuelle des prix, indexés sur les indicateurs Insee comme cela se fait dans de nombreux autres secteurs d’activité. Sur un produit comme les rosés de Provence dont les prix augmentent chaque année plus que l’inflation, ce serait pourtant un moyen pour les enseignes de sécuriser les prix. »
(1) Synonyme de capacité d’autofinancement, ou d‘excédent brut d’exploitation.
Malgré la stratégie low cost déployée, le domaine de l’Allamande investit dans quelques concours et Salons professionnels. Les vins de Vincent Quiroga sont régulièrement présentés aux concours comme Decanter, guide Hachette, le concours des vins de Macon, guide Gilbert et Gaillard, le concours général de Paris. « Les médailles sont rassurantes pour certains acheteurs et cela participe à construire la notoriété du domaine dans la filière, estime Didier Quiroga. C’est aussi un excellent moyen de se comparer aux concurrents. Pour Vincent, qui est un jeune vinificateur, les concours sont un moyen d’évaluer la qualité de son travail. Les notes et la couleur des médailles augmentant, cela traduit une progression encourageante. » Du côté des Salons, le domaine participe à des événements comme Wine Paris, Vinisud, Vinexpo, ProWein ou encore les rencontres organisées par Force 4. « ProWein, avec le recul, n’est pas adapté à notre structure. Difficile de percer pour un nouvel arrivant sur ce Salon où il n’y a que très peu d’opportunités de rencontres fortuites. Sur Vinisud et Wine Paris, la prospection est généralement bonne. Les clients sont là pour acheter. Vinexpo, au contraire, serait plutôt un Salon de notoriété, d’échanges. Pour le domaine, les trois événements sont intéressants et complémentaires, avec une présence régulière. Plus récemment, nous avons aussi participé à Paris et à Cannes à des rencontres Force 4. Nous souhaiterions avoir plus de contacts sur Paris dans les CHR d’envergure. Pour y arriver, il semble important de rencontrer les sommeliers en direct. Force 4 le permet car chaque événement est parrainé par l’association régionale de la profession. »
Article paru dans Viti 443 de mai-juin 2019