Les vignerons de Jurançon passent au régime sec

Portés par la demande des consommateurs, de plus en plus de producteurs de jurançon moelleux développent leur production de vins blancs secs. La dynamique a même poussé la coopérative gersoise Plaimont à s’implanter dans ce territoire béarnais. La cave veut y produire 200.000 bouteilles de jurançon sec sur le millésime 2023. 

Jurançon

Situé dans le piémont pyrénéen, le vignoble de Jurançon bénéficie d'un climat et d'une pluviométrie qui en font un terroir propice à des vins blancs secs.

© Pierre Carton pour les Vignerons de Jurançon

Près de 50 ans après la création de l’appellation, le jurançon sec n’est clairement plus un « sous-produit du moelleux » qui permettait de valoriser les raisins des premières tries. Le réchauffement climatique passant par là combiné à l’amélioration des techniques de vinification font que le jurançon sec est aujourd’hui un « vin à part entière ».

Le jurançon, en phase avec les attentes des marchés

Le jurançon a l’avantage d’être en phase avec les attentes des marchés, avides de blancs secs. Et qui tire son épingle du jeu face à des vins de Bourgogne toujours plus chers, et des vins de Loire en pénurie après la succession, ces dernières années, d’épisodes de gel destructeurs. 

Thomas Pissondes, président des vignerons indépendants de Jurançon

Thomas Pissondes, président de l'association Sur la route des vins de Jurançon qui réunit 65 vignerons indépendants.

© Vignerons de Jurançon

Ce qui n’a pas échappé aux producteurs béarnais. Créée en 1986, l’association Sur la route des vins de Jurançon réunit 65 vignerons indépendants qui représentent un peu moins de la moitié des 1.400 ha de l’appellation. Thomas Pissondes, leur président, estime que « pratiquement tous nos adhérents font aujourd’hui du sec et ont dans leur gamme un nombre équivalent de cuvées en moelleux et en sec ». Alors qu’elle a longtemps été à 2/3 contre 1/3, la production de ces vignerons se partage désormais à 50/50 entre moelleux et secs.  

Pas de concurrence entre sec et moelleux 

Du côté de la cave coopérative de Gan, le volume de jurançon sec a lui aussi progressé, mais pas au détriment du moelleux. En effet, la proportion entre les deux types de vin est stable depuis 2017. De l’ordre de 1/3 de sec pour 2/3 de moelleux. C’est donc par l’augmentation des surfaces que la coopérative a développé son volume de sec. De 724 ha en 2017 sur l’appellation jurançon, elle est passée à 800 ha en 2022 pour 250 coopérateurs.  

François Ruhlmann, directeur de la cave coopérative de Gan

François Ruhlmann, directeur de la cave coopérative de Gan.

© Cave de Gan

« Il n’y a pas de concurrence entre le sec et le doux, insiste François Ruhlmann, le directeur. Le jurançon sec progresse parce que les personnes se détournent du vin rouge, et non parce qu’il y aurait une déconsommation de jurançon doux. Les consommateurs recrutés sur le jurançon sec sont souvent d’anciens consommateurs de rouge. » À ses yeux, imaginer que la production de sec puisse, dans les trente prochaines années, dépasser celle du vin moelleux n'est pas très réaliste.

Vers une montée en gamme  

Pour les vignerons, passer du moelleux au sec est relativement simple puisqu’une même parcelle peut fournir l’un et l’autre. C’est d’ailleurs la manière traditionnelle de produire en Jurançon. La première trie, à la mi-septembre, sert à élaborer le jurançon sec et le jurançon doux léger, puis la deuxième et la troisième trie, de mi-octobre à début décembre, donnent naissance à un jurançon doux plus riche et à des vendanges tardives.

La zone d’appellation et les cépages sont donc les mêmes. Au minimum 50 % de petit ou de gros manseng, et éventuellement du petit courbu, du courbu, du lauzet ou du camaralet. Le rendement autorisé par le cahier des charges est de 60 hl/ha en sec, et de 40 hl/ha en moelleux, mais la principale différence réside finalement dans la date de récolte qui influe sur la concentration en sucre. 

Olivier Bourdet-Pees, directeur général de l’union de coopératives Plaimont

Olivier Bourdet-Pees, directeur général de l’union de coopératives Plaimont.

© Michel Carossio

Néanmoins, dans une perspective de montée en gamme du jurançon sec, l’exposition des parcelles n’est pas anodine. Nouvellement arrivé en Jurançon, Plaimont a rigoureusement choisi les terroirs à partir desquels il voulait produire son Yura, un nom qui vient de Yuransoû, « jurançon » en béarnais.

« Nous avons rencontré des vignerons qui recherchaient un projet pour écouler leur production, ce qui représentait 70 ha, raconte Olivier Bourdet-Pees, directeur général de l’union de coopératives. On ne voulait pas de terroirs solaires, mais des terroirs de fraîcheur avec des expositions moins sudistes, plus à l’ouest, en pied de coteaux, avec une alimentation plus régulière pour amener de vraies maturités juteuses. »

Redécouverte de cépages « accessoires »

Yura se compose aujourd’hui de 2/3 de gros manseng et de 1/3 de petit manseng, mais Plaimont a pour projet de planter du camaralet pour son côté floral. De leur côté, les vignerons de Jurançon n’ont pas attendu la coopérative gersoise pour se saisir des « cépages accessoires » autorisés par l’appellation. « Il y a 15-20 ans, quand des vignerons ont eu l’impression d’avoir fait le tour du moelleux et ont eu envie de se renouveler via le sec, ils se sont formés pour s’améliorer techniquement, retrace Thomas Pissondes. Mais ils ont aussi redécouvert des cépages comme le camaralet, le lauzet ou le petit courbu, qui concentrent moins les sucres et présentent moins d’acidité que le petit et le gros manseng. »

L’arrivée de la coopérative gersoise en terres béarnaises en dit long sur le potentiel commercial que représente le jurançon sec. Avec 24 millions de bouteilles vendues par an et un chiffre d’affaires global de 75 millions d’euros en 2023, Plaimont revendique d’être le « leader des vins du Sud-Ouest ». Historiquement, grâce à ses 600 adhérents répartis sur 5.300 ha, elle ne rayonnait que sur des appellations gersoises – saint-mont, madiran et pacherenc-du-vic-bilh – et sur l’IGP Côtes de Gascogne. 

Export et grande distribution en ligne de mire 

À côté, les 35 hectares sur lesquels travaillent une quinzaine de vignerons de Jurançon semblent être une goutte d’eau. Leurs contrats d’approvisionnement n’étant pas reconduits par la Confrérie du jurançon, filiale de Castel Frères, ils se sont engagés sur cinq ans à fournir leur production à une filiale spécialement créée par Plaimont.

Vinifié et élevé dans le chai de la Confrérie du jurançon, à Monein, Yura a été produit à 20.000 bouteilles lors de sa première cuvée, en 2022. L’objectif est de passer à 200.000 bouteilles dès le millésime 2023. En comparaison, la coopérative de Gan produit aujourd’hui un peu moins de 1,3 million de bouteilles de jurançon sec, principalement vendues en grande distribution et à l’export. 

Yura, jurançon sec créé par la coopérative Plaimont

Yura, le jurançon sec créé par la coopérative Plaimont, sera produit à 200.000 bouteilles pour le millésime 2023.

© Plaimont

La gamme de Plaimont se compose d’un premier vin, produit à 150.000 bouteilles vendues entre 8,50 € et 9 €, et d’un deuxième vin plus élaboré, produit entre 30.000 et 40.000 bouteilles vendues entre 13,50 € et 15 €. Les marchés visés sont principalement la grande distribution et l’export qui représente déjà 55 % des ventes de la coopérative.

« Il y a aujourd’hui une vraie ambition, chez tous les acteurs du territoire, pour produire des jurançons secs, observe Olivier Bourdet-Pees. Et je pense que par notre histoire, notre connaissance des vins blancs secs – nous en faisons depuis des années en Gascogne – nous pouvons aider à mettre en lumière quelques cuvées un peu plus haut de gamme, y compris en France, que ce soit en grande distribution ou sur les réseaux traditionnels. »