
Les GFA mutuels de la Marne interviennent en majorité sur les terres arables mais peuvent, à l’occasion, acheter des vignes.
© Champagne Rigot et filsDepuis une cinquantaine d’années qu’ils ont été créés, les GFA mutuels de la Marne ont largement fait la preuve du concept. Issus de groupements agricoles fonciers ayant même précédé la loi de 1971 créant les GFA, ils ont conservé leur principe fondateur : réunir des personnes pour acheter ensemble du foncier et le donner à louer à long terme à un fermier. Actuellement au nombre de 26, soit environ un par canton, il gèrent 4.000 ha pour 19.000 parts et rassemblent 3.800 porteurs.
« L’avantage de nos GFA mutuels par rapport aux GFA familiaux est que les porteurs sont plus nombreux et n’ont pas forcément de lien de parenté », souligne Antoine Bertin, responsable du pôle foncier à la FDSEA de la Marne. Aussi, point de rancœurs familiales qui risquent d’envenimer les relations. Et lorsqu’un porteur souhaite sortir du GFA, il est fort probable qu’un autre associé sera intéressé pour racheter ses parts, ce qui risque moins de déstabiliser la structure.
Sécurité quasi-totale pour le fermier
Avec ce système, chacun trouve son intérêt : le fermier en place confronté à une vente peut continuer à exploiter les terres en bénéficiant d’un bail à long terme. De l’autre côté, les apporteurs de capital reçoivent un dividende (+ 2 % par an) et peuvent compter sur une augmentation de la valeur des parts (+ 3 % par an), soit + 5 % par an actuellement. Somme à laquelle se rajoute l’avantage fiscal lié au bail à long terme.
« Nous proposons des baux de 25 ans à long préavis (quatre ans) », explique Antoine Bertin. Pour le fermier, la sécurité est quasi-totale, puisque le GFA mutuel ne peut pas reprendre les terres pour exploiter et n’a pas vocation à vendre. D’ailleurs, en 50 ans, un seul congé a été donné à un fermier. « Nous avons des baux qui sont transmis du grand-père au petit-fils après avoir fait toute la carrière du père », relate le responsable.
Un comité de gérance qui décide
Les GFA mutuels de la Marne interviennent en majorité sur les terres arables mais peuvent, à l’occasion, acheter des vignes. L’équation de la rentabilité est toutefois rendue difficile à résoudre par le prix du foncier viticole qui a atteint en moyenne 1,09 M€/ha en 2023 selon les chiffres de la Safer. Dans la région, le foncier fait l’objet d’une attention particulière car il participe à l’équilibre entre les maisons de Champagne et les vignerons.
À chaque nouvelle opération potentielle, les neuf personnes du comité de gérance du GFA mutuel concerné se réunissent pour étudier le dossier. S’ils sont d’accord sur la transaction, le montant de la part est calculé, incluant le prix des terres à acheter, les droits d’enregistrement, etc. Une campagne de souscription est alors lancée auprès des agriculteurs, viticulteurs, propriétaires... Lorsque la somme est réunie et après passage en comité Safer, une assemblée générale extraordinaire valide l’achat.
Investisseurs non issus du monde agricole
« À chaque opération, nous recevons en moyenne 137 % des sommes nécessaires », a calculé Antoine Bertin. L’augmentation de capital est l’occasion de faire entrer de nouveaux candidats à l’investissement. La plupart des porteurs de parts sont directement liés à l’agriculture, mais les GFA ont aussi accueilli des personnes non issues du milieu agricole qui souhaitaient investir dans la terre, par attachement à la région, par exemple. Il arrive que de gros investisseurs voient leur participation répartie entre plusieurs GFA, pour limiter la déstabilisation des structures en cas de retrait. Retrait qui demeure peu fréquent. Un porteur de part reste 27 ans en moyenne.
Inspirés par l’initiative marnaise, d’autres GFA mutuels ont été créés dans des départements voisins, mais aussi en Poitou-Charentes ou plus récemment dans l’Ain... « Pour réussir un GFA mutuel, il faut un juste prix d’achat, un juste fermage et un bon fermier », estime Antoine Bertin. Une question d’équilibre, en résumé.

En Champagne, les GFA mutuels ont conforté une partie de son exploitation
Vignerons à Baslieux-sous-Châtillon (Marne), Hervé et Isabelle Rigot avaient investi dans un pressoir et une cuverie en 2012. Un gros investissement qu’ils avaient décidé en partie pour préparer l’installation de leur fils, Paul. Aussi, quand un tiers des vignes qu’ils cultivent est mis en vente en 2017, c’est le choc. Vu le prix du foncier en Champagne, impossible de racheter, les banques refusant de prêter sur une durée aussi longue.
Des personnes de la terre
Hervé Rigot se tourne alors vers la Safer, qui le met en contact avec les GFA mutuels. « Nous avons beaucoup discuté et tout s’est bien passé. Ce sont des personnes de la terre, qui veulent aider l’agriculture », estime-t-il. L’achat d’environ 40 ares a été réparti entre deux GFA pour environ 850 000 €/ha à l’époque. La levée du fonds a bien fonctionné. Les vignes sont louées à long terme pour un fermage équivalent à 3 000 kg de raisin par an, payé au tarif interprofessionnel de l’année (6,77 €/kg en 2023 pour la commune de Baslieux). La maison Bollinger a acheté le reste des surfaces et a les données en location au vigneron via un bail à long terme, avec paiement en raisin (métayage) : le tiers de la récolte est livré sous forme de moût.
Installation en voie de finalisation
Cette opération a permis d’envisager l’avenir plus sereinement, notamment l’installation de Paul, aujourd’hui en voie de finalisation. Certifiée HVE et viticulture durable en Champagne, les Champagne Rigot et fils élaborent sept cuvées, pour environ 15 000 bouteilles par an. Les projets ne manquent pas : ramener le pressoir sur l’exploitation (il est situé à 5 km pour l’instant), remplacer l’enjambeur qui a plus de 20 ans… « Mais lorsque l’on est locataire, on est toujours soumis au risque de voir partir ses vignes », déplore Hervé Rigot qui n’exclut pas de retourner à l’avenir vers les GFA mutuels si nécessaire.