À quoi ressemble le vignoble du futur des vignerons de Buzet ?

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En 2019, Les Vignerons de Buzet ont planté un vignoble expérimental sur 17 ha, dont 12 ha sont dédiés à l’étude d’un itinéraire technique de rupture, imaginé pour répondre aux problématiques identifiées sur le vignoble de demain. Un projet aussi ambitieux qu’instructeur qui dessine déjà les contours des techniques viticoles à venir. Carine Magot, responsable vignoble, détaille le projet.

Des vignes sur un sol entièrement enherbé, des arbres et des haies au milieu des rangs, des cépages résistants, une taille mécanique avec un port retombant… ce n’est pas un roman qui nous propulse dans le futur, mais bien le vignoble de demain que Les Vignerons de Buzet ont décidé de réfléchir, construire et éprouver. Ce projet ambitieux est né d’une réflexion collective débutée en 2016. « Nous avons tracé une grande flèche désignant l’avenir et nous nous sommes posé la question : À quoi ressemblera le vignoble du futur ? », introduit Carine Magot, responsable vignoble à la cave Les Vignerons de Buzet dans le Lot-et-Garonne. « Depuis 2005, nous avons testé et validé plusieurs techniques grâce à des expérimentations au vignoble telles que les couverts végétaux ou la limitation des intrants. Avec ce nouveau vignoble, nous voulons capitaliser sur tout ce que nous avions appris et cristalliser notre savoir-faire. »


Une réflexion sans limite

« Notre vision du vignoble du xxie siècle est un vignoble résilient, adapté au changement climatique, sans intrants de synthèse et viable économiquement », explique la technicienne. Les Vignerons de Buzet excluent par exemple le recours à l’irrigation : « S’il devait venir à manquer d’eau, la vigne ne sera pas la culture prioritaire ». Après un an de réflexion, le groupe de travail a identifié 30 modalités différentes à expérimenter sur 17 ha, uniquement sur des raisins destinés à produire du vin rouge et entièrement conduits en agriculture biologique. Le vignoble expérimental a été partagé en deux : 5 ha sont dédiés à l’étude de nouveaux cépages dans le cadre d’une convention avec l’INAO et 12 ha à l’étude d’un itinéraire technique de rupture au regard de ce qui est pratiqué aujourd’hui dans les vignobles.


Une approche systémique

Les 12 ha du vignoble expérimental ne sont pas imaginés de manière traditionnelle avec des témoins permettant de comparer une modalité qui change, mais dans une approche systémique dont l’objectif est de développer un écosystème le plus complet possible. En regroupant tous les leviers permettant la transition agroécologique sur une même parcelle, l’équipe technique fait l’hypothèse que c’est la combinaison de chacun qui permettra d’obtenir des résultats intéressants. « Peut-être que l’arrêt du cuivre ne peut pas fonctionner s’il est le seul paramètre variable, mais que, dans un système avec un sol vivant et une forte biodiversité autour de la parcelle, il devient possible», suggère Carine Magot.
« Dans toute notre réflexion, le système monoculture et monovariété est pour nous le moins adapté aux conditions de demain », souligne Carine Magot. Accompagnée d’experts, l’équipe du vignoble expérimental s’est formée pendant six mois aux différents aspects de l’agroforesterie. « L’implantation d’arbres et de haies a un effet sur les ravageurs de la vigne. L’arbre permet d’explorer une partie du sol où la vigne n’a pas accès. Des synergies mycorhiziennes se créent. » Les Vignerons de Buzet ont implanté une rangée d’arbres ou une haie tous les 6 rangs de vigne. Différentes modalités ont été mises en place : choix des espèces, des densités de plantation, éloignement avec la vigne… Dans les haies type « fruitières », on retrouve plus de 25 espèces différentes comme le figuier, le noisetier, l’abricotier, le néflier, le grenadier. Dans les haies fruitières et champêtres, les arbres précédemment cités sont mélangés avec des érables champêtres, tilleuls, peupliers, saules, frênes… Par ailleurs, des arbres ont aussi été implantés au sein même des rangs de vigne : un arbre tous les 7 ou 12 pieds de vigne selon les modalités. « Dans ces cas-là, nous avons fait le choix d’implanter des érables champêtres, une variété connue pour avoir une bonne synergie au niveau des mycorhizes avec la vigne. C’est aussi un arbre qui supporte les passages mécaniques. Le rognage et la taille peuvent être faits de la même façon avec l’érable et avec la vigne », justifie Carine Magot qui précise que la récolte sera aussi faite de manière mécanique.
« Nous devons aussi prendre en compte les éléments économiques et la réduction des temps de travaux », admet la responsable du vignoble.

Les noues sont des zones humides installées sur le vignoble avec l’objectif  de diminuer les températures du milieu. Photo : Les Vignerons de Buzet


Le choix de la taille mécanique

Ce n’est pas le seul argument qui a poussé le groupe de travail à faire le choix de la taille mécanique. La vigne sera taillée avec un cordon unilatéral, sans palissage et avec un port haut retombant dans l’objectif de protéger les raisins de la chaleur grâce au feuillage de la vigne. Les Vignerons de Buzet anticipent des soucis de maturité excessive en fin d’été, des sucres trop hauts et des acidités en chute libre. « Nous avons émis l’hypothèse que ces phénomènes s’accentuent avec les années. Le port retombant pourrait être une solution pour éviter ces problématiques. De plus, nous voulons protéger les sols au maximum, être sur des sols vivants, avoir une vigne en équilibre avec son milieu, ce qui lui permettra d’être encore plus résiliente », insiste Carine Magot. Depuis plusieurs années, les vignerons ont acquis la conviction que le moins d’interventions possible, l’arrêt du travail du sol en profondeur et des pratiques permettant d’augmenter les taux de matières organiques, tout en favorisant l’activité microbienne, étaient essentiels à la pratique des sols vivants et au fonctionnement de la vigne. L’interrang est donc enherbé. Les engrais verts sont constitués pour l’instant d’avoine semée à environ 100 kg/ha en plein et de féverole à 50 kg/ha. Le cavaillon des jeunes plantations est, quant à lui, désherbé mécaniquement. Mais à terme, la coopérative vise une couverture totale du sol.


Mesurer, capter, tester

Aujourd’hui, le temps est à la réflexion autour des capteurs et des protocoles de mesures : quelles sondes hydriques au niveau des sols, quels capteurs de température, et quels protocoles pour le suivi des analyses de sols, des analyses microbiennes et du suivi de la physiologie de la vigne ?
« Pour le moment, toutes les modalités du projet ne sont pas encore en place. Dans un premier temps, nous voulons que le vignoble soit fonctionnel, nous testerons progressivement, une fois la vigne opérationnelle », raisonne Carine Magot. La responsable vignoble ajoute que les essais porteront sur les produits à base de plantes, les PNPP, les substituts au cuivre, les huiles essentielles, le zéro-intrant… Si Carine Magot suggère la patience sur le projet, c’est aussi l’expérience qui parle. Car un orage de grêle au printemps 2020 a détruit le vignoble expérimental et la mise en production est maintenant espérée en 2022.
« Nous n’avons pas encore pu obtenir de résultats. Mais le projet se révèle déjà très intéressant. Nous nous sommes obligés à prendre le temps de nous poser les bonnes questions. Les viticulteurs et les salariés se sont impliqués, ont accepté et validé le projet, avec tous les risques que cela comporte », conclut, enthousiaste, la responsable du vignoble des Vignerons de Buzet.
 

Plantation
Des plants de vigne dans une prairie
« L’objectif du vignoble expérimental est de faire des tests au fur et à mesure de l’évolution du projet, de l’actualité, des idées et des opportunités », explique Carine Magot. Les 17 ha dédiés sont en prairie depuis plusieurs années. « Nous avons proposé d’ajouter une modalité de plantation dans l’herbe, pour éviter de travailler le sol dont les analyses témoignaient d’un très bon état », raconte la responsable du vignoble Les Vignerons de Buzet. L’équipe a effectué un sous-solage de la ligne de plantation au milieu de la prairie et planté une rangée de vignes. Malheureusement, alors que le résultat semblait prometteur, la modalité a été entièrement touchée par le gel de 2019. « Les pieds avaient complètement redémarré et on ne voyait plus de différence avec les autres plantations. Mais nous avons appris de cette expérience. Si c’était à refaire, nous planterions à nouveau dans l’herbe, mais nous privilégierions des plants haute-tige pour limiter le risque de gel », analyse Carine Magot.

 

« Nous visons une couverture totale des sols. Mais actuellement, seul l’interrang est semé avec de l’avoine et des féveroles à forte densité », Carine Magot, Les Vignerons de Buzet.

 

Article paru dans Viti 455 d'octobre 2020