
Sur une parcelle de 13 ha cultivée en terrasses sur les rives du Layon, Véronique Gourdon et Cédric Aubert ont choisi d’avoir recours à la technique des keylines. Objectif : améliorer le réseau hydrique du coteau au bénéfice des vignes et de l’écosystème plus largement, été comme en hiver.
Leurs keylines - lignes de fissuration dans le sol, à 50/60 cm de profondeur - ont été réalisées au printemps 2022, et ces deux vignerons angevins n’en sont pas peu fiers. S’ils ont travaillé 15 ans dans les Côtes du Roussillon, comme apporteur d’une cave coopérative et comme maître de chai en cave particulière, Cédric Aubert et Véronique Gourdon ont ensuite choisi une nouvelle région pour avoir leur domaine et produire leurs propres vins. « Nous avons repris en 2008 une exploitation viticole en Anjou, à Rablay-sur-Layon, d’où je suis originaire », détaille la vigneronne. Sur la trentaine d’hectares qu’ils récupèrent au domaine des Quarres, ils vinifient la majeure partie et la vende en direct ou à l’export. Mais en 2020, ils décident de ne garder que 17 ha, dont cette « fameuse parcelle de 13 ha, plantée en terrasse et pour laquelle nous avons eu un coup de cœur lors du rachat. Elle mérite depuis le début toute notre attention, et ses vins nous plaisent particulièrement », reconnait le couple.
Permaculture et hydrologie régénérative
Sentant que cette parcelle doit se travailler de façon « particulière » en lien avec sa géographie atypique, et soulevant un besoin d’appui technique, les vignerons contactent le consultant Alain Malard, spécialiste en agroécologie, pour les aider dans leur réflexion. « L’approche de la permaculture nous semblait être en adéquation avec nos attentes, et notre vision pour cette parcelle en particulier », insiste la vigneronne.
Le consultant leur apporte ses conseils autour de l’hydrologie régénérative et du keyline design. « Il n’y avait pas grand-chose à changer sur cette parcelle, car les terrasses ont été faites correctement selon les courbes de niveaux. Mais surtout, il fallait comprendre son fonctionnement, résume Alain Malard. Face à de gros orages, notamment survenus dans les années 1980, les conceptions en terrasses équipées de drains permettaient d’évacuer rapidement le trop plein d’eau. Mais l’infiltration de l’eau était alors mise à mal, ce qui explique pourquoi les ceps du bas sont plus productifs que ceux du haut. Avec le changement climatique et des précipitations plus aléatoires, cette construction pose problème. L’enjeu est de garder de l’eau à tous les niveaux ! A la fois pour les racines de la vigne, mais aussi pour la microfaune du sol, et l’écosystème plus généralement. »
Du sous-solage en pointillé
Autre chantier activé ce printemps : des keyline sont été tracées sur chacune des terrasses, pour accentuer la capacité du sol à être perméable à l’eau. Pour réaliser son sous-solage, sur 50 à 60 cm de profondeur à l’aide d’un ripper attelé sur un tracteur vigneron, Cédric Aubert a suivi le conseil des « pointillés » sur certaines parties bombées des terrasses. « Tous les 5 à 7 piquets, je relevais l’outil, afin d’avoir des lignes de sous-solage discontinues, pour aider l’eau à s’infiltrer et ne pas suivre une ligne de bout en bout de la parcelle. » Selon eux, aucune incidence négative n’a eu lieu sur les racines de la vigne, avec une fissuration appliquée au centre de l’inter-rang. « Depuis notre reprise, nous pratiquons l’enherbement, et les racines de la vigne avaient déjà bien plongé à la verticale », poursuit le vigneron.
« Cet été, l’enherbement est resté vert longtemps au niveau des keylines, grâce à une meilleure rétention de l’humidité, et plonger la main à l’intérieur permettait de ressentir de la fraîcheur », insiste convaincus les vignerons. Pour Alain Malard, l’enjeu en ouvrant le sol tassé par des passages répétés d’engins est d’y amener de nouveau « de l’eau, de l’oxygène, et de la matière organique avec différents débris végétaux qui se logent dans les lignes de fissuration, afin de rétablir une vie souterraine, enrichir progressivement le sol en azote sur divers horizons, ce qui sera bénéfique aux racines de la vigne. »
Création de noues et mares
Projet à venir : la création de noues (fossés), sur trois niveaux de terrasses, soit un total de 1 800 m linéaires, afin de mieux infiltrer et stocker l’eau. Prévues sur l’inter-rang en agrandissant les fossés existants, ces noues auront également une fonction de biodiversité, avec l’intégration d’arbres fruitiers et de légumes sur la butte de terre constituée à la place d’un rang de vigne. Deux mares sont aussi prévues, à mi-coteaux et en bas de coteaux, pour récupérer les eaux d’hiver, et servir d’abreuvement aux animaux l’été. « Certains oiseaux mangent les baies de raisins pour s’hydrater en période sècheresse. Leur proposer de l’eau devrait aider à réduire leur consommation de notre récolte », estime Véronique Gourdon.
Avant l’hiver, des couverts de méteil (triticale-pois), vont être semés entre les rangs, puis laissés jusqu’à maturité pour se développer et se ressemer naturellement, avec une tonte réalisée le plus tard possible, avant les vendanges. « L’idée est de ne plus toucher au sol, ni de désherber pour laisser travailler les racines des couverts, les vers de terre et les micro-organismes et atteindre avec le temps l’autofertilité », conseille Alain Malard.
Des fraisiers sous les rangs
S’ils n’avaient jusque-là pas opté pour la bio, par crainte du mildiou et du désherbage sous le rang, les vignerons ont franchi le cap en 2021. « Pour la maîtrise des maladies cryptogamique, nous avons arrêté cette année le cuivre pour nous lancer dans la phytothérapie, où l’enjeu est de fortifier la vigne avec divers éliciteurs, comme de l’eau de saule par exemple et du miel de romarin riche en fructose pour contrer le champignon. Quant à la gestion du cavaillon, des fraises sauvages vivaces vont être prochainement semées sous chaque rang de vigne. Créant un tapis dense, cette culture devrait réduire la pousse d’adventices. La fraise des bois héberge aussi un acarien, le trombidion, qui jouerait le rôle de prédateur du phylloxéra. »
Pour leur production de blancs secs, Coteaux du Layon et crémants, les vignerons travaillent avec des rendements de 15-20 à 25-30 hl/ha. « Nous avons subi plusieurs gelées de printemps, qui ont détruit une bonne partie de certaines récoltes. Une de nos erreurs a été d’arrêter la fertilisation, mais les keylines et le semi des couverts doit aussi aider à soutenir l’autofertilité de nos sols », indiquent-ils. La réduction des frais (fongicide, désherbage) est aussi mise en avant pour expliquer la viabilité économiques et écologique des nouvelles pratiques. « Cette parcelle a 50 ans, et peut vivre encore 50 années supplémentaires ! », termine confiant Alain Malard.

Selon le consultant, des mesures comparatives faites entre avril et mai dans une vigne du Gers ont permis en 2022 de mettre en évidence, une augmentation de +2 % de la réserve hydrique (qui est passée de 19 % à 21 %) grâce à la condensation des couverts végétaux associés aux keylines, soient +66 mm en entre le 30 avril et le 20 mai. « Cela s’explique par une ambiance plus fraîche générée par la biomasse des couverts végétaux et aux lignes de fissuration, qui ont permis à l’eau de l’air de se condenser et de s’infiltrer dans la terre. D’ailleurs, sur le Domaine des Quarres, les zones des keylines ont un développement végétal bien plus vert, plus important, et plus persistant en été, que pour les vignes voisines. »