Deux domaines bordelais expérimentent la mise en place d’un couvert de trèfle nain souterrain dans des vignes étroites. Semé en plein, ce type d’enherbement semi-permanent présente l’intérêt de limiter les passages de tracteur. Des questions se posent à propos de l’impact de la légumineuse sur la vigueur de la vigne.
Le trèfle nain souterrain est une légumineuse annuelle, et pourtant, une fois semé en plein, le couvert devrait pouvoir rester en place au moins quatre ans sans avoir à ressortir le semoir. La légumineuse se régénère toute seule par resemis. « Dans les parcelles où l’espace interrang est d’un mètre, nous expérimentons ce type de couvert pour la deuxième année. D’abord sur 1,5 ha, puis, aujourd’hui sur 5 ha, détaille Frédéric Le Clerc, vigneron propriétaire du château La Tour de By dans le Médoc. Nous recherchons les itinéraires d’entretien du sol les moins chronophages possible. Nous avons commencé à travailler mécaniquement le cavaillon sur la moitié des surfaces. Mais nous n’avons pas le personnel pour généraliser le passage des outils interceps à 3 km/h sur l’ensemble des 70 ha de vignes étroites que compte le château. L’enherbement total avec des couverts semi-permanents en plein peut donc être une solution pertinente. »
En matière de charge de travail, les premiers résultats sont probants pour le propriétaire du château La Tour de By. Les passages sont très réduits. Le semis se fait à l’automne en plein avec un semoir Delimbe, après avoir travaillé le sol dans et sous le rang.
Des économies de main-d’œuvre
« Sur les parcelles semées en 2017, nous n’avons eu qu’à faire un passage de tondeuse en août 2018 pour limiter la prolifération des adventices passées au travers du couvert. Cette année, nous avons fauché sous quelques vignes au printemps. Le trèfle nain souterrain, qui ne dépasse pas les 30 cm en général, atteignait les 40 cm dans certaines zones plus humides. Fin mai, le couvert commençait déjà à sécher et à grainer. Il devrait former un mulch suffisamment dense pour empêcher d’autres espèces tardives et concurrentielles de lever. Si ce n’est pas le cas, nous tondrons haut les parcelles qui en ont besoin. Sur l’aspect “temps de travail”, nous sommes et serons satisfaits si l’entretien du couvert semi-permanent ne demande pas plus de deux passages par an. »
Au château Lilian Ladouys, le chef de culture, Ludovic Wallet, a aussi mis en place des essais de couverts semi-permanents de trèfle nain souterrain dans des vignes à haute densité.
Réduire le tassement du sol
Objectifs principaux : arrêter le travail mécanique, limiter le tassement des sols sablo-graveleux et dynamiser la vie du sol. « Nous avions fait un essai en 2015. L’implantation des trèfles n’avait pas été bonne. Nous avions mis de côté cette technique. À l’automne 2018, avec l’appui de CIC agriculture et espaces verts, nous avons retenté ce type de couvert en plein sur 2,5 ha et sur plusieurs parcelles, les plus éloignées du domaine. Sur celles où nous avons pu faire deux faux-semis, le développement du trèfle est satisfaisant et nous ne sommes pas encore intervenus sur le couvert. En revanche, sur les parcelles où la préparation du lit de semence a été moins fine, nous venons tout juste de passer avec le broyeur et les tondeuses interceps à une hauteur de 20 cm, indique Ludovic Wallet, interrogé à la fin du mois de mai. Avec ce passage, nous espérons limiter le développement des graminées qui se sont installées. Nous nous donnons quatre ans pour conclure sur l’intérêt de cette pratique. La résistance du couvert au passage du pulvérisateur, la portance et les mesures de mychorization de la vigne relevées sur les parcelles avec du trèfle nain souterrain entreront aussi dans l’équation. » Mais au château Lilian Ladouys comme au château La Tour de By, un autre paramètre majeur est suivi pour évaluer les couverts semi-permanents : l’impact sur la vigueur de la vigne.
Une légumineuse concurrentielle
« Le trèfle nain souterrain est une légumineuse très concurrentielle vis-à-vis des espèces de plantes qui peuvent se développer en spontané. Sa croissance est précoce et rapide au printemps. Le tapis qu’il forme a un effet étouffant dès la première année. De plus, son stock annuel de graines est estimé entre 3 000 et 10 000 graines par mètre carré. Pas de doute sur sa capacité à concurrencer la flore naturelle s’il s’implante correctement. Mais il s’agit maintenant d’estimer son caractère concurrentiel sur la vigne, indique Frédéric Le Clerc. C’est une légumineuse, donc si la symbiose est bien en place, le trèfle devrait apporter de l’azote au sol. Mais qu’en est-il pour le potassium et le phosphore ? Le cycle de recyclage de ces éléments peut-il nuire à la vigne ? Idem pour la consommation d’eau. Cette année, marquée par un hiver normal mais un printemps sec, nous avons constaté une mortalité de complants plus importante que dans d’autres parcelles. Lors de la dernière récolte, en 2018, les rendements étaient plus faibles dans les parcelles avec trèfle. Néanmoins, il est difficile de faire une corrélation unique avec l’implantation du couvert en plein. Ces parcelles n’avaient jamais été travaillées mécaniquement. Or, pour faire le semis, nous avons utilisé des outils à dents qui ont déstabilisé le système racinaire superficiel des vignes. Comme toutes modalités d’entretien du sol, il n’est pas possible de conclure avec si peu de recul. » « Il faut laisser quelques années à la vigne pour trouver un éventuel équilibre. Si tel est le cas, les couverts semi-permaments seront une technique agronomiquement et économiquement intéressante notamment dans les vignes étroites », conclut Ludovic Wallet.
La semence de trèfle nain souterrain utilisée par les deux châteaux revient à 400 €/ha pour une densité de semis de 20 kg/ha. L’enherbement total est censé rester en place au minimum pendant quatre ans. Si le couvert est bien dense, un à deux passages de tondeuse
par an sont nécessaires.
À l’automne 2019, Frédéric Le Clerc du château La Tour de By souhaite expérimenter :
•le semis de trèfle nain souterrain à la volée, sans travail du sol préalable ;
•la mise en place de trèfle uniquement sous le cavaillon ;
•l’installation de mulch autour des complants pour les protéger de la concurrence du couvert.
Article paru dans Viti 444 de juillet -août 2019