De quelle manière le réseau des chambres d’agriculture travaille-t-il sur le changement climatique ?
Frédéric Levrault : Mon travail au sein du réseau consiste à mettre en place des outils et des méthodes qui permettent aux conseillers d’apporter aux agriculteurs et aux viticulteurs des explications sur le changement climatique, et des conseils pour s’y adapter. À partir de 2011 il y a d’abord eu une phase d’objectivation des évolutions climatiques grâce aux indicateurs fournis par Météo France. Dix Observatoires régionaux sur l’agriculture et le changement climatique (Oracle) ont été créés. Ils décrivent les évolutions climatiques et leurs effets sur l’agriculture. Chaque filière est documentée, y compris la viticulture au travers de critères comme l’évolution de la date des vendanges, la montée des titres alcoométriques ou la baisse des acidités.
Qu’en est-il en matière d’adaptation ?
F. L. : Une fois que ce regard dans le rétroviseur a été mis en place, nous nous sommes appuyés sur les projections climatiques attendues en France1 afin d’analyser la faisabilité future – ou l’infaisabilité – des productions agricoles à l’échelle locale. Cette dynamique s’appelle Climat XXI pour « Climat et agriculture au XXIe siècle », et a été adoptée par 70 chambres d’agriculture. C’est un applicatif Excel accessible aux conseillers des chambres d’agriculture et adapté à chaque filière avec des thématiques qui leur sont propres.
En viticulture ces thématiques sont les risques de gel au débourrement, les conditions hydriques et le stress thermique en végétation, les conditions thermiques pendant la maturation des baies, pendant les vendanges, etc. Un conseiller de l’Aude peut par exemple observer dans quelle mesure le stress hydrique a vocation à augmenter dans son département, et ainsi essayer d’orienter l’adaptation des viticulteurs.
Si nous parvenons à appliquer l'accord de Paris sur le climat, c’est-à-dire la neutralité carbone d’ici 2050, le réchauffement climatique devrait se stabiliser. Mais en attendant, les températures vont continuer d’augmenter ?
F. L. : Compte tenu du temps de mise en place des politiques de réduction des gaz à effet de serre à l’échelle mondiale, on sait que le réchauffement va se poursuivre pendant les 30 prochaines années sur un rythme de 0,4 °C par décennie. C’est la vitesse à laquelle notre pays se réchauffe depuis les années 70, ce qui fait 4 °C par siècle. En France, nous avons donc pris 2 °C en 50 ans. Notre pays, ainsi que l’Europe, est soumis à un phénomène de réchauffement extrêmement rapide et violent.
En revanche, ce qui n’est pas écrit, c’est la deuxième moitié du XXIe siècle. Cela va dépendre de notre capacité à réduire rapidement, ou pas, les émissions de gaz à effet de serre. Si nous devenons de très bons élèves, le climat se stabilisera à peu près en 2050 parce que les émissions seront devenues nulles ou quasi nulles. Dans le cas contraire, il continuera à se réchauffer.
Les précipitations sont-elles réellement en baisse ?
F. L. : Quand on regarde les précipitations en France en cumul annuel ou en cumul saisonnier au cours des dernières décennies, elles n’ont quasiment pas évolué. Il n’y a que sur le pourtour méditerranéen où l’on voit des baisses significatives en été, et dans l’extrême nord-est où l’on observe des augmentations de précipitations hivernales statistiquement significatives. Pour le moment c’est donc plutôt le statu quo. Mais ce que l’on peut dire, c’est qu’avec l’augmentation très significative des températures, l’évapotranspiration a elle aussi énormément augmenté. L’évapotranspiration désigne le retour à l’atmosphère de l’eau contenue dans les sols via l’évaporation des sols et la transpiration des plantes. Cela explique que la situation hydrique soit plus tendue certaines saisons.
Jusqu’au milieu du siècle, les modélisations ne montrent pas d’évolution très marquée des précipitations. Par contre, d’ici là, l’évapotranspiration va s’accentuer puisqu’elle est mécaniquement liée à l’augmentation de la température. Les conditions hydriques vont donc devenir plus difficiles et plus complexes pour les agriculteurs comme pour les viticulteurs.
C’est d’ailleurs déjà le cas dans certains départements du sud de la France comme l’Hérault, l’Aude ou les Pyrénées-Orientales qui ont été mis à rude épreuve cette année.
F. L. : Dans ces régions la préoccupation est plus forte que dans les vignobles plus au nord parce qu’on est dans des niveaux thermiques et hydriques plus limites. La nécessité de l’adaptation paraît à la fois plus urgente et peut-être plus compliquée à mettre en œuvre. Mais même si les vignobles de la vallée de la Loire, de Bourgogne, de Champagne, d’Alsace, du Jura ou du nord des Alpes ont « bénéficié » de ces montées en température parce qu’elles ont permis de supprimer la chaptalisation ou parce qu’elles ont donné des vins avec des arômes plus marqués, les effets du changement climatique sont maintenant bien identifiés par l’ensemble des acteurs.
Pour n’en citer que quelques-uns : des conditions hydriques qui se durcissent en saison de végétation notamment sur un tiers sud, des cycles phénologiques raccourcis, des phénomènes de blocage physiologique dès que les températures dépassent des seuils de 35, 38, 40 °C – ce qui n’est plus très rare dans certaines régions –, des démarrages de végétation plus précoces ce qui expose la vigne aux gelées, des teneurs en sucre plus élevées, des acidités plus faibles...
Les mesures d’adaptation de la filière viticole sont-elles à la hauteur du défi ?
F. L. : La quasi-totalité des organisations professionnelles viticoles ont aujourd’hui investi le sujet, chacun à sa mesure, que ce soit les organismes techniques, politico-techniques ou de recherche. La filière s’est dotée d’une stratégie nationale face au changement climatique co-signée par FranceAgriMer, l’INAO, l’INRAE, et l’Institut français de la vigne et du vin. De ce point de vue, la filière viticole française est l’une des plus investies. Elle a compris qu’il en allait de son avenir. La deuxième moitié du XXIe siècle, suivant ce qu’elle sera climatiquement, va déterminer quels territoires vont continuer à produire du vin en France.
Ceci étant dit, la stratégie de la filière est une proposition d’actions, et il serait intéressant d’observer comment dans chaque région viticole ces actions sont adoptées ou rejetées. Je pense aussi qu’il y a aujourd’hui une question d’organisation collective en matière d'appui aux viticulteurs sur la question de l’adaptation au changement climatique. Il faut peut-être mettre en commun les forces, les savoirs, répartir l’effort et trouver des alliances par thématique. Il y a une petite révolution copernicienne qu’il serait intéressant d’examiner en matière d’organisation des structures.
(1) Accessibles sur deux plateformes : Drias les futurs du climat et Drias les futurs de l’eau
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