Les adventices sont-elles bio-indicatrices ?

Les plantes ne poussent pas n’importe où. Certes. Mais peuvent-elles donner des indications précises sur l’état d’un sol ? Pas toujours, si l’on en croit la science, qui ne conclut qu’après de nombreux relevés floristiques et des statistiques poussées. Les explications de Guillaume Fried, malherbologue à l’Anses et chargé du réseau Biovigilance flore.

Nous vous proposons de relire cet article durant l'été 2024.

Rigeron de Sumatra (Erigeron sumatrensis).

© G. Fried

>>> Les adventices sont-elles bio-indicatrices ?

Guillaume Fried : L’idée de base de cette théorie est juste : les plantes ne poussent pas n’importe où. C’est la notion de niche écologique. Mais penser que la présence d’une plante va donner des indications précises sur le taux de matière organique d’un sol ou sur sa composition minérale n’est pas fondé scientifiquement. Je m’explique. Lorsque l’on étudie les relevés floristiques en France, on remarque des différences entre les grandes cultures de printemps ou d’automne. De fait, le facteur n°1 qui influence la présence des adventices, c’est la date de semis. Le pH du sol ne vient qu’en n°2, puis la température de l’air, car certaines plantes sont limitées par le froid en hiver ou, au contraire, la chaleur en été.

Ainsi, la présence de ray-grass (Lolium multiflorum) ou de séneçon vulgaire (Senecio vulgaris), qui sont des espèces généralistes – car elles peuvent germer à l’automne et au printemps –, ne va pas donner beaucoup de renseignements. Au contraire, la présence de spergule (Spergula arvensis), dont la niche écologique est beaucoup plus restreinte, renseigne sur un pH plutôt acide du sol. Le diplotaxis fausse roquette (Diplotaxis erucoides), une plante à fleur blanche que l’on peut voir dans les vignes en hiver, est présent plutôt dans le sud de la France, car son cycle nécessite des températures relativement élevées.

>>> Comment procéder alors, si l’on souhaite étudier la flore de son vignoble ?

G. F. : Comme une hirondelle ne fait pas le printemps, la présence d’une seule plante ne permet pas forcément de tirer des conclusions fiables. Pour se faire une idée plus précise, mieux vaut travailler sur un ensemble d’espèces que sur une seule qui peut avoir été apportée de manière accidentelle. Laiteron, laitue, séneçon… se dispersent très bien avec le vent. Arrivées par hasard, elles peuvent très bien se trouver là temporairement et disparaître. Faire des relevés plusieurs années de suite permet de s’affranchir de cet aléa. Il faut aussi prendre en compte l’abondance des espèces, qui aide à relativiser ces présences accidentelles. Et bien sûr, il faut avoir les compétences pour reconnaître les plantes, même s’il est possible de se faire aider par des applications, comme PlantNet, de plus en plus pertinentes.

>>> Les plantes ne peuvent donc pas révéler les caractéristiques d’un sol cultivé ?

G. F. : Les plantes sont le reflet des caractéristiques du sol, mais pas uniquement. Les techniques culturales ont aussi un impact. Nos relevés de flore montrent que ce lien existe. Par exemple, l’utilisation de glyphosate va favoriser les érigerons ou la mauve (Malva sylvestris). À l’inverse, dans une parcelle travaillée, le vigneron sélectionne – involontairement – les annuelles, car le travail du sol détruit les plantes de l’année, mais favorise la remontée des graines vers la surface et donc leur germination. Il sélectionne aussi les plantes à rhizomes, comme le sorgho d’Alep, dont les réserves souterraines ne sont pas détruites.

Mais les choses ne sont pas toujours aussi simples : par exemple, un travail du sol profond va détruire les bulbes de muscari. Au contraire, un travail superficiel va les favoriser en dispersant les bulbilles. D’ailleurs, il n’est pas rare de voir des rangées de ces petites fleurs bleues au printemps le long du rang, là où le travail est moins profond.

Ambrosia artemisiifolia

L'ambroisie peut proliférer sur des sols très riches ou très pauvres en matière organique. Il apparaît risqué d'interpréter sa matière organique comme un signe de stérilisation des sols ou de perte d'humus.

© G. Fried

>>> Que pensez-vous de la méthode des plantes bio-indicatrices ?

G. F. : Cette méthode mériterait d’être validée par une démarche scientifique. Selon elle, l’ambroisie ou le datura ne poussent que sur des sols « morts ». Mais en fait, l’ambroisie n’indique pas grand-chose, car elle a une niche écologique très large. C’est une annuelle qui préfère les milieux perturbés, or on peut la retrouver dans des sols avec un pH variant de 4 à 8,5, avec une texture sableuse à très argileuse et des taux de matière organique variant de 0,06 (des galets de rivière) à 20,9, soit de très grandes amplitudes. C’est une espèce pionnière, assez indifférente au sol.

>>> Mais il existe des espèces avec des niches écologiques plus étroites qui pourraient tout de même donner quelques indications sur l’état du sol ?

G. F. : Oui, ces espèces existent. Le jonc des crapauds (Juncus bufonius), par exemple. C’est une petite plante de 5 à 10 cm de hauteur, aux feuilles très fines. Elle est décrite comme calcifuge et vivant dans les sols hydromorphes, de texture limoneuse ou limono-sableuse. Cette espèce peut se retrouver dans les parcelles cultivées, dans les passages de roues des tracteurs par exemple. Mais ce qu’elle indique est souvent déjà bien connu des vignerons ou des agriculteurs.

>>> Il n’est donc pas utile de se pencher sur la flore de ses parcelles ?

G. F. : Si, bien sûr ! Être attentif à son environnement et à la flore de ses parcelles peut être l’occasion de prendre du recul sur ses pratiques. Et essayer de les varier pour ne pas sélectionner une flore potentiellement problématique.

Suivis floristiques 40 ans après : la diversification des pratiques d’entretien du sol va dans le bon sens

Une flore adventice avec plus d’espèces, mais moins compétitives : c’est le résultat positif qu’a produit la diversification des pratiques d’entretien du sol dans les vignes du Languedoc, comme la réduction du désherbage chimique. Cette conclusion est issue de la thèse de Marie-Charlotte Bopp, qui a comparé des relevés floristiques recueillis il y a 40 ans (en 1978-1979) avec ceux de 2020-2021 sur les mêmes parcelles, lorsqu’elles étaient toujours en vigne. La doctorante a constaté par ailleurs que la flore adventice est davantage tolérante à la sécheresse : des espèces de garrigue ou de friche sont entrées dans les parcelles à la faveur du changement climatique (+ 1,2 °C de température annuelle moyenne).
>>> Visionner la soutenance de la thèse