"Les viticulteurs s’orientent vers des porte-greffes tolérants à la sécheresse"

Les pépinières Guillaume produisent entre 14 et 15 millions de plants par an sur six sites de pépinières répartis dans toute la France. Vincent Delbos en est le directeur technique. Photo : Pépinières Guillaume

Vincent Delbos, ingénieur agronome, est le directeur technique des pépinières Guillaume en Haute-Saone. Pour suivre les demandes des vignerons, l'entreprise réalise de plus en plus de sélection massale et utilise des porte-greffe reconnus pour leur tolérance à la sécheresse. 

Le marché des plants de vigne est-il en tension comme l’an dernier?

Vincent Delbos: L’an dernier le marché national n’a pas pu répondre à toutes les demandes notamment sur chardonnay, pour deux raisons : une mauvaise reprise des plants en pépinière d’une part en lien avec la météo 2021, et une forte augmentation des demandes d’autre part. Le chardonnay a la cote; c'est le deuxième cépage le plus planté derrière ugni blanc en France. Le marché n’a pas pu suivre la demande et par conséquent certains projets de plantation ont dû être reportés, ce qui explique que cette année, les commandes ont été plus précoces, de nombreux viticulteurs ayant souhaité assurer le bon déroulement de leurs plantations. D’habitude, la période de commande chez nous s’étale du 15 octobre au 15 janvier. Cette année, elle s’est nettement décalée, du 15 mars au 15 juin, les viticulteurs ont anticipé en réaction à la pénurie de l’an dernier. Pour cette année, le marché devrait rester tendu sur chardonnay.

Sur certains porte-greffes sur pinot, nous notons également une vraie pénurie de plants. C’est le cas par exemple du porte-greffe 333 EM (il fait partie des porte-greffes les plus demandés pour la Bourgogne avec le 5C, 5BB, 420 A) sur pinot, pour lequel nous arrivons à fournir seulement 20% de la demande. Ce porte-greffe est intéressant car tolérant à la sécheresse, mais il est compliqué à produire et les ressources en bois sont limitées actuellement en France. Cet engouement pour ce porte-greffe nous interroge par ailleurs, car si il est utilisé depuis longtemps dans le sud de la France, nous manquons de recul en Bourgogne.

Aujourd’hui nous produisons un tiers de plants sur commande, mais cette proportion tend à augmenter.

 

Quelles sont les demandes émergentes en termes de plants ?

V.D.: Nos clients ont deux préoccupations : la diversité génétique et la tolérance à la sécheresse.

Pour la diversité génétique, de plus en plus de domaines nous demandent d’effectuer chez eux une sélection massale à partir de vieilles vignes. Dans ce cas, nous prospectons, puis réalisons la multiplication des pieds intéressants pour leur compte. Nous pouvons produire de gros lots comme de toutes petites séries, voire issues d’une souche unique. Nous développons également nos propres sélections massales. Chaque année, nous réalisons des prospections (équivalent à 80 jours par an) dans différentes régions viticoles juste avant les vendanges pour repérer les pieds intéressants avec accord des propriétaires bien sûr. Nous pouvons ainsi proposer des sélections massales de chardonnay provenant de 100 « champions » repérés au fil des années, pour répondre aux besoins de chaque région : chardonnay fins en Bourgogne, plus productifs en Champagne, etc.

Concernant le changement climatique, nous ressentons une vraie inquiétude à ce sujet. Les demandes des viticulteurs s’orientent de plus en plus en souvent vers des porte-greffes tolérants à la sécheresse. Pour le pinot noir par exemple, on observe une nouvelle demande de porte-greffes pour tolérants au sec en Bourgogne comme le 333 EM comme je le disais précédemment mais aussi pour le 110 Richter et le Paulsen, qui sont des porte-greffe que nous n’utilisions pas auparavant pour le pinot.

Nous enregistrons aussi une demande émergente -même si elle demeure limitée- de plants plus longs. Elle concerne notamment le Bordelais, l’Alsace ou la Bourgogne dans les Hautes-Côtes. La majorité des plants sont produits avec une longueur de 30 cm, mais nous pouvons fournir en effet également des plants de 45 cm voire jusqu’à 60 cm. L’avantage de ce type de plants, intéressant pour les vignes semi-larges ou au repiquage est de limiter par la suite les travaux d’ébourgeonnage au printemps au vignoble. Le risque, en revanche, en cas de forte gelée, est plus important, le point de greffe étant plus haut et ne pouvant donc pas être buté au besoin. La demande se développe également petit à petit pour la Bourgogne sur des plants de pinot droit, au port érigé qui facilite le relevage, et permet d’alléger les coûts de main-d’œuvre ultérieurs. Ce type de pinot était peu utilisé jusqu’à présent, car il présentait une réputation de plants très productifs et peu qualitatifs, mais nous sommes en train de resélectionner avec succès des pinot droits « fins ».

 

Quelles sont vos pistes de travail actuelles et à venir ?

V.D.: Le nerf de la guerre pour nous est la traçabilité. Au total nous avons 4000 références distinctes sur lesquelles nous disposons de toute la traçabilité, de la production du porte-greffe et du greffon, jusqu’à la livraison du plant chez les exploitants. Nous travaillons aujourd’hui sur 60 variétés sur 22 porte-greffes. Plus de 2000 assemblages sont réalisés chaque année. Côté R&D, nous nous focalisons sur deux axes : la sélection, et les éléments favorisant la résistance, la pousse et la pérennité de la plante, avec les trichodermas et les mycorhizes.

 

Peut-on améliorer le taux de survie des complants ?

V.D.: Aujourd’hui, plus de 50 % de notre production est utilisé en complantation. En moyenne, dans le vignoble français, seul un complant sur deux parvient à rentrer en production. Ce taux de survie pourrait être amélioré, mais ce n’est pas lié à la reprise des plants (Le taux de reprise est en moyenne supérieur à 98,5% et nous garantissons un taux de reprise de plus de 95%), mais aux difficultés rencontrées ultérieurement par les complants : concurrence avec les ceps en place, opérations viticoles sur la parcelle, préparation du sol, moins de suivi et d’entretien qu’une plantation, etc. A notre niveau en tant que pépiniériste, nous pouvons seulement faire en sorte de produire des plants les plus forts possibles, voire améliorer le développement des plants par association trichodermas/mycorhizes. Notre équipe sur le terrain peut aussi conseiller et accompagner nos clients sur cet aspect, nous avons notamment développé des protocoles de complantation pour optimiser le développement des plants, avec pour certains des taux d’entrée en production des complants de plus de 90%.

 

Qu’en est-t-il de la production de plants bio ?

V.D.: Pour les pépinières Guillaume, l’aspect production est quasiment opérationnel. Mais nous sommes toujours dans le paradoxe, le cadre réglementaire ne permettant pas de faire l’impasse sur les traitements insecticides dans le cadre de la lutte obligatoire contre la flavescence dorée (Un arrêté est en projet afin de lever ce nœud réglementaire lié aux traitements contre la flavescence dorée, permettant l’utilisation d’insecticides utilisables en AB et de traitements à l’eau chaude NDLR).

 

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