« L’irrigation permet de maintenir, pas d’augmenter, le potentiel de rendement »

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Pour Alain Deloire, enseignant-chercheur à Montpellier SupAgro et spécialiste de l’irrigation de la vigne, les apports d’eau durant le cycle végétatif n’ont pas d’impact direct sur le potentiel de rendement. En revanche, ils permettent d’atteindre le rendement fixé après la floraison.


Pour Alain Deloire, l’irrigation permet de ne pas perdre  du volume de récolte à cause du stress hydrique. Photo : Alain Deloire
Votre vision de l’irrigation peut surprendre. Selon vous, elle ne permet pas d’augmenter les rendements.
Alain Deloire : Effectivement, puisque le rendement de la vigne se décide en premier lieu à la taille. Si l’on simplifie, c’est ce geste qui détermine le nombre de grappes que portera la vigne. Par la suite, la fécondation fixe le nombre de baies par grappe. L’irrigation va seulement impacter le volume et la composition des baies. Et je tiens à rappeler que le volume d’une baie intègre est génétiquement limité. Un excès d’eau, apporté ou naturel, peut entraîner une rupture de la pellicule et les conséquences sanitaires que l’on connaît. L’irrigation permet donc d’atteindre le rendement que le vigneron s’est fixé, en lien avec le cahier des charges de son indication géographique et avec ses propres objectifs de production. Autrement dit, elle permet de ne pas perdre du volume de récolte à cause du stress hydrique.
L’autre intérêt de l’irrigation est de ne pas faire subir à ses vignes les effets négatifs du stress hydrique qui se répercuteront sur la composition biochimique des baies. Ainsi, on peut avoir un objectif de rendement de 35 hl/ha et installer l’irrigation pour ne pas concentrer les sucres dans des baies flétries. L’irrigation aura un effet positif sur la concentration en alcool des vins, sur l’acidité, sur le pH, sur les arômes…

Quelle différence faites-vous entre stress et contrainte hydriques ?
A. D. : La vigne peut supporter une contrainte hydrique sans que cela ne bloque le chargement en sucres de la baie, la biosynthèse des tanins, l’entrée de potassium ou celle de l’azote… La contrainte hydrique, en revanche, limite l’activité biochimique de la vigne. Au niveau de la baie, le fonctionnement de certaines voies de biosynthèse des composés de la baie est perturbé.
Dans les années où l’irrigation est utile, le vigneron doit déterminer la contrainte hydrique maximale qu’il ne souhaite dépasser. Ces seuils vont dépendre de ses objectifs de production. L’irrigation, quand elle est pilotée, va donc permettre de limiter la contrainte hydrique. Elle existe, mais elle est « tolérable ».
Ce pilotage implique de mesurer et de suivre des indicateurs dans le temps. Comme la cinétique de chargement des sucres dans la baie. Si elle est trop lente, un apport d’eau peut être décidé afin de relancer la photosynthèse.
Le stress hydrique, quant à lui, arrive lorsque la contrainte hydrique imposée à la vigne est trop forte. Le stress hydrique entraîne des blocages de biosynthèse des métabolites primaires dans les feuilles et/ou dans les fruits (acides organiques, sucres…), et secondaires (tannins, anthocyanes, arômes…) pouvant avoir des conséquences irréversibles sur la composition et sur la qualité du fruit et des vins (pertes d’arômes et d’acidité, alcool et pH trop élevés…).

Quels sont les outils qui permettent aux vignerons de piloter l’irrigation ?
A. D. : Toutes les méthodes et tous les outils sont bons à prendre dans la mesure où le vigneron atteint son objectif de rendement et de qualité. Il y a des avantages et des inconvénients dans chacun d’entre eux. Mais dans les conditions climatiques actuelles, la chambre à pression, le bilan hydrique, ou le flux de sève fonctionnent pour déterminer les besoins en eau de la vigne. Néanmoins, vu les contraintes technico-économiques actuelles et à venir des vignobles, je pense qu’il faut aller vers des outils qui permettent un pilotage et une prise de décision à distance. La chambre à pression est certes la référence, mais c’est une méthode lourde à mettre en place.
Je tempère cependant immédiatement mon propos en rajoutant qu’il faudra toujours aller dans les vignes pour constater la pertinence de ses décisions. Dans le cas d’un outil reposant sur la modélisation par exemple, il est capital de vérifier de temps à autre, par une mesure de chambre à pression notamment, qu’il n’y a pas de déviation trop importante entre la réalité et l’estimation du modèle.

Votre expertise vous amène à voyager dans de nombreux pays où les surfaces irriguées sont plus importantes qu’en France. Les compétences sont-elles, aussi, plus développées ?
A. D. : Les outils utilisés en France sont globalement les mêmes qu’ailleurs. La différence majeure est que ces pays n’ont pas de complexes à irriguer la vigne. Il y a donc une recherche et développement active dans le domaine de la vigne et de l’eau.
Les préoccupations portent en premier lieu sur les économies d’eau. En Californie, en Australie, en Afrique du Sud… les ressources en eau sont limitées, il faut donc faire bon usage du minimum d’eau.

En France, la question du partage de l’eau est aussi d’actualité…
A. D. : Oui, c’est pour cela qu’avant même d’aller vers l’irrigation, il faut activer d’autres leviers comme le choix du cépage, du porte-greffe, de l’orientation et de l’emplacement des parcelles, de la densité de plantation, de la surface foliaire par hectare. Il faut aussi considérer le travail et la vie du sol, les amendements organiques, l’implantation du système racinaire…
 

« On peut avoir un objectif de rendement de 35 hl/ha et installer l’irrigation pour ne pas concentrer les sucres dans des baies flétries », Alain Deloire

Subvention
Selon les régions, le PCAE (plan de compétitivité et d’adaptation des exploitations agricoles) permet de financer, sous conditions, l’installation d’un système d’irrigation en goutte-à-goutte, l’acquisition d’un logiciel de pilotage automatisé de l’irrigation, l’achat d’une station météorologique, de thermo-hygromètres, d’anémomètres, d’appareils de mesure pour déterminer les besoins en eau (tensiomètres, capteurs sols, capteurs plantes, sondes capacitives). Cette disposition existe notamment en Languedoc-Roussillon. Plus d’infos sur www.europe-en-occitanie.ue
Pas de promesse
Photo : John Deer Water
Les viticulteurs reliés aux réseaux collectifs pourraient un jour ne pas avoir accès à l’eau malgré leur raccordement… Lors de la journée IFV Languedoc-Roussillon 2018, Gaëtan Deffontaines, de la société BRL, s’est exprimé sur le sujet en expliquant que dès aujourd’hui, dans l’Aude, des réseaux agricoles ne sont pas approvisionnés à l’année : « Compte tenu du partage de la ressource en eau, à partir d’une certaine date, il y a une interdiction d’arroser. Cela veut dire que ce n’est pas parce qu’il y a de l’eau aujourd’hui qu’il y en aura demain. Le changement climatique impacte aussi les cours d’eau », sur lesquels s’approvisionnent en partie BRL. À l’avenir, pour assurer néanmoins son service, BRL envisage, par exemple, de ne pas garantir un accès quotidien à l’eau, mais plutôt un apport hebdomadaire. Le stockage de l’eau en hiver, ainsi que l’utilisation d’eaux usées traitées sont deux autres pistes évoquées pour pallier le manque d’eau disponible en été et la forte demande sur la même période.
Combien ça coûte ?
Photo : S.Favre/ Média et Agriculture
Selon BRL, irriguer un hectare de vigne coûte en moyenne 150 € HT, avec une part fixe de 74 €/ha (base de 5 ha) et une part variable de 75 € pour 750 m3 d’eau consommée (tarifs 2018). L’installation d’une extension de réseau est en partie à la charge de l’usager. En moyenne, selon BRL, le coût est de 600 euros par hectare. À ces coûts se rajoutent ceux de l’installation (tuyaux, pompes…), de l’entretien annuel, des OAD pour le pilotage de l’irrigation, des outils de mesure achetés en propre (station météo, sondes…), et le conseil pour ceux préférant faire appel à un expert.
Photo : PHOTOS : nadzeya26/Adobe Stock + ekazansk/Adobe Stock + atabik1/Adobe Stock + fad82/Adobe Stock
Pour produire une bouteille de vin de 0,75 cl, dans les conditions climatiques actuelles, la vigne a besoin de 250 à 350 litres d’eau durant son cycle végétatif.
Plus le potentiel de rendement souhaité est important, plus les besoins en eau de la vigne sont importants.
Si les besoins en eau ne sont pas couverts par les précipitations, la vigne ne va pas pouvoir atteindre le rendement attendu. « L’irrigation raisonnée va permettre de pallier ce déficit d’eau et ainsi d’assurer le rendement que le vigneron s’était fixé », estime Alain Deloire, enseignant-chercheur à Montpellier SupAgro.

Article paru dans Viti Les Enjeux de mai 2019

Viti Les Enjeux mai 2019