Avec un prix du foncier qui dépasse le million d’euros, les successions et les reprises d’exploitation se compliquent en Champagne. Vice-président de la Fédération des coopératives vinicoles de la Champagne (FCVC), Xavier Muller explique tout l’intérêt d’avoir créé France Valley Champagne pour mieux fluidifier le marché foncier.
France Valley Champagne vient d’être créée. Pouvez-vous nous expliquer en quoi consistecette société foncière ?
Xavier Muller : Lancée en avril 2019, elle a pour objet d’acquérir des vignes de l’appellation champagne pour les donner à exploiter à des vignerons. Ce dispositif original vient compléter ce qui existe déjà, c’est-à-dire les groupements fonciers viticoles (GFV) ou les conventions de mise en réserve foncière proposées par la Safer Grand-Est. L’avantage de la foncière, c’est que l’on peut réaliser plusieurs achats sans être obligé de créer à chaque fois une structure comme pour les GFV. Autre avantage : la foncière accompagne le vigneron pour un bail de 25 ans, ce que ne proposent pas, par exemple, les conventions de mise en réserve foncière, dont le portage temporaire est de cinq ans maximum.
Quelle est l’origine de cette initiative ?
X. M. : Le prix moyen du foncier viticole en Champagne revient à environ 1,1 million d’euros/ha. Ce qui pose le problème des successions et des reprises d’exploitations, notamment pour les jeunes. Afin d’améliorer la fluidité du marché foncier, la société de gestion France Valley, dont l’expérience est avérée en achats fonciers forestiers, s’est associée avec la Safer et avec la Fédération des coopératives vinicoles de la Champagne (FCVC) pour créer France Valley Champagne.
Quel est le montant des capitaux obtenus pour cette première année, et quelles sont les modalités pour les investisseurs ?
X. M. : Après un an de préparation et la recherche d’investisseurs, la foncière a obtenu huit millions d’euros de fonds dont elle peut disposer sur un an. Les apporteurs de capitaux bénéficient d’un taux d’intérêt de 1,2 % à 1,3 %, soit une rentabilité légèrement supérieure au livret A. Ils ont le choix d’être rémunérés soit en valeur numéraire, soit en « nature ». Certains investisseurs préfèrent la rémunération en bouteilles, ils s’inscrivent dans ce que l’on peut appeler « l’investissement plaisir ». Selon la réglementation très encadrée, les premiers apports peuvent démarrer à 1 000 euros.
Comment le comité de sélection effectue-t-il ses choix ?
X. M. : Le comité de sélection, dont les membres sont la FCVC, la Safer et le Syndicat général des vignerons de la Champagne, évalue les dossiers sur le plan économique, mais aussi en lien avec le savoir-faire du candidat. Nous privilégions en priorité les jeunes vignerons ou ceux qui cèdent leur exploitation à leurs enfants, par exemple. Nous visons aussi spécialement les petites exploitations familiales qui, pour être viables économiquement, demandent au moins 2,5 à 3 ha. Souvent locataires, elles peuvent être amputées d’une certaine surface lors des successions, et ne plus être viables. Au début du mois de juillet, France Valley Champagne a acquis 4,5 ha.
À quoi s’engage le vigneron dont le dossier a été accepté ?
X. M. : Ceux qui bénéficient de ce dispositif doivent être certifiés HVE ou VDC (viticulture durable en Champagne) ou s’engager à le devenir. Les non-coopératifs peuvent également postuler. Ils devront, en revanche, se plier au dispositif de France Valley Champagne. Le bail qui est prévu pour 25 ans exige que le viticulteur cède un tiers de sa révolte à France Valley Champagne. Cette dernière a ainsi adhéré aux deux unions de coopératives de Champagne afin que le vigneron achemine ses raisins vers l’une des coopératives adhérentes et qu’il puisse être rémunéré par France Valley Champagne.
Comment évoluent les coopératives aujourd’hui ?
X. M. : Ce dispositif foncier s’inscrit dans les nouvelles dynamiques des coopératives champenoises, qui sont au nombre de 120, un chiffre stable depuis plusieurs années. En revanche, le nombre d’adhérents est en augmentation : c’est une conséquence de la scission de propriétés suite à des transmissions de vignobles. Nos coopératives, qui parfois sont centenaires, s’avèrent très modernes de par leurs objectifs collectifs. Comme peuvent le faire les coopératives, les jeunes aspirent aujourd’hui au copartage, au « faire ensemble ».
Les vignerons, plus attentifs aux demandes de la société, modifient leurs modes de production, se focalisent davantage sur l’agronomie pour baisser les quantités de pesticides, notamment. Résultat, les IFT sont en baisse. En HVE, les IFT sont inférieurs à 9 contre 15-16 pour ceux qui n’ont pas changé de pratique.
Je relève des incohérences dans la politique gouvernementale. D’un côté, le vigneron doit utiliser le moins d’intrants possible ; cela se traduit par une augmentation de la main-d’œuvre. Et de l’autre, les exonérations de charges sociales pour les saisonniers ont été en partie supprimées. Cela n’incite pas à réduire les phytosanitaires !
Article paru dans Viti 445 de septembre 2019