« On peut faire du bon vin avec certaines variétés résistantes »

Depuis bientôt 15 ans, le domaine de l’Isle Saint-Pierre implante des variétés résistantes. Pour des raisons variées, toutes n’ont pas donné satisfaction à Julien Henry. Une poignée, en blanc notamment, ont cependant trouvé leur place.

Les vins de variétés résistantes constituent une gamme de 6 références au domaine de l'Isle-Saint-Pierre.

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À la tête du domaine de l’Isle-Saint-Pierre, sur les rives du Rhône, à proximité d’Arles, Julien Henry mise sur les variétés résistantes. Sur les 200 ha de vigne que compte la propriété, 45 ha sont résistants. Et, en fin d’année, ce sont 20 ha supplémentaires qui viendront s’ajouter à ce chiffre.

Les premiers pieds de soreli et de cabernet volos ont été implantés en 2010. Depuis, le vigneron a diversifié sa palette : floréal, muscaris, vidoc, artaban, merlot kanthus, merlot khorus, souvignier gris… Mais tous ces cépages ne sont pas restés en place.

« J’ai déjà arraché des variétés qui n’étaient pas adaptées. Certaines à cause de leur comportement végétatif. Au domaine, le vidoc et l’artaban n’ont pas fini d’aoûter fin décembre. Cette caractéristique nous pose des problèmes pour gérer le chantier de taille. Le floréal et le muscaris ne sont pas productifs sur le premier bourgeon. Ce n’est pas compatible avec la taille rase que nous menons sur l’intégralité de la propriété. D’autres se montrent trop sensibles à la flavescence dorée. Il s’avère que, depuis plusieurs années, nos vignes sont soumises à trois traitements obligatoires. La pression est forte. On a donc renoncé à des variétés comme le cabernet volos ou à des résistants de la famille des pinots. Le souvignier gris, aussi, est assez sensible, je vais donc ralentir la plantation de cette variété, très intéressante par ailleurs sur notre terroir. »

La robustesse de la résistance aux maladies est aussi un critère pris en compte par le vigneron des Bouches-du-Rhône. « Toutes les variétés ne sont pas égales. Le sauvignon kretos, par exemple, apparaît ici aussi sensible à l’oïdium que le chardonnay. »

Dernier paramètre, et pas des moindres, ayant poussé Julien Henry à arracher des vignes : la qualité des vins finis. « Sur les variétés blanches testées, les profils organoleptiques sont variés. L’offre existante me permet de faire de bons assemblages au domaine. Pour les rouges, c’est plus compliqué. Le rosé est la couleur chez nous. Et, globalement, les variétés résistantes rouges donnent des jus trop colorés. »

J’ai arraché de jeunes vignes résistantes qui ne me donnaient pas satisfaction.

« Comme pour tous les cépages vinifera, il n’y a pas de candidats parfaits ni de variétés adaptées à toutes les situations. Chacun doit se faire son expérience pour connaître celles qui lui conviennent », indique Julien Henry.

6 jours de pulvérisation en moins

Alors, après 15 ans d’expérimentation, des variétés résistantes se sont tout de même fait une place solide au domaine de l’Isle Saint-Pierre, avec, en top : le soreli, le souvignier gris, le fleurtaï, le merlot khorus, le merlot khantus et le sauvignon rytos.

« Les variétés résistantes ne sont pas magiques. Elles sont plus ou moins tolérantes au mildiou et à l’oïdium et n’ont aucune résistance au black-rot. Néanmoins, elles donnent un confort de travail et elles seules permettent d’atteindre les objectifs de réduction de produits phyto attendus par la société dans laquelle j’intègre mes salariés et moi-même. »

Sont réalisés en moyenne trois traitements sur les cépages résistants, associant selon les cas un insecticide anti-cicadelle à des fongicides. Pour les Vitis vinifera, ce sont sept à huit passages. « Sur une campagne, avec mes 45 ha, ce sont donc 180 ha de moins à traiter. À raison de 30 ha par jour et par chauffeur, on économise six jours de pulvérisation. Ça libère du temps pour les travaux en vert et le travail du sol », relate Julien Henry, qui compte bien continuer dans sa lancée, « surtout maintenant que je sais faire de bons vins avec certaines de ces variétés ». Des médailles et des achats répétés de particuliers le lui confirment.

Une gamme de 6 vins en bouteille

Les vins de variétés résistantes constituent une gamme de 6 références. L’unique vin rouge est élaboré avec du merlot khorus. Un blanc est aussi en monocépage ; il met en valeur le soreli. Le second blanc est un assemblage de soreli, de fleurtaï et de souvignier. Pour les rosés, Julien Henry a opté pour deux assemblages, l’un à base de soreli et de merlot khorus et l’autre associant souvignier gris et merlot khorus. « Le merlot khorus est le premier cépage résistant rouge avec lequel j’arrive à faire un joli vin rouge. Je l’intègre aussi pour les rosés même si ce n’est pas le plus adapté. »

Les vins issus des variétés résistantes sont les plus chers du domaine.

Pour compléter son offre, le vigneron propose un vin effervescent à petit degré d’alcool : un souvignier gris à 7° partiellement fermenté. « Il présente une belle acidité équilibrée par 60 g/l de sucres résiduels », détaille Julien Henry.

Les vins de variétés résistantes constituent une gamme de 6 références au domaine de l'Isle-Saint-Pierre

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Ces vins sont les plus chers du domaine, avec un prix consommateur supérieur à 10 euros, quand les vins issus de cépages Vitis vinifera oscillent entre 5 et 11 euros. « Ces références conditionnées représentent encore de petits volumes : 10.000 bouteilles en 2023. Mais les ventes progressent, surtout en local. Il faut beaucoup d’explications pour convaincre la première fois. Ensuite, le goût fait revenir ! »

La commercialisation vrac, quant à elle, est encore complexe. « Les négociants, eux aussi, apprécient les vins mais ils n’achètent pas. J’écoule donc les vins de cépages résistants en assemblage. Progressivement, j’espère que les lignes vont bouger. C’est un pari. Mais il ne faut pas en espérer une révolution économique. Les pieds sont 70 % plus chers à l’achat et je n’ai pas bénéficié d’aides à la plantation pour toutes les variétés. J’ai arraché de jeunes vignes résistantes qui ne me donnaient pas satisfaction. Alors, malgré les économies de traitements et les rendements qui atteignent au domaine les 150 hl/ha avec irrigation, j’envisage un amortissement sur dix ans. S’orienter vers les variétés résistantes est une stratégie de long terme », conclut Julien Henry.

Un mini-chai pour les résistantes

Le domaine de l’Isle Saint-Pierre est équipé pour l’expérimentation de nouvelles variétés résistantes. Un petit pressoir pneumatique de 12 hl a été acheté, comme des cuves de 35 et 45 hl. « Je plante minimum 0,5 ha par variété. Il me faut assez de raisin pour remplir la machine à vendanger, le pressoir, des cuves entières. Je veux pouvoir réaliser des microvinifications tests avec des itinéraires similaires à ceux que je fais sur des variétés installées », explique Julien Henry.