Si le résultat est le même, à savoir un sol couvert, les moyens mis en œuvre pour y arriver et les finalités attendues peuvent être bien différents d’un domaine à un autre. Dans les vignes de Château Bas, un couvert spontané et permanent est mis en place dans l’espace interrang.
« La stratégie globale de gestion du vignoble de Château Bas est intimement liée au cycle du carbone, introduit Philippe Pouchin, directeur du domaine de 80 ha situé à quelques kilomètres de Salon-de-Provence. Il existe une relation directe entre la fertilité du sol, ses propriétés à assurer les défenses des organismes vivants qui le constituent et la quantité de carbone engagé dans le système.
Dans des documents officiels, la FAO résume cette idée en déclarant que la séquestration du carbone et une augmentation de la matière organique du sol auront un impact direct sur la qualité et la fertilité du sol. Il y aura aussi des effets positifs majeurs sur l’environnement et sur la résilience et la durabilité de l’agriculture. Ce préalable acquis, l’itinéraire technique s’impose de lui-même. Les apports de carbone organique sont centraux, d’où la mise en place d’une prairie entre les rangs, d’un broyage des sarments qui restent au sol et de l’arrêt autant que possible des écimages. »
Un cavaillon travaillé, un interrang enherbé
Rappelons-nous que le stock de carbone organique présent dans les sols est en équilibre dynamique1. Les débris végétaux (enherbement, sarment, exsudats racinaires…) augmentent les quantités de carbone du sol. Mais ce carbone intégré ne s’accumule pas. Les débris organiques se décomposent, minéralisent et dégagent alors du CO2 qui sera réinjecté dans le système via la photosynthèse. Seule une petite fraction s’accumule sous forme d’humus. Les interventions humaines, comme le labour, peuvent orienter ces transformations. « Selon le lieu, les dynamiques carbonées seront différentes. Sous le rang le sol est travaillé. »
Château Bas est équipé depuis peu d’un outil interceps de la marque CGC-Agri : l’Ecocep jugé bien adapté pour travailler, sans bourrage, un cavaillon parfois bien enherbé. « Dans cette partie de la parcelle où l’on épand des amendements organiques localisés, les bactéries dominent. Elles favorisent la minéralisation qui profite directement à la vigne, détaille Philippe Pouchin. Entre les rangs, toujours enherbés, la dynamique du carbone est au contraire lente, les champignons prospèrent, la minéralisation est lente, mais régulière. Le couvert agit comme un volant d’inertie qui amorti les chocs climatiques (sécheresse, pluies violentes). »
Couvert et vigne : à chacun son horizon
Pour augmenter les quantités de carbone restituées au sol, Philippe Pouchin limite aussi les écimages, et l’on comprend que les rameaux aoûtés plus longs seront autant de sarments broyés à l’hiver. Mais l’intérêt de cette technique ne se limite pas à l’apport de bois au sol. « Elle permet aussi de réduire le stress hydrique de la vigne », explique le directeur du domaine.
La plupart des vignes AOP sont aujourd’hui équipées d’irrigation en goutte-à-goutte. Les réseaux sont approvisionnés par l’eau du lac artificiel de Serre Ponçon, situé à la limite des départements des Hautes-Alpes et des Alpes-de-Haute-Provence. « Une partie des vignes du domaine sont équipées. Mais on ne peut pas tout baser sur cette eau gravitaire. C’est une réserve limitée et les viticulteurs ne sont pas les seuls à être branchés au lac. La vigne soit donc aller chercher l’eau disponible sans entrer en concurrence avec le réseau racinaire du couvert. »
Chacun doit donc explorer des horizons différents. « Pour "intimer l’ordre" à la vigne de développer son système racinaire en profondeur et passer ainsi sous l’horizon enherbé, la demande en eau de la vigne doit être forte. De fait, au château nous n’essayons pas de réduire l’évapotranspiration de la vigne en la rognant. Au contraire ! Pour avoir une surface foliaire la plus importante possible, les écimages sont donc le plus rares possibles. »
« L’enherbement des vignes n’est pas un problème et je le vois même comme un atout. Un sol enherbé a une capacité d’absorption beaucoup plus élevée qu’un sol nu. Les nappes sont donc mieux rechargées avec des sols couverts et cela stabilise le sol, qui stocke de l’eau dans les micropores qui le structure. Tout est lié », conclut Philippe Pouchin.
(1) Source FAO : Tendances générales de la séquestration du carbone dans les sols
« Sur le domaine les couverts sont tous naturels. D’abord car les plantes endogènes qui poussent spontanément sont, de fait, adaptées au milieu qui les supporte. Révélatrices de l’état de la parcelle, elles permettent de suivre l’évolution du sol et d’agir, au besoin, par exemple via des apports d’amendement, afin d’aboutir à une biodiversité capable de participer à la création un pseudo-sol stable. Ensuite parce que ce mode d’enherbement n’appelle pas d’interventions. C’est une économie de temps, d’argent mais aussi un choix presque philosophique appuyé par diverses études sur l’impact du labour sur la vie du sol. » Philippe Pouchin fait par exemple référence à l’expertise collective de l’Inra « Agriculture et Biodiversité » dans laquelle on peut lire que d’une manière générale, le labour réduit essentiellement la biomasse et à un moindre degré la diversité microbienne dans les sols, sans doute par ses effets sur la déstructuration des agrégats du sol, et par la destruction mécanique des hyphes fongiques, or les champignons ont un rôle majeur dans la formation d’agrégats stables.
Article paru dans Viti Leaders n° 425 de mai/juin 2017