Au domaine de la Marseillaise, situé à La Crau dans le Var, de longues bandes de fumier s’étendent sur une vingtaine de mètres. Elles restent là de décembre à janvier, le temps de se transformer en compost, puis sont épandues, courant février, au pied des vignes que Fabienne et Pierre Sautou cultivent en biodynamie. Un compost hyper local, puisque le fumier dont il est issu provient de deux centres équestres situés à une dizaine de kilomètres.
Et le couple de vignerons n’est pas le seul à avoir senti la bonne affaire : quatre maraîchers, un pépiniériste, un horticulteur et un arboriculteur situés dans le même rayon de 10 km s’y fournissent, eux aussi, en matière organique. Organisé sous la forme d’une Cuma créée en 2021, ce réseau permet à ses membres de moins, voire de ne plus recourir aux fertilisants du commerce.
« À l’origine de ce projet, il y a la volonté de faire fonctionner une économie locale et artisanale, plutôt qu’une économie à grande échelle et industrielle, et de tout faire en ce sens, que ce soit pour la vente de la production ou pour l’achat d’intrants, resitue Pierre Sautou, membre fondateur de cette Cuma baptisée « Equicompost Sud Var ». Pour la fertilisation, nous avons donc voulu utiliser ce qui se trouvait à côté de chez nous au lieu d’acheter des engrais du commerce qui viennent d’on ne sait où. »
Réduire la pollution de l’air
Le choix de la filière équestre s’est imposé par la force des choses : le territoire compte de nombreux élevages de chevaux. En outre, des jalons avaient déjà été posés, dès 2017, par Agribiovar et la Filière cheval Sud pour soutenir des initiatives de valorisation du fumier de cheval comme ressource locale de matière organique.
« Le fumier mal stocké est à l’origine d’émanations d’ammoniac qui polluent l’atmosphère, rappelle Marion Robert, conseillère et animatrice chez Agribiovar. Dans le cadre de l’appel à projets Agr’Air de l’Ademe, nous avions commencé à travailler sur un meilleur stockage du fumier en mettant en relation des centres équestres et des agriculteurs. Mais cette première tentative n’a pas abouti, car les fermes étaient trop éloignées les unes des autres. Nous avons donc cherché à être plus local, ce qui a donné naissance à Equicompost Sud Var. »
Accompagnée par ces deux partenaires et par la Fédération départementale des Cuma du Var, la création de la coopérative a permis d’acheter le matériel nécessaire pour composter le fumier équin. Le collectif a acquis un tracteur équipé d’un chargeur et d’une pelle rétro, une benne de transport d’une capacité de six tonnes et un épandeur. Soit un investissement de 40 000 € amorti sur cinq ans. Une somme que les agriculteurs et les centres équestres n’auraient pas pu assumer à titre individuel. Un prêt, des subventions régionales et une aide financière de l’Ademe dans le cadre d’Agr’Air ont financé l’achat de ces équipements.
Plus de travail, mais plus de vie dans les sol
Désormais, en ne payant que l’utilisation du matériel, les adhérents de la Cuma ont donc accès à une matière organique gratuite. Ils s’acquittent de 50 € par mois, puis paient à la fin de l’année un supplément en fonction de leur temps d’utilisation respectif.
« Chacun récupère du fumier brut auprès des centres équestres selon ses besoins et le transforme en compost sur son exploitation, explique Pierre Sautou. Moi, en tant que vigneron, je n’épands qu’une fois par an (lire par ailleurs). Je fais donc un gros stock après les vendanges. Pour les maraîchers, c’est différent puisqu’ils renouvellent les cultures tout au long de l’année et font donc du compostage de façon plus régulière. » Ce fonctionnement génère de la trésorerie régulière, bien utile pour rembourser le prêt, payer l’essence, des réparations, ou acheter du petit matériel.
Grâce à leur proximité et à la petite taille de leur collectif, les agriculteurs ont pu mettre en place une organisation assez souple. Ils échangent sur un groupe WhatsApp et planifient l’utilisation du matériel à partir d’un agenda partagé. Le stockage revient à celui qui s’en est servi en dernier. Pour ce qui est de l’entretien, le matériel est nettoyé et graissé après chaque utilisation, la vidange réalisée à tour de rôle. En cas de casse liée à une mauvaise utilisation, c’est à l’adhérent responsable de payer la réparation. En revanche, en cas d’usure, la Cuma prend en charge les frais.
Sans nul doute, entre le chargement du fumier, la mise en place des andains et l’entretien du matériel, ce système donne plus de travail aux agriculteurs. « Mais le coût est inférieur à l’achat d’engrais du commerce et je pense que cela apporte plus de vie dans les sols », défend Pierre Sautou. « Ici, nous avons des sols assez pauvres et grâce à ce compost gratuit, ils peuvent beaucoup amender, ajoute Marion Robert. Bien plus que ce qu’ils ne pourraient se permettre s’ils n’achetaient que du compost industriel. »
Du compost de fumier pour stabiliser le taux d’azote
Installé sur un peu moins de 7 ha et certifié Demeter depuis 2002, Pierre Sautou est confronté à des taux d’azote assez faibles, ce qui lui pose souci au moment de la fermentation. « Cela est peut-être dû aux températures extrêmement élevées que nous avons en été et qui empêchent la vigne de pomper l’azote présent dans le sol, explique le vigneron. En conventionnel, ce n’est pas un problème parce qu’ils peuvent rectifier avant la vinification, mais en biodynamie, nous n’avons pas droit à ces produits. C’est d’autant plus compliqué que nous n’utilisons que des levures naturelles. »
Le domaine de la Marseillaise s’est donc tourné vers le compost de fumier équin afin de maintenir des niveaux d’azote corrects. Cette matière organique répond au cahier des charges de la biodynamie puisque les deux centres équestres auprès desquels le domaine se fournit ne donnent pas d’antibiotiques à leurs animaux. « Je prends environ une cinquantaine de tonnes de fumier par an que je ne fais composter que deux à trois mois pour préserver l’azote, détaille Pierre Sautou. Le volume diminue presque de moitié et, au final, je mets trois à quatre tonnes de fumier par ha. » Associé à un enherbement entre les rangs et à l’enfouissement du couvert végétal au printemps, cet amendement contribue à stabiliser les niveaux d’azote.