Les agriculteurs seront-ils les otages d'une nouvelle politique commerciale américaine ?

Donald Trump a déjà promis d'imposer une taxe de 10 % sur toutes les importations, quelles qu'elles soient et d'où qu'elles viennent. Mais l'Europe a les moyens de riposter. Kamala Harris devrait, en revanche, mettre l'accent sur la protection de l'environnement dans les échanges. 

Les États-Unis sont un partenaire commercial clé pour l'Europe.

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La massue ou le scalpel ? Un protectionnisme accru avec une présidence Trump 2 ou une politique commerciale plus subtile de la part de Kamala Harris ? Les jeux ne sont pas faits pour l'instant, puisque le scrutin américain n'a lieu que le 5 novembre prochain. Mais les Européens s'y préparent, car ils savent que quel(le) que soit le ou la futur(e) locataire de la Maison Blanche, ils devront composer avec leur grand partenaire commercial.

Un partenaire incontournable 

De fait, en 2023, les États-Unis ont été la première destination des biens exportés par l'Union européenne, avec une part de 19,7 % des exportations totales. Et pour la France, en 2023, les États-Unis ont été :

  • son 4e client (derrière l'Allemagne, l'Italie et la Belgique), avec 45,2 milliards d'euros d'exportations ;
  • son 5e fournisseur, avec 61,8 milliards d'euros d'importations.

Les exportations françaises vers les États-Unis ont été portées en 2023 par l'aéronautique (17,6 % du total), les produits pharmaceutiques (9 %) et les boissons (8,7 %).

Trump, un habitué des manœuvres d'intimidation

Premiers exportateurs mondiaux pour les produits agricoles et agroalimentaires derrière l'UE, les États-Unis, qui subventionnent largement la production, jouent depuis des années sur leur puissance de feu à travers le monde.

Mais cette domination n'a pas empêché le président Trump (de janvier 2017 à janvier 2021) de se lancer dans un bras de fer avec la Chine. Il a imposé des droits de douane supplémentaires, dans le but de réduire les importations en provenance de ce pays et d'y forcer la vente de produits agricoles, notamment.

Et Pékin a évidemment répliqué, en imposant des taxes sur les produits venus des États-Unis, dont le soja, le sorgho et le porc. Ce qui a largement pénalisé les producteurs, qu'il a fallu compenser ensuite...

Produits agricoles contre Mercedes

De même, sur fond de dispute commerciale, notamment sur les subventions à Airbus, Donald Trump a voulu forcer l'Union européenne à inclure l'agriculture dans des négociations, en se plaignant que les Européens « prennent à peine nos produits agricoles, et pourtant, ils peuvent vendre des Mercedes chez nous ».

Reste qu'à part l'accord sur les importations européennes de bœuf (sans hormones) américain, en 2019, il n'y a pas, pour l'heure, de cadre général pour les échanges entre les deux puissances.

Un dollar faible pour stimuler les exportations

Si Donald Trump est élu, il y a fort à parier qu'il maintiendra, voire accroîtra, ses intimidations et sa politique protectionniste. D'ailleurs, en tant que candidat, il a déjà déclaré qu'il imposerait un « tarif de base universel » de 10 % sur toutes les importations, quelles qu'en soient la nature et la provenance, et un autre, spécial, de 60 % sur les produits chinois vendus aux États-Unis.

En outre, il se prononce pour un dollar faible, afin de stimuler les exportations américaines.

Bruxelles a les moyens de répliquer

L'Union européenne, affectée elle aussi par cette politique, répliquerait forcément, en ciblant, par exemple, certaines exportations américaines, comme elle l'a déjà fait par le passé sur les Harley-Davidson ou le bourbon. Elle pourrait même se concentrer sur des produits issus d'États américains trumpistes...

L'Europe sera soucieuse de protéger ses agriculteurs

Et il est peu probable qu'elle ouvre grand ses portes aux produits agricoles américains, soucieuse qu'elle est d'apaiser les producteurs, dont la grogne en début d'année portait, entre autres, sur les importations de produits n'ayant pas, de surcroît, les mêmes contraintes de production que les leurs.

Un instrument anti-coercition européen

De plus, l'Europe dispose, depuis 2023, d'une nouvelle arme pour protéger le commerce et lutter contre les menaces économiques : l'instrument anti-coercition. Il permet aux États membres de coordonner une large gamme de mesures de rétorsion contre tout pays tiers qui chercherait à imposer des restrictions commerciales injustes. Mais, font remarquer certains observateurs, il n'a pas encore été utilisé contre une superpuissance comme les États-Unis...

Une vision proche dans le camp démocrate

Quant à la rivale démocrate de Donald Trump, Kamala Harris, elle a eu peu de temps pour l'instant pour dérouler un programme portant sur le commerce. Mais l'obsession de Trump sur le sujet la forcera certainement à sortir du bois.

En fait, l'America First de Trump n'est pas si loin de la vision démocrate d'une politique commerciale « en faveur de la classe moyenne », et l'actuel président, Joe Biden, a laissé en place la plupart des tarifs douaniers imposés par son prédécesseur et les a même renforcés, sur les véhicules électriques en provenance de Chine, notamment.

Cela dit, il ne s'agit pas forcément, pour Kamala Harris, de s'aligner sur les positions de Joe Biden, ni, évidemment, sur celles de son adversaire, qu'elle a d'ailleurs largement critiquées, en particulier le bras de fer avec la Chine et ses impacts sur les agriculteurs américains.

Kamala Harris se décrit comme « non protectionniste »

De manière générale, en bonne Californienne – un État qui brille par ses productions à la fois agricole et technologique – elle se décrit comme « non protectionniste », puisqu'il faut bien vendre à l'étranger, dit-elle.

Sa politique commerciale devrait refléter cette philosophie. Quant au choix de son colistier, Tim Walz, l'actuel gouverneur du Minnesota, qui a grandi dans l'Amérique profonde au Nebraska, et a également représenté à la Chambre un district majoritairement rural du Minnesota, il va dans le sens d'un souci de protéger les petits fermiers.

L'environnement, un marqueur de la politique Harris

En outre, au Sénat, Kamala Harris s'était opposée au nouvel accord commercial entre les États-Unis, le Canada et le Mexique (détricoté à l'origine par Trump), le jugeant trop faible sur la protection de l'environnement. Cet argument devrait d'ailleurs guider sa politique commerciale en général, puisqu'elle semble vouloir faire de la lutte contre le dérèglement climatique la marque de son éventuel mandat. De ce fait, elle serait donc sur la même longueur d'onde que l'Union européenne. Avec tout ce que cela comporte comme contraintes pour les producteurs agricoles...