Jusqu’à il y a peu de temps, les plus vieux animaux du troupeau d’Olivier Dupas, éleveur laitier à Ligné (44), étaient encore identifiés comme croisés. « Mais je viens de vérifier, ça y est, toutes mes vaches ont désormais le code race de la montbéliarde ! » s’amuse l’éleveur, qui a eu longtemps l’habitude de voir le code 39 sur ses papiers.
Chez lui, la montbéliarde est pourtant présente depuis l’an 2000. À cette époque, il est installé depuis quatre ans en Gaec avec son frère, sur une ferme ayant une référence de 500.000 litres et un troupeau de prim’holstein : « Cette race ne me correspondait pas. J’ai toujours eu la fibre “viande”, je ne supporte pas les vaches maigres ! Mais je ne voulais pas non plus me disperser, je voulais rester spécialisé en lait. »
Deux prim’holstein pour une montbéliarde
Olivier s’oriente donc vers la montbéliarde, la seule race mixte qui lui semble suffisamment productive pour assurer sa référence. « Lorsque je me suis renseigné sur les achats de vaches en lait, il fallait vendre deux prim’holstein pour acheter une montbéliarde. Clairement, je ne pouvais pas acheter un troupeau. »
Gaec des Trois Chemins
- 2 UTH
- 60 vaches montbéliardes
- 7 à 8 croisés BBB par an (vente directe)
- 1996 : 170 ha, 480.000 l de lait
- 2024 : 160 ha (dont 100 drainés avec cultures de vente), 547.000 l
L’éleveur opte alors pour un changement de race par croisement d’absorption : « La première année, j’ai fait de l’IA avec des semences montbéliardes sur nos mauvaises prim’holstein. Nous avions en effet un troupeau de bon niveau, je voulais le conserver en partie. Mais cette première année, les vaches inséminées en prim’holstein m’ont fait 80 % de mâles, alors que le ratio était normal avec les croisées montbéliardes. Ça a été un prétexte pour croiser tout le troupeau l’année suivante. »
« Dès la première année, j’ai eu le physique que je voulais : des têtes blanches et des animaux bien typés viande. J’ai eu aussi de bons résultats en reproduction, les croisées étant plus fécondes que les races pures… Mais, évidemment, j’y ai perdu du lait par vache, on ne peut pas gagner sur tous les tableaux. »
Dans le même temps, son marchand de bêtes parvient à lui trouver quelques jeunes bêtes pure race montbéliarde. « Enfin, j’ai eu des animaux rouges sur la ferme. »
Garder plus d’animaux
Pour faire face à la perte de lait par animal les premières années de croisement et continuer à produire sa référence, Olivier n’a pas 36 solutions : il lui faut garder plus de bêtes. « C’est quelque chose qu’il faut bien anticiper. » Toutes ces premières années de croisement, l’éleveur fait aussi systématiquement appel à des taureaux aux profils très laitiers. Ayant ainsi des vaches dont la production est difficilement prévisible, Olivier expérimente la délicate gestion des quotas de production annuels : « Dommage que ce soit un tel couperet. »
Aujourd’hui, les 60 montbéliardes du troupeau ont une production, désormais bien calée, à 9.500 kg de moyenne (TB 41, TP 33). « Ce qui a vraiment boosté l’amélioration de mon troupeau, c’est la génomique. J’ai commencé à génotyper toutes mes génisses et, aujourd’hui, tout mon troupeau est génotypé. »
Croisement d’absorption : le point de vue de l’expert
Selon Christophe Lebastard, responsable race montbéliarde à Innoval, les principaux avantages de l’absorption sont le faible coût, l’effet hétérosis ainsi que la simplification des accouplements en 1re génération, et la réduction des risques sanitaires. Du côté des inconvénients, l’expert souligne la longueur du processus (3 générations consécutives de taureaux pour avoir une race pure), ainsi que l’absence d’index et d’évaluation génomique pour des femelles croisées. Cet inconvénient pourrait cependant disparaître avec le projet national en cours Evagenoc (évaluation génomique en croisements laitiers). Autres inconvénients : il n’existe pas de grille d’indemnisation en cas d’abattage sanitaire et pas non plus de marché pour commercialiser d’éventuelles femelles surnuméraires.
« Pour gagner du temps, on conseille d’utiliser de la semence sexée et de réaliser le croisement avec des taureaux haut de gamme. Une autre solution intéressante est la pose d’embryons : depuis 2014, Umotest avec son programme Genumo Intense donne accès à des embryons montbéliards issus des meilleures femelles génotypées en France. De nombreux éleveurs ont déjà bénéficié de cet outil. »
« Dès leur naissance, j’ai la carte génétique de mes génisses : je connais ainsi leurs caractéristiques. Avec Éric, mon inséminateur et conseiller en reproduction, on établit un planning. Je lui donne mes objectifs de sélection, je lui dis quelles vaches je veux garder et il me propose deux taureaux par vache. Pour les génisses, qui vêlent à 28 mois, on choisit systématiquement un taureau à vêlage facile. »
Les objectifs de sélection d’Olivier sont désormais le maintien du lait, la longévité et la morphologie. « Depuis 5 ans, j’y ai rajouté un objectif très important pour moi : le tempérament. Je veux des bêtes faciles à conduire. »
Olivier aimerait bien en rajouter un autre, qui, malheureusement, ne fait pas partie des critères indentifiables génétiquement : l’instinct de tétée. « C’est l’un des points faibles de cette race. Chez moi, les boucles anti-tétées ne fonctionnent pas, l’hiver elles s’accrochent dans les barrières. En ce moment, j’ai trois génisses qui ont perdu un trayon. Si c’était à refaire, dans mon bâtiment, je prévoirais des cases individuelles pour les génisses jusqu’à 6 mois. Je reste très pro-montbéliarde, je vis bien avec cette caractéristique, mais je préfère prévenir les jeunes qui sont intéressés par cette race ! »