"La souveraineté alimentaire n’est pas l’autarcie, mais choisir ses dépendances et accepter de produire à des revenus acceptables pour le producteur et le consommateur", indique Pascal Perri, économiste, chroniqueur et fondateur du groupe de travail et de recherche sur la santé et l’environnement "Oui à l’innovation". L’Europe prône la réduction de l’utilisation des produits phytosanitaires. Or, de nombreux professionnels s’interrogent sur les moyens d'y parvenir sans investissements massifs dans la recherche et sans objectifs de résultats concrets.
Le groupe "Oui à l’innovation" a organisé une table ronde sur la thématique "La souveraineté alimentaire peut-elle se passer de pesticides?". Pour alimenter le débat, Pascal Perri a convié différents interlocuteurs qui ont exprimé leur vision, sans retenue. Tous conviennent que:
- sans innovation, le changement n’est pas possible;
- l’interdiction d’usage d’une substance active ne peut se faire que s’il existe des solutions alternatives efficaces;
- la réduction des produits phytosanitaires doit prendre en compte les objectifs de production.
De l'Acta à BASF, ce qu'ils en pensent
Jean-Paul Bordes, directeur général de l’Acta-Les instituts techniques agricoles:
"Depuis 2008, le nombre de substances actives homologuées en France a diminué de 25%. Cette réduction drastique s’accompagne d’impasses techniques dans la lutte contre certains bioagresseurs mettant des productions en difficulté (colza, betteraves...). Le bon sens serait d’interdire des usages dès lors que des solutions efficaces existent. Pour ce faire, il faut anticiper les réévaluations des molécules très en amont pour que la recherche ait le temps de les substituer en se donnant les moyens financiers et les outils technologiques pour y parvenir."
Arnaud Rousseau, président du groupe de travail "Oléagineux et protéagineux" du Copa-Cogeca:
"Je milite pour une troisième voie de l’agriculture qui prend en compte les préoccupations environnementales, sans opposer les systèmes, et la nécessité de produire pour répondre aux besoins alimentaires d’une population en croissance. «Pas d’interdiction sans solution», nous dit Emmanuel Macron! Qu’une molécule comme le phosmet soit interdite sur le colza d’ici la fin de l’année, parce que son profil toxicologique ne correspond plus aux critères d’homologation, je veux bien l’admettre, mais sur ce dossier, nous n’avons pas de solution de substitution efficace, faute d’investissements massifs dans la recherche. Par conséquent, nous sommes face à des impasses techniques. Nous avons besoin de remettre de la science et de la rationalité dans les débats, avec des moyens et des objectifs concrets pour que nos chercheurs français puissent poursuivre leurs travaux."
Jean-Marc Petat, directeur agriculture durable BASF France Division Agro:
"Avec la stratégie Farm to Fork, l’Europe vise à réduire de 50% l’utilisation des pesticides à l’horizon 2030. C’est un programme ambitieux, mais qui ne prend pas en compte les objectifs de résultat et de production. Ne reproduisons pas les mêmes erreurs que le plan Écophyto pour lequel des objectifs ont été fixés sans se préoccuper de la finalité. L’innovation est en mesure de nous permettre d’atteindre le but fixé par l’Europe, à condition que les solutions soient efficaces et financièrement accessibles aux producteurs. La science doit revenir au cœur des systèmes et favoriser les acteurs de la R&D, avec des objectifs et un calendrier clairs pour éviter toutes impasses techniques."
De son côté, Josselin Saint-Raymond, porte-parole du collectif "Sauvons les fruits et légumes de France", constate que 40% des usages ne sont plus pourvus dans la filière fruits et légumes: "Sans solution technique pour lutter contre des ravageurs, le producteur se retrouve seul." Yves d’Amécourt, viticulteur en Gironde, estime que "le principe de précaution nous fait du tort. Quand on ne sait pas, on arrête de chercher, cela saborde nos compétences".