« Comment prendre des décisions techniques complexes si on ne sait pas ce qu’on veut pour sa ferme ? » C’est en ces termes que Victor Leforestier appréhende la gestion holistique. La gestion holistique consiste à considérer les choses d’une manière globale et pas de façon disjointe.
Victor Leforestier est spécialisé dans l’agriculture de "conservation" des sols, il intervient dans des formations de groupe sur la simplification du travail du sol, les couverts végétaux, et les différentes facettes de cette agriculture.
En 2015 il a obtenu une bourse Nuffield. Cette bourse lui permet cette année de voyager en Australie et aux États-Unis à la rencontre d’agriculteurs qui pratiquent le "holistic management" et de formateurs qui l’enseignent.
Depuis le mois de mars je suis dans le sud-est de l’Australie où la gestion holistique a été développée depuis les années 1990. À ce stade du voyage, les personnes rencontrées m’ont permis de mieux comprendre ce concept. Clarifier ce que l’on veut pour sa vie, tester les décisions, planifier leur mise en place, et suivre leurs conséquences sont des points clés de la gestion holistique. Je pense que c’est un outil pertinent car on prend trop peu souvent le temps de s’arrêter pour savoir ce que l’on veut vraiment.
"Un outil d'aide à la décision"
Ce concept est un ensemble d’outils pour prendre des décisions cohérentes écologiquement, financièrement et socialement et de s’assurer qu’elles soient mises en place.
La première étape consiste à décrire la situation dans laquelle on voudrait vivre en prenant en compte la performance économique, la qualité de vie et l’environnement naturel et relationnel. Ce "contexte" que l’on a défini sert à tester chaque action envisagée pour évaluer sa cohérence grâce à une série de questions. Ainsi on s’assure que chaque décision est prise en accord avec ce que l’on désire.
Des outils de planification sont intégrés à la gestion holistique. Le plus connu est le plan de pâturage, pour les éleveurs. D’après les agriculteurs que j’ai rencontrés, l’établissement du plan permet d’éviter le surpâturage et d’assurer une "réserve" d’herbe sur pied en cas de sécheresse. Le résultat : une amélioration de la productivité des prairies, et un rééquilibrage de la biodiversité grâce à la diversité de la flore. Pour moi le grand avantage de cette approche est qu’elle permet à l’agriculteur d’être proactif. Par exemple, un éleveur suivant son plan de pâturage pourra décider de vendre ses animaux en trop bien avant que la sécheresse ne s’installe ou que les prix ne tombent trop bas. Un agriculteur que j’ai rencontré m’a dit « j’ai moins de vaches cette année mais elles n’ont pas disparu, elles sont simplement dans la banque ». Si la saison prochaine est plus favorable, il augmentera son nombre d’animaux.
L’établissement d’un planning prévisionnel financier suit la même logique proactive. Le revenu nécessaire à la qualité de vie souhaitée est fixé en premier. Ce n’est qu’une fois le revenu assuré que l’on considère les différentes catégories de dépenses. Cette façon de considérer le revenu en premier est un des principes de base de la gestion financière holistique. Cette approche amène l’agriculteur à faire pression sur ses charges tout en étant innovant pour ne pas réduire sa production. Ici en Australie, cette manière d’établir un prévisionnel a permis à de nombreux agriculteurs de sortir de l’endettement.
Un autre aspect important de la prise de décision en gestion holistique est le suivi. Une observation systématique après la mise en place permet de vérifier que la décision prise apporte bien les résultats souhaités et dans le cas contraire de s’adapter.
"Le trafic controlé pour réduire la compaction"
Je profite également de ce voyage pour en apprendre davantage sur l’agriculture de conservation. J’ai rencontré plusieurs agriculteurs qui utilisent le trafic contrôlé pour réduire la compaction, ce qui semble apporter beaucoup aux producteurs australiens bien qu’ils soient dans un climat sec. J’ai pu également constater le challenge que représente le semis direct dans ces zones semi-arides où les résidus mettent du temps à se décomposer. Ici aussi, le débat semis direct à disque ou à dent est loin d’être tranché ! Les Australiens travaillent aujourd’hui sur un type de "chasse-débris" avec un jet d’eau à haute pression pour découper les résidus à l’avant des dents ou des disques de semis. J’ai rencontré un constructeur qui développe un moulin intégré à la moissonneuse-batteuse pour détruire les graines d’adventices présentes dans les menues-pailles. Avec les problématiques grandissantes d’adventices résistantes aux herbicides, ce type de technologie fera partie demain des stratégies globales de lutte à l’échelle de l’exploitation.
Pour partager mon voyage j’ai créé un site. Je serais bientôt aux États-Unis pour continuer à en apprendre davantage sur la gestion holistique et constater quels sont les résultats sur les personnes, leur entreprise et leur environnement.