>>> Quels sont les éléments qui affectent les cours du blé actuellement ?
Maxime Raturat : Pour comparer, les prix du blé, à la fin mars, se situaient à des niveaux de 226 $ la tonne en Europe, 291 $ en Chine, 207,70 $ aux États-Unis et de 186,5 $ en Russie. Autrement dit, les prix russes sont les plus compétitifs.
En outre, ce pays dispose de larges stocks. De fait, alors que la moyenne des stocks disponibles se situait, depuis 2014, à 12,8 Mt, le niveau s'élevait, au 30 juin 2023, à 19,2 Mt et au 1er janvier 2024 à un record de 36,5 Mt.
Certes, la Russie n'est responsable que de 11,6 % de la production mondiale de blé (tandis que la Chine est le premier producteur mondial, avec une part de 17,4 %, l'Europe étant à 17 % et l'Inde, qui a beaucoup développé sa production du fait d'une demande interne accrue, en fonction de la croissance démographique, se situe actuellement à 14,1 %), mais son impact est clair.
Et s'il reste encore à déterminer la quantité de la prochaine récolte russe (que l'USDA prévoit à 91,5 Mt, contre 92 Mt pour la campagne 2022-2023), Moscou devrait continuer d'exporter : jusqu'à 56 % de la récolte 2023-2024, en hausse de 48 % par rapport à une moyenne de 5 ans.
En somme, la Russie mène une guerre économique vis-à-vis de l'Occident avec le blé, puisqu'au-delà de l'Europe, elle perturbe aussi les exportations américaines. En effet, si l'on observe l'indice hebdomadaire Bloomberg des exportations de blé des États-Unis, son plus bas se situait, depuis 2019, à 150 points. Or, il est actuellement à - 119,6 points.
Les États-Unis ne devraient d'ailleurs exporter que 39 % de leur récolte de blé cette année, contre une moyenne de 50 % pour les campagnes passées, ce qui reflète leur moindre part de marché mondiale. Autant dire que non seulement Moscou exerce des pressions déflationnistes sur les cours, mais en plus, sa stratégie vise à conquérir des marchés.
Bref, la Russie sera bien, en 2024, la première puissance exportatrice de blé dans le monde, avec une part de marché de 24 %, tandis que la part des États-Unis, par exemple, se réduit à 9,1 %.
>>> Le salut peut-il venir de la Chine en matière de demande, en particulier de blé européen ?
M. R. : Pas sûr... Pékin détient actuellement 51 % des stocks mondiaux. Au-delà de la conjoncture économique, pour le moins atone, c'est, à long terme, l'évolution démographique qu'il faut observer.
Or la démographie – et donc la demande potentielle chinoise pour nourrir sa population – est en baisse. En conséquence, il y a peu à attendre en matière de marché de ce côté pour les Européens.
La Chine profite certes de la baisse des cours actuels pour reconstituer les stocks, mais elle pourrait cesser de le faire en cas de rebond.
>>> Justement, quelle évolution des cours envisagez-vous d'ici la fin de l'année ?
M. R. : Les cours du blé sont cycliques. Si les éléments cités ci-dessus convergent vers une baisse des cours, les prix bas ont logiquement tendance à faire revenir certains acheteurs sur le marché. Une analyse plus technique laisse en outre penser que les sommets historiques sont généralement suivis d'une période de correction après 600 séances de marché. Nous sommes, depuis le pic des cours de 2022, à 500 séances actuellement.
Une fois les plus bas atteints et qu'une consolidation se met en place, ce qui pourrait avoir lieu au milieu de cette année, le marché a généralement tendance, si les supports de cours ne sont pas enfoncés, à rebondir, après 150 séances de marché. Pour l'heure, nous en sommes, depuis le début de l'année, à 60 séances.
Un rebond est donc possible d'ici la fin de l'année. Mais attention, je ne m'attends pas à une explosion des cours ! Cela dit, des incertitudes demeurent, et qui pourraient influencer les cours à la hausse.
C'est notamment le cas des tensions géopolitiques, en particulier celles qui affectent le transport maritime en mer Rouge. Sans oublier des tensions d'ordre commercial, entre la Chine et l'Europe en particulier, telles qu'elles se font jour actuellement sur l'automobile.
Quant à la relation Chine-États-Unis, je ne crois pas qu'elle se détériorera davantage avec l'éventuelle arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche. Les deux pays savent trop bien qu'ils sont dépendants l'un de l'autre.
En résumé, malgré certaines incertitudes, l'année 2024 devrait être, en particulier pour les producteurs de blé français et européens, une année relativement médiocre en ce qui concerne le prix.