Exportations céréalières : l'inconnue chinoise

En France, les faibles volumes de récolte céréalière vont affecter les exportations. Selon Argus Media, celles de blé tendre vers les pays hors Union européenne seront ainsi rognées de 60 %. Avec à la clé, une perte de chiffre d'affaires qui devrait s'élever à 1,4 milliard d'euros pour l'ensemble du secteur. Reste à savoir si la Chine, en perte de vitesse économique, achètera.

Maxence Devillers, analyste de marché pour Argus Media : « La guerre des prix pratiquée par la Russie lui a permis de ravir des parts de marché en Tunisie, au Maroc et en Algérie – au détriment de la France... »

© Argus Media

La mauvaise récolte céréalière française affecte non seulement les producteurs – la moisson de blé tendre, par exemple, a chuté à 25,17 Mt cette année, soit un recul de 27,3 % par rapport à la moyenne des 5 dernières années –, mais aussi toute la filière, de la collecte au transport en passant par les exportations.

Seulement 4,1 Mt de blé français à exporter

Certes, l'approvisionnement du marché français ainsi que des pays de l'Union européenne sera préservé. Mais alors que, sur les 5 dernières années, la France pouvait espérer vendre quelque 10 Mt de blé tendre à des clients hors Union européenne, et notamment à des pays comme le Maroc, l'Algérie et la Tunisie, elle ne disposera cette année que de 4,1 Mt, un niveau au plus bas depuis 2001-2002. Cela correspond, selon Maxence Devillers, analyste de marché pour Argus Media, à une perte de chiffre d'affaires à l'export pour la France évaluée à 1,4 milliard d'euros.

La Russie fait la guerre des prix...

Les grandes maisons de trading qui gèrent les exportations de blé, en particulier à partir de Genève, iront ailleurs qu'en France pour se fournir. Et déjà, la Russie, malgré une production en baisse (- 8,8 Mt, avec un total de 82,6 Mt), du fait d'aléas climatiques, est à la manœuvre. Elle a certes des disponibilités en recul, mais grâce à des stocks de report élevés (de près de 15 Mt), elle peut envisager des exportations quasiment aussi fortes que ces deux dernières années.

…pour conquérir de nouveaux clients

Par ailleurs, alors qu'elle fait face à une baisse de la demande de la part de ses clients habituels, « la Russie fait pression sur les prix pour aller chercher de la demande nouvelle », relève Maxence Devillers. En effet, parmi les clients traditionnels de Moscou, le Pakistan affiche une récolte record, tandis que le Bangladesh dispose de bonnes disponibilités, sur fond de demande en recul en raison d'une crise économique et politique et, enfin, la Turquie a décrété un arrêt des importations de blé à partir de juin 2024 et jusqu'à, au moins, mi-octobre, afin de protéger les prix pour les producteurs nationaux.

Prise de parts de marché au détriment de la France

La guerre des prix pratiquée par la Russie lui a également permis de ravir des parts de marché en Tunisie, au Maroc et en Algérie – au détriment de la France... D'autant que l'Afrique du Nord affiche des besoins records à l'import (19,5 Mt, en hausse de 2,4 Mt en un an), du fait d'une production locale décevante au Maroc, mais aussi en Algérie et en Tunisie.

Le retour de l'Inde se fait attendre 

Dans ces conditions, il reste à savoir où le peu de blé français à vendre à l'extérieur pourrait s'exporter... En Inde ? « Elle devrait revenir sur le marché pour la première fois depuis 2016 et importer 3 Mt de blé tendre, mais elle tarde à se manifester et entretient le doute », répond l'analyste de marché d'Argus Media.

La faible croissance chinoise pèse sur la demande

En Chine, alors ? Mais après un record l'an passé, les importations chinoises de blé sont pour le moment attendues à 11 Mt, en recul de 2,5 Mt, selon Argus Media. La raison ? Une croissance économique en berne, qui ne favorise évidemment pas la demande. Et ce déclin commercial pourrait encore s'aggraver « si la faible dynamique d'achat sur toutes les céréales constatée ces derniers mois se poursuit », ajoute-t-il.

Pas de hausse des prix en vue

Pis, une hausse des prix – peu probable – ne risque pas de sauver les producteurs français. En effet, malgré les contreperformances française et, dans une moindre mesure, allemande, la production s'est maintenue ailleurs, dans d'autres pays exportateurs en Europe, comme la Roumanie et la Bulgarie, qui enregistrent d'excellentes récoltes de blé, l'Espagne, l'Italie ou les Pays baltes, lesquels affichent aussi de bons, voire de très bons niveaux de production.

Récolte étale en Ukraine

Enfin, en Ukraine, la production reste dans la moyenne des 2 dernières années, à 21,74 Mt (contre 28 Mt avant le conflit). « Mais les stocks accumulés lors du blocage maritime de 2022 sont désormais écoulés, fait valoir Maxence Devillers. Le pays a donc moins de blé exportable aujourd'hui. »

De bonnes moissons, des États-Unis à l'Argentine

Enfin, tous les autres grands pays exportateurs – États-Unis, Canada, Kazakhstan, Australie et Argentine – ont bénéficié ou vont bénéficier de bonnes ou de très bonnes récoltes. Elles viennent presque compenser les baisses de disponibilités exportables constatées sur le continent européen.

Un marché mondial à l'équilibre

D'autant que, si l'offre mondiale de blé à l'export recule légèrement (de 3 Mt par rapport à la précédente campagne), la demande à l'import sur le marché mondial devrait reculer davantage...