La Russie a l’art et la manière de faire des déclarations d’intention pour le moins ambitieuses, et notamment celle de redevenir le plus gros exportateur de blé au monde. Pour Arnaud Garnier, de la société Au Bon Silo, « la Russie n’a plus le choix, avec la chute du pétrole et la baisse du rouble, le pays est dans une situation financière catastrophique ». Il y a un an, la Russie mettait en place une taxe à l’exportation de blé pour éviter l’inflation des prix domestiques alors que le rouble s’effondrait. Aujourd’hui, alors que le rouble est encore plus faible, elle hésite et laisse entendre qu’elle pourrait lever cette taxe. « Cette taxe n’aurait-elle servi à rien ? », s’interroge Arnaud Garnier.
Dernier fait d’armes du géant russe, la mise en place d’un embargo à l’égard du maïs et du soja américains, au prétexte de problèmes sanitaires. Mise à part la portée politique symbolique de cette décision, cet embargo n’aura aucune incidence, compte tenu des échanges commerciaux quasi nuls entre les États-Unis et la Russie sur ces denrées. « Mais ce qu’il est important de noter, c’est que dans la foulée, l’Égypte se distingue par le refus d’un cargo de soja américain », soulève Arnaud Garnier. Et la question qu’il faut se poser, c’est à quel jeu jouent ces deux pays. Là encore, la Russie se gausse d’avoir l’Égypte comme premier pays importateur de blé et souhaite renforcer ces échanges, mais pourquoi, sur le dernier appel d’offres officiel du GASC égyptien, c’est du blé roumain qui a été choisi ? « L’Égypte n’a que trois mois de stock devant elle, elle va avoir besoin de blé. Les prix sont au plus bas. Alors que Tunisie et Algérie achètent, l’Égypte, officiellement, à part refuser les cargos étrangers, n’achète plus rien. C’est à ne rien y comprendre », poursuit le négociant.
Les frères d’armes
Toute la difficulté consiste à distinguer l’info de l’intox. Officiellement, l’Égypte n’achète pas, mais officieusement, y a-t-il d’ores et déjà des accords et des échanges qui se font avec la Russie ? Sur le plan géopolitique, Russie et Égypte renforcent leurs liens, notamment au détriment de la Turquie, mais pour Arnaud Garnier, c’est un jeu très dangereux pour la Russie, car cette dernière a besoin de la Turquie et de son détroit de Bosphore pour exporter ses blés depuis la mer Noire.
La Russie suivie de l’Égypte font un peu la pluie et le beau temps sur les marchés, sans que l’on parvienne à en identifier les ressorts. Des considérations géopolitiques sont sans doute au cœur de ce petit jeu du chat et de la souris. Souvenez-vous, il y a un an, Vladimir Poutine offrait une Kalachnikov au général Al Sissi comme cadeau ! Sans doute pour symboliser quelques accords militaires ou « fêter » des livraisons d’armements russes à l’Égypte.
Si on s’inquiète pour l’heure du débouché français en Égypte, « il ne faut pas oublier que l’idée même d’avoir un seul importateur est aussi dangereuse pour l’Égypte. D’autant que la Russie, malgré ses déclarations officielles, est capable, d’une année sur deux, d’avoir une production divisée par deux », conclut Arnaud Garnier. Et pour le moment, au niveau de l'état des cultures, même si les officiels russes laissent entendre que tout va bien, rien n'est encore joué !