
Anthony Frison et ses enfants, en année 1 de la plantation des arbres. L’agroforesterie, une aventure familiale.
© Anthony FrisonAnthony Frison n’était pas destiné à devenir agriculteur. Sa vocation, il l’a eue plus tard, après l’obtention de son doctorat à l’Inra et quelques années en tant que responsable d’expérimentations agronomiques. « Il y a eu cette opportunité avec cette première reprise d’exploitation qui jouxtait pour partie l’exploitation familiale. En parallèle de ces 90 hectares à cultiver, je suis devenu formateur en agronomie au CFA de Bellegarde », explique Anthony Frison.
Si l’agronomie était son domaine de prédilection, la mécanisation l’était beaucoup moins. « Les tracteurs ne m’ont jamais attiré. Je savais les conduire, mais atteler ou dételer un outil, c’était compliqué », se souvient-il. Il voulait plonger dans le cœur du métier d’agriculteur et y apporter ses connaissances en agronomie.
« Quand j’ai décidé de devenir agriculteur, j’ai préparé mon schéma d’installation en me donnant vingt ans pour arriver à cultiver plus avec moins. Je souhaitais stocker un maximum de matières organiques en adaptant mes pratiques pour y arriver », débute-t-il.
Changer les pratiques
La première ferme qu’Anthony Frison a reprise était en total labour annuellement. Dès l’année de la reprise, il instaure le semis direct et les couverts végétaux. « Sur Boynes et Courcelles, les deux sites d’exploitation, je suis le seul à pratiquer le semis direct », note-t-il.
Si le labour est en mesure d’offrir une sécurité annuelle de résultats, Anthony Frison n’en est pas partisan. « En 2016, avec les inondations que l’on a connues, j’aurais été obligé d’arrêter le métier si j’étais resté sur ce système de labour. La réduction de mes charges me permet d’absorber les années difficiles », avoue-t-il.
Des économies de fioul, engrais et phyto
« Aujourd’hui, par rapport à mon plan d’installation en modifiant la préparation du sol, je divise par deux ma consommation en fioul. Cela signifie moins d’heures de tracteur, moins d’usure du matériel, donc moins de charge de mécanisation et surtout moins de main-d’œuvre », indique-t-il. En effet, avec 100 l/ha avec l’ancien système, il tourne aujourd’hui à moins de 50 l/ha malgré un parcellaire morcelé.
Passionné d’agronomie, il ne déclenche des traitements qu’au moment où la plante en a réellement besoin. « Je ne suis pas en traitement systématique. Le climat change, nous avons moins de pression fongique grâce des printemps plus secs », précise l’agriculteur.
Sa transition agroécologique lui a également permis de réduire de moitié son utilisation d’engrais et de produits phytosanitaires. « Avec ces économies, je peux accepter une baisse de rendement éventuelle », confie-t-il.
Plus d’une quarantaine d’espèces implantées
Cette année, l’implantation des blés est complexe à cause d’un excès de pluviométrie. Pour autant, Anthony Frison reste optimiste. « L’assolement ne m’inquiète pas, chaque année est différente. Au lieu de 80 hectares de blé, je n’en sèmerais peut-être que 20 ha et on rebondira sur une autre culture. Nous avons une palette de possibilités culturales à disposition sur notre secteur », admet-il.
Exemple de couvert végétal testé sur l’exploitation : un mélange de lin, pois, tournesol, niger, radis, colza, trèfle et phacélie.
En 2018, l’agriculteur avait récolté 19 cultures sur 21 semées. Entre les cultures, les couverts végétaux, les dérobées, Anthony Frison expérimente des rotations avec un panel d’une quarantaine d’espèces et multiplie lui-même ses semences de couverts végétaux. « Le blé, c’est l’assurance d’avoir un résultat et de dégager une petite marge. Avec des féveroles ou des pois, nous ne sommes à l’abri de rien », indique-t-il. Cette année, il avait semé du sarrasin en dérobée qu’il ne pourra sans doute pas récolter à cause du temps pluvieux.
« Il faut s’adapter au climat et savoir être opportuniste. Ici, ça aurait dû être du blé mais finalement, il faudra attendre de bonnes conditions de ressuyage pour broyer la culture et nous implanterons de l’orge de printemps », précise-t-il.
Opportuniste et expérimentateur, entre du blé et de l’orge d’hiver, Anthony Frison a planté une féverole pure à 200 kg/ha pour casser le cycle entre deux céréales. Si la culture a été détruite pour laisser la place à l’orge d’hiver, la féverole, elle, repart de plus belle.
« Je vais peut-être mener la féverole avec l’orge et je récolterai les deux. J’aime faire des essais », avoue-t-il.
Autodidacte, Anthony Frison mène son verger sans aucune taille depuis son implantation.
Tout en semis direct, ou presque…
Anthony Frison n’a pas de rotation établie à l’avance et sème en général toutes ses cultures en semis direct. Sauf exception. Car c’est un agronome de métier et qu’il est conscient que, parfois, la mécanisation a son importance. « En 2016, j’ai fait du blé sur betteraves. Malheureusement, à cause de l’excès d’eau, le blé n’a pas été bien implanté. J’ai finalement décidé de décompacter la parcelle pour repartir sur de bonnes bases », souligne-t-il.
Son conseil : ne pas bouleverser les horizons. Sa décompaction, il l’a réalisée dans le couvert végétal pour faire en sorte de desserrer mécaniquement le chemin des racines.
Parfois, il récolte ses couverts. « J’ai fait une dérobée moha dernière du trèfle incarnat. J’ai récolté les deux cultures. Je récolte 10 % de ma surface », ajoute-t-il. Avec un assolement encore incertain, l’agriculteur ignore vers quels couverts il se tournera en 2024.
Rentabilité et décarbonation
Les couverts sont un investissement sur le long terme. Pour être en décarbonation, il faut mettre moins de 150 unités d’azote à l’hectare. Grâce à son système, l’agriculteur apporte environ 100 unités en moyenne à l’hectare sur la ferme. « En 2022, j’ai récolté des maïs à 150 quintaux avec seulement 60 unités d’azote », souligne-t-il.
Hormis le soja qui est rentable grâce à l’irrigation, les légumineuses (féveroles et pois) sont économiquement peu viables. Mais derrière un pois, le couvert végétal est conséquent. « En apportant des légumineuses dans le système de culture et en mettant en place des couverts derrière, je sais que, pour mon blé, il y aura déjà 80 unités d’azotes disponibles. Cela signifie que j’aurai peu de charges sur ce blé », explique l’agriculteur agronome.
Si les conditions techniques et climatiques sont idéales, alors l’efficience est trouvée. « Quand je produis une orge avec trop de protéines, c’est qu’il y avait trop d’azote et, pour moi, c’est perdu dans le système. En revanche, produire un blé à 100 quintaux avec 140 unités d’azote apportées et 13 de protéines, là, on est efficient », insiste-t-il.
Remplacer la chimie par la biologie, voilà son credo
Outre les couverts, le colza associé à des plantes compagnes lui permet d’économiser 30 unités d’azote. Anthony Frison prône le recyclage. « Il faut recycler le plus possible en limitant les pertes par le lessivage des nitrates ou la volatilisation en utilisant les bonnes formes d’engrais au bon moment. C’est comme cela que l’on aura des augmentations de rendement tout en favorisant son stockage de matières organiques. » Il lui reste huit années pour mener à bien son projet.
Agroforesterie, de l’utopie à la réalité
Dans le cadre d’un projet de territoire lancé en 2017, le pôle d’équilibre territorial et rural (PETR) Beauce Gâtinais en Pithiverais cherchait des agriculteurs pour planter des amandiers. Ce sont 17 planteurs qui se lancent dans l’aventure avec près de 14.000 arbres plantés dans le Pithiverais.
Une SAS, les amandes de Pithiviers, a été créée, les amandes sont transformées en local notamment pour la fabrication du célèbre gâteau : le pithiviers.
« Utopiquement, je souhaitais mettre ma ferme en 100 % agroforesterie. Mais la réalité m’a rattrapé. Je suis à 95 % en fermage et investir sur une parcelle qui ne m’appartient pas n’est pas concevable », assure-t-il.
En 2018, il achète une parcelle de 3 ha et décide de partir à l’aventure avec l’agroforesterie. En 2019, 700 arbres sont plantés tous les 4 mètres avec un interrang de 12 mètres. Un tiers de la surface est occupé par des amandiers. Sur les 2 ha restants, il sème du blé ou du maïs.
« Aujourd’hui, je vais faire évoluer ma parcelle. Les arbres sont feuillus et j’ai du mal à passer avec les engins. Je vais planter une nouvelle rangée », déclare-t-il. Un investissement de 15.000 €, hors irrigation. Il a installé un dispositif de goutte à goutte enterré entre les arbres.
20 kg d'amandes
Cette année, pour sa première vraie campagne, encore marquée par du gel d’avril, il récolte une vingtaine de kilos d’amandes. Près d’une tonne pour ses collègues qui n’ont pas gelé. Les vergers en 3es feuilles ont assuré la récolte. Les 4es feuilles ont été impacté par le gel, une fois de plus, à cause d’une floraison plus précoce.
Pour s’adapter à ces conditions climatiques qui peuvent être fatales, Anthony Frison vient d’acquérir un dispositif antigel et une station météo connectée pour être plus réactif.
La plantation d’amandiers à trois ans et demi.
Autodidacte, ce céréalier mène son verger sans aucune taille depuis son implantation. Il vient d’acquérir un ensemble de récolte. Il espère, avec la SAS Amandes de Pithiverais, obtenir dans quelques années une IGP ou AOP. Et comme disait Serge Zaka, agroclimatologue, « le climat évolue et les cultures du sud remonteront vers le nord. En 2100, il ne sera pas étonnant de voir des abricotiers en Centre-Val de Loire ». Anthony Frison n’écarte pas l’idée d’implanter d’autres fruits à coque, ou même du kiwi.
Sabrina Beaudoin