« Il s'agit de requestionner l'évidence, comme celle de la chasse d'eau », avance Anthony Briant, directeur de l'École nationale des ponts et chaussées. Ses équipes de chercheurs et de doctorants l'ont fait, dans le cadre du programme de recherche-action Ocapi, qui aborde de façon systémique les enjeux de transformation écologique et sociale dans la gestion des urines et matières fécales humaines, au sein du laboratoire Eau, environnement, systèmes urbains (Leesu) de l'École.
Et ils ont conçu une solution tout à fait accessible. Au lieu de tirer la chasse, mieux vaut en effet récupérer l'urine, puisqu'elle peut être une ressource fertilisante pour l'agriculture, du fait de sa richesse en nutriments (azote, phosphore et potassium, notamment), éléments essentiels à la croissance des plantes, alors qu'elle pollue lorsqu'elle est diluée dans l'eau des toilettes.
Favoriser la circularité
Le dispositif, qui repose sur des bidons pour récupérer l'urine à domicile, des stations de transvasement, un point de rendez-vous pour l'apport et un camion de collecte, a été mis en œuvre en 2022 dans le cadre du projet Enville (pour « Engrais humain des villes »), à Bagneux, au sud de Paris. Simple et pratique, il vise à favoriser la circularité des nutriments contenus dans l'urine. Il est d'ailleurs soutenu par la mairie et financé par l'Ademe Île-de-France.
Un premier point d'apport volontaire
Jusqu'à présent, la précieuse cargaison était prise en charge par Simon Ronceray, maraîcher du Loiret, qui a passé un accord avec l'Amap locale pour livrer des fruits et des légumes à Bagneux, et en profite, lors de ses livraisons, pour récupérer l'urine.
Pour le rendre plus attrayant, le dispositif a été doté d'un premier point d'apport volontaire d'urine et de stockage, inauguré le 18 septembre à Bagneux, ce qui permet à chacun et chacune de venir quand il ou elle veut. Et l'événement, une première en France, a évidemment été l'occasion de sensibiliser les citoyens encore sceptiques, afin qu'ils fassent leur part pour une agriculture périurbaine plus durable...
Économies d'eau
Depuis son lancement, le dispositif a déjà permis de récupérer 2.300 litres d'urine et, surtout, comme ceux qui participent à l'opération ne tirent plus la chasse, il leur a aussi fait économiser 38.000 litres d'eau au total. « Alors qu'un Français utilise 150 litres d'eau par jour, je n'en consomme que 50 en moyenne », assure ainsi Bruno Rakedjian, qui arbore fièrement à la boutonnière un badge « Amapipi ».
La collecte de l'urine permet non seulement de réduire la consommation en eau, mais aussi de diminuer la pression environnementale sur les cours d'eau, qui reçoivent les rejets issus des systèmes d'assainissement, car l'azote et le phosphore provenant de l'urine constituent une pollution forte.
Peu de risques sanitaires
En outre, à l'inverse des matières fécales, l'urine présente très peu de risques sanitaires biologiques, ce qui facilite sa collecte et son utilisation en agriculture. Enfin, son utilisation comme fertilisant agricole permet d'assurer une agriculture soutenable, reposant sur des engrais locaux et durables, contrairement aux engrais de synthèse, dépendants de ressources fossiles (gaz naturel, minerais).
Arroser des haies seulement
Reste que, pour l'heure, si les expérimentations ont bien prouvé l'intérêt de la méthode, locale, circulaire et durable, le maraîcher, qui travaille en bio, ne peut l'utiliser que « pour arroser les haies, qui poussent davantage, et quelques couverts pour le paillage », dit-il.
En effet, la certification bio n'inclut pas l'urine. La Fédération nationale d'agriculture biologique a cependant lancé une étude, et les « propipi » espèrent un changement de réglementation dans les années à venir, qui ferait essaimer les dispositifs du même genre un peu partout en France pour le maraîchage.
Toutefois, Simon Ronceray est réaliste. « Il ne faut pas négliger certaines contraintes, en matière d'épandage et de volatilisation ammoniacale, sans oublier de possibles odeurs », prévient-il. Les experts mettent aussi en garde contre d'éventuels résidus pharmaceutiques présents dans les urines.
Difficile en grandes cultures
Quant à tenter l'expérience en grandes cultures, c'est une tout autre affaire... « Tout est question de quantité de ressources, indique Florent Brun, ingénieur de recherche à Leesu. Pour fertiliser de cette façon un hectare de blé, il faudrait 15 à 20 m3 d'urine, ce qui correspondrait à 170 unités d'azote, soit l'équivalent de 100 % de l'urine d'une quarantaine de personnes pendant un an. »