>>> Une étude américaine, il y a plus de trente ans, évoquait une relation entre la présence de fermes éoliennes et le stress hydrique des plantes dans les cultures alentour. Qu'en pensez-vous ?
François Cauneau : Cette étude, très ancienne, réalisée dans le MidWest, ne fait pas partie de celles avec lesquelles je travaille. Non seulement elle est obsolète, mais en plus, elle a été faite sans travaux expérimentaux au préalable, sans caution scientifique et pendant une période de tensions naissantes entre le lobby agroalimentaire, qui avait commandité l'étude, et les industriels des énergies renouvelables qui commençaient à s'implanter sur les mêmes terres agricoles.
Par ailleurs, les résultats, plutôt proposés qu'affirmés, n'ont de toute façon pas été confirmés ensuite. L'idée était de dire qu'à partir du moment où un ensemble d'éoliennes prélève de l'énergie du vent pour produire de l'électricité, ce prélèvement, ou ce « manque », se ressent forcément sur la végétation. Du fait que les fermes éoliennes sont censées diminuer la vitesse du vent en aval de la surface agricole, l'évapotranspiration de la végétation aurait elle aussi tendance à diminuer, ce qui aurait donc le potentiel d'augmenter le stress hydrique.
On avançait ainsi de possibles liens entre éoliennes et stress hydrique sur certaines cultures, en particulier le maïs. Mais en fait, le raisonnement est faux et les résultats de l'étude ne sont pas reproductibles. Pas reproductibles, puisque certaines recherches, y compris en Europe, ont tenté de le faire – pour s'apercevoir qu'il n'y avait pas de corrélation entre production électrique éolienne et stress hydrique. Et faux, en ce qui concerne le raisonnement, parce qu'une ferme éolienne ne fonctionne pas comme une seule éolienne pour ce qui est de la vitesse moyenne du vent.
Une ferme éolienne – imaginez un grand échiquier – fonctionne avec plusieurs rangées parallèles de machines. Certes, la première rangée de machines « dévente » ce qui est derrière elle. Mais en fait, elle crée un sillage turbulent – phénomène bien connu des aérodynamiciens –, qui a une vertu, celle d'aller chercher du vent en plus haute altitude pour le ramener sur son sillage.
Le résultat, c'est que dans la zone qui serait théoriquement déventée par la première rangée d'éoliennes, en réalité, vous avez un vent frais qui vient d'altitude. Cela permet de faire fonctionner la rangée suivante de machines. Et le phénomène se répète de rangée en rangée, pour aller, pour des installations de 4 à 5 rangées, chercher du vent sur toute l'épaisseur de la couche humide planétaire, soit sur les 2.000 premiers mètres d'altitude.
En outre, le vent augmente avec l'altitude, et même s'il y a une perte, grâce à ce sillage turbulent, la dernière rangée profite elle aussi d'une bonne qualité de vent. Dans ces conditions, la végétation bénéficie d'un même gisement de vent que les éoliennes.
En somme, il n'y a pas d'ombre, selon l'expression employée, au sens où il y aurait moins de vent qu'il ne devrait y en avoir naturellement sur la végétation. Et la vitesse moyenne du vent n'est pas affectée. D'ailleurs, s'il y avait moins de vent, la végétation souffrirait, mais, par définition, on ne mettrait pas d'éoliennes : elles coûtent trop cher pour qu'on les mette à un endroit où il n'y a pas assez de vent !
>>> Mais n'y a-t-il pas eu d'études récentes en France sur le sujet ?
F.C. : La France n'a pas engagé d'études en propre sur le sujet, mais d'autres ont été menées, notamment dans le cas de projets européens sur le gisement éolien, qui comprenaient des données sur les fermes éoliennes et l'impact sur la végétation et le stress hydrique.
D'ailleurs, ce serait le seul impact à attendre sur les cultures. Au point de vue mécanique, il n'y en a pas, l'éolienne ne faisant qu'augmenter un tout petit peu la turbulence au niveau du sol. Et même s'il faudrait sans doute faire des études plus fines, personne, pour le moment, dans la communauté scientifique, n'a remarqué quoi que ce soit, alors que l'éolien est largement déployé à travers le monde.
>>> La turbulence, justement. Quel est votre avis sur cette question ?
F. C. : Selon l'état actuel des travaux, l'impact tangible d'une ferme éolienne sur les cultures concerne essentiellement la turbulence. C'est-à-dire que lorsque le vent souffle à la surface de la terre, il se crée dans les 20 premiers mètres de la surface terrestre une couche, qu'on appelle « couche limite turbulente », dans laquelle le vent est perturbé par la proximité du sol.
Or c'est dans cette couche limite que se développent les végétaux, y compris agricoles et arboricoles. La présence d'une ferme éolienne modifie la structure de cette couche limite turbulente. Si elle ne diminue pas, comme je l'ai expliqué plus haut, la vitesse moyenne du vent, en revanche, en intensifiant la turbulence dans son sillage, la ferme éolienne peut avoir, suivant les types de végétaux, un effet sur le métabolisme de la plante et son évapotranspiration.
Cela dit, après un demi-siècle d'exploitation de fermes éoliennes en milieu agricole en Europe, et alors que la Commission européenne lance régulièrement des projets d'étude pour évaluer les impacts environnementaux, quasiment en permanence, on ne voit pas de corrélation. Mais attention, absence de corrélation ne veut pas dire absence de lien...
>>> Que voulez-vous dire ?
F. C. : La structure de la couche limite turbulente est très complexe et échappe à toute modélisation théorique actuellement. Tout ce qu'on sait faire, c'est mesurer les propriétés mécaniques de cette couche limite. Et on le fait d'ailleurs 15 ans avant un projet d'implantation d'une ferme éolienne, notamment avec des mâts d'une vingtaine de mètres de haut, qui enregistrent en permanence l'intensité du vent et l'intensité de la turbulence, à tous les niveaux, entre 0 et 20 mètres.
Et il faut le refaire à chaque fois, selon l'interaction entre le vent et le paysage autour de la ferme éolienne. Par ailleurs, le vent dont vous disposez au niveau du sol dépend de la façon dont le sol réagit. On ne sait pas encore très bien comment la végétation influe sur la structure du vent, même si l'on sait que la biosphère interagit avec l'humidité atmosphérique, la végétation contrôlant le climat. Mais il est possible que dans un avenir proche, ce que j'espère, on découvre qu'il y a des végétaux intelligents qui contrôlent la structure du vent dans leur environnement.
Tout cela pour dire qu'il s'agit d'un secteur très théorique, sur lequel on sait peu de choses, mais pour lequel les résultats d'études ne montrent rien de probant, allant dans le sens d'un principe de précaution.
>>> Dans ces conditions, comment les agriculteurs doivent-ils réagir ?
F. C. : Malgré les incertitudes, les producteurs agricoles doivent en effet prendre des décisions tous les jours. Je crois que tout va dépendre de la végétation elle-même. Peut-être certains végétaux sont-ils plus sensibles que d'autres à l'augmentation de la turbulence.
Dans ces conditions, quid des grandes cultures, par exemple ? Si l'on est dans une rotation colza, maïs, blé, il n'est pas sûr que les trois réagissent de la même façon lorsqu'une ferme éolienne à proximité va augmenter l'intensité de la turbulence au niveau de leur canopée. C'est même très probablement différent.
Il serait donc intéressant de demander à la Commission européenne de financer des projets scientifiques consistant à évaluer les impacts à très long terme, 10 ou 15 ans, sur un très grand nombre de sites et à travers toute l'Europe, avec des mâts mesurant l'humidité, l'intensité de la turbulence, etc., de façon à voir s'il y a des liens entre évapotranspiration des espèces cultivées et augmentation de la turbulence.
Les fédérations d'agriculteurs devraient se regrouper en Europe pour demander cela à la Commission. Ce qui n'empêche pas de réfléchir dès maintenant pour faire évoluer la philosophie dominante de la monoculture... De leur côté, les professionnels de l'éolien doivent s'engager à respecter la transparence des données, ce qu'ils ont eu du mal faire jusqu'à présent – pour des raisons liées à leurs actionnaires ou leurs futurs investisseurs.