>>> Que constatez-vous dans l'évolution récente des prix mondiaux du sucre ?
Matéis Mouflet : Les prix mondiaux ont pris quelque 10 % ces derniers jours. Après un plus haut à 28 cents la livre (0,28 dollar) en avril, ils se situent encore à des niveaux très élevés, à 22 cents la livre.
>>> Quelles en sont les explications ?
M. M. : C'est avant tout en raison d'un déficit de production. Alors que les acteurs sur le marché s'attendaient à un surplus cette année, après un déficit pour la précédente saison (de 200.000 tonnes, avec une production à environ 181 Mt), c'est le contraire qui se produit. Ainsi, les prévisions pour la prochaine saison (2024-2025) ont été abaissées, de 186 Mt à 179,3 Mt.
Les raisons sont multiples. D'une part, l'Inde maintient, pour la deuxième année consécutive, ses restrictions sur les exportations, du fait qu'elle veut utiliser la matière première pour l'éthanol, afin de faire baisser les prix du carburant et la pollution. Pour l'heure, les carburants indiens sont composés à 13 % d'éthanol, mais New Delhi veut porter cette proportion à 20 % d'ici 2 ans. C'est donc de la matière première qui ne sera pas sur le marché pour la transformation et la consommation alimentaire.
En outre, dans le Maharashtra et le Karnataka, les deux grandes régions productrices de canne en Inde, qui représentent plus de la moitié de la production nationale, les pluies irrégulières de mousson ont fait baisser les rendements. Alors qu'on attendait une production nationale à 34 Mt en 2023-2024, ce ne sont plus maintenant que 32 Mt qui sont prévues.
Par ailleurs, le premier producteur mondial de canne, le Brésil, connaît lui aussi des difficultés. La sécheresse, qui sévit notamment dans le centre et le sud du pays, a provoqué de gigantesques incendies, qui ont réduit les rendements sur 230.000 hectares de canne. Et là encore, alors que les prévisions, pour ces deux régions productrices, s'établissaient auparavant à 44 Mt pour cette année, les nouvelles estimations tablent plutôt sur 40 Mt. Des pertes mondiales sévères, donc, qui influencent les cours.
>>> Comment voyez-vous l'évolution des cours à moyen terme ?
M. M. : Les cours sont sujets à une saisonnalité, qui va de septembre à la fin de l'année, période généralement favorable à une hausse. Au-delà de cet aspect, ils ont également été influencés récemment par un phénomène financier. Alors que les investisseurs internationaux profitaient de taux d'intérêt à zéro (voire négatifs) au Japon pour emprunter dans ce pays afin d'acheter ensuite de la dette brésilienne, une stratégie très rentable, la banque centrale japonaise a relevé ses taux à 0,25 % en juillet.
En conséquence, ces investisseurs ont dû abandonner cette stratégie et vendre la dette brésilienne qu'ils détenaient, ce qui a fait baisser le réal, la devise brésilienne. Et compte tenu du fait que le Brésil est le premier producteur mondial de canne à sucre, ce mouvement a mécaniquement pesé sur les cours du sucre, ce qui explique d'ailleurs en partie le recul de 28 cents la livre à 22.
Cela dit, les cours pourraient remonter. Car si l'offre est déjà plus faible qu'attendu, elle reste encore soumise aux pluies à venir au Brésil. Or si les traders espéraient qu'elles compensent la sécheresse actuelle, ils sont de moins en moins persuadés que cela sera suffisant pour assurer une bonne récolte. De quoi faire encore grimper les cours mondiaux.
>>> Qu'est-ce que cela implique pour les betteraviers français ?
M. M. : Les betteraviers français devraient bénéficier mécaniquement d'une hausse des cours. Cependant, le groupe allemand Südzucker a abaissé ses prévisions de bénéfices cette semaine, en raison de prévisions de récoltes plus élevées dans l'Union européenne.
Toutefois, il est peu probable que ces récoltes plus abondantes dans l'UE aient un impact significatif sur le déficit de production mondiale, d'autant que la baisse des prévisions a été faite avant que le marché ne prenne conscience de l'ampleur des incendies brésiliens. Il n'y a donc pas de raison de s'inquiéter pour nos betteraviers. Quant aux consommateurs, si les prix de la matière première ont peu d'impact sur les produits transformés comme les boissons sucrées, les glaces ou les yaourts sucrés, en revanche, pour les produits peu transformés (dont le sucre de table), l'impact peut être bien plus fort. Le coût du sucre brut peut en effet représenter jusqu'à 70 % du prix de ce genre de produits. Cependant, et c'est également le cas du sel en poudre, les consommateurs ont tendance à en consommer beaucoup moins.