« Les agriculteurs seront-ils prêts à payer plus cher de l'eau recyclée et moins sûre d'un point de vue sanitaire ? », se demande Nassim Ait Mouheb, chercheur à l'Inrae au sein de l'UMR G-Eau, à Montpellier. La réponse paraît évidente.
Cependant, la puissance publique serait bien inspirée de subventionner cette « nouvelle eau ». D'autant qu'à l'avenir, les producteurs agricoles pourraient ne plus pouvoir irriguer qu'avec cela. Question d'éventuelle législation, mais aussi de sécheresses à répétition...
Passer à 10 % de recyclage d'ici 2030
Quoi qu'il en soit, la France, mauvaise élève en Europe en matière de réutilisation de l'eau (un concept qui prend désormais la forme du vocable anglais Reuse), a l'intention de se rattraper.
Avec une performance d'à peine 1 % d'eaux usées recyclées dans l'Hexagone, quand les Espagnols ou les Italiens atteignent des niveaux de 10 voire 15 %, le plan eau, lancé par le gouvernement français en mars 2023, entend passer l'utilisation d'eau recyclée à 10 % d'ici 2030. Et si cette vision englobe tous les usages, dont l'arrosage des espaces verts et le nettoyage de la voirie, les spécialistes se concentrent en particulier sur l'agriculture.
Les recherches, en ce qui concerne des pathogènes ou des résidus de médicaments qui seraient encore, malgré les traitements, dans des eaux usées réutilisées en agriculture, avec le danger potentiel de se retrouver ensuite dans les produits cultivés, vont bon train. À cela s'ajoute une autre question, celle de la salinité des sols recevant des eaux réutilisées, elle aussi travaillée.
« Pas d'eau magique »
Par ailleurs, relève Sami Bouarfa, directeur adjoint au département Aqua à l'Inrae, « il n'y a pas d'eau magique, pas de création d'eau ». Ce qu'il veut dire par là, c'est que les bonnes performances d'autres pays en matière de réutilisation d'eau – usées mais aussi de pluie – sont autant de volumes qui ne vont pas nourrir les nappes souterraines et affectent aussi les cours d'eau en les asséchant.
« En France, des eaux de pluie prennent certes le chemin de la mer et c'est perdu, mais d'autres volumes peuvent être considérés comme recyclés s'ils nourrissent les nappes souterraines et les rivières », dit-il. Une façon de relativiser quelque peu la contreperformance française.
Des stations d'épuration au mauvais endroit
Cependant, il est clair aussi que la France souffre de certains freins en matière de Reuse. Ainsi, nombre de stations d'épuration sont loin des zones qu'il faudrait arroser. Et entre le traitement des eaux et le transport, le processus revient cher.
En revanche, des investissements, sans doute plus récents ou plus volontaristes, en Espagne ou en Italie, permettent un recyclage plus efficace et plus rentable.
Agir face aux défis climatiques
Dans certains cas, de plus en plus nombreux, ce recyclage devient en tout cas absolument nécessaire. C'est vrai notamment pour le bassin méditerranéen. La région, au climat semi-aride et à la forte pression démographique, notamment en Afrique du Nord, doit répondre à une demande croissante en eau, en particulier dans les secteurs du tourisme et de l'agriculture.
Et bien sûr, le changement climatique augmente ces défis, avec des températures en hausse et moins de précipitations, entraînant des sécheresses plus fréquentes. « Dans ce contexte, les eaux usées apparaissent comme des ressources potentielles », fait valoir l'Inrae.
Retours d'expériences
Comment et dans quelles conditions peuvent-elles être recyclées et réutilisées fait l'objet d'une conférence, Reuse Euromed 2024, qui aura lieu du 29 au 31 octobre à Montpellier. Des experts français, européens et du pourtour méditerranéen offriront des réponses à ces questions et à bien d'autres. De même, des retours d'expériences, en France, en Italie et en Espagne, notamment, viendront enrichir les discussions.
Enfin, des visites sont prévues, sur la plateforme expérimentale de Reuse de Murviel-lès-Montpellier, le dispositif de Gruissan pour l'irrigation de la vigne et le projet de Béziers visant à irriguer un parc et nettoyer après des travaux de voiries.
Chercheurs, représentants de collectivités locales, d'entreprises et de start-up spécialisées dans les technologies de Reuse exploreront les moyens pour aller de l'avant et faire de l'eau un produit précieux, (presque) magique...
>>> Inscriptions à la conférence : http://server.matchmaking-studio.com/fr/REUSEEuroMed2024/