
Nicolas Boucan, technicien en pneu agricole : « Sur 100 prises de pression, entre 70 et 80 ne sont pas correctes. »
© Nicolas BoucanEn marge de notre entretien avec Nicolas Boucan, sur son métier de technicien industriel spécialisé dans le pneu agricole, nous l’avons questionné sur les mauvaises pratiques qu’il rencontre le plus souvent sur le terrain. Il nous parle également de l’évolution du marché du pneu agricole, sur son secteur autour de Vendôme, dans le Loir-et-Cher.
>>> Les clients sont-ils rigoureux sur les pressions dans l’ensemble ?
Nicolas Boucan : Tu touches un point très sensible. Je ne vais peut-être pas te surprendre, mais sur 100 prises de pression, entre 70 et 80 ne sont pas correctes ! Même les gars sérieux ne pensent pas à contrôler leurs pressions avant de partir travailler. Si je devais être cash, je dirais que c'est un véritable fléau.
Mention spéciale aux remorques (principalement à la moisson), où des pneumatiques censés être gonflés à au moins 7 bars (pour du 18R22.5 en usage agricole par exemple), se retrouvent à 4 ou 4,5 bars… Ou des 560/60R22.5, qui oscillent habituellement entre 3,2 et 4 bars selon les configurations, sont à 2 ou 2,2 bars. Une catastrophe qui se traduit par des dépannages qui auraient pu (dû ?) être évités.
>>> Y a-t-il des mauvaises pratiques que tu rencontres souvent ? Des choses récurrentes qui ont des conséquences sur les pneus ?
N. B. : Les mauvaises pressions, comme évoqué précédemment. Mais il y a aussi le transport à charge sur route avec une vitesse non adaptée, et je ne parle pas là d'ensembles avec des freins pneumatiques qui se voient accepter une vitesse plus élevée qu'à la normale. Je parle d'un ensemble lambda, un tracteur de 140 à 160 chevaux avec une remorque double essieux de 14 tonnes, par exemple, mais chargée à 110 % pour atteindre les 15 ou 15,5 tonnes, avec des pneus souvent mal usés et/ou mal gonflés.
Il y a aussi les tracteurs qui usent mal le pneu sur l'essieu avant à cause d'un défaut de parallélisme et/ou d'une rotule défectueuse. Des gars qui, à l'inverse de certains, ne dégonflent pas lors du labour par exemple et qui ont un taux de patinage élevé (manque d'adhérence), ce qui peut fortement endommager les pneus si le champ est composé de silex ou de pierres diverses.
>>> Comment évolue le marché du pneumatique en agricole ces dernières années ? Vois-tu des changements ?
N. B. : Le marché a beaucoup évolué (de même que la stratégie des manufacturiers) depuis 7 ou 8 ans, avec une accélération ces 4 dernières années. Il y a un véritable engouement pour des pneus au rapport qualité-prix imbattable. Je pense notamment à BKT qui se positionne clairement sur le segment du Kleber et du Firestone. Les marques typées « premium » ne séduisent plus trop sur mon secteur. Cela peut s’expliquer par des tarifs trop élevés, ou un service après-vente (garantie) pas toujours au rendez-vous. Dans cette catégorie de produit, la première monte est en légère hausse, quand le remplacement voit, lui, un recul (je parle ici au niveau mondial).
Concrètement, les agriculteurs n'hésitent plus à faire confiance à du pneu milieu de gamme. Selon les secteurs, ils vont au bout du bout (chez les éleveurs pour qui tout est un peu plus difficile, il faut le reconnaître), ou alors ils changent en temps et en heure (plutôt chez les céréaliers). Nous essayons d'apporter un maximum de choix en proposant une gamme diversifiée. Mais comme en 2020, 2021, 2022 et 2023, BKT semble (dans notre cas, sur la base de Vendôme) être prédestiné à devenir la marque leader en 2024 (en remplacement sur le secteur des roues motrices).
>>> Est-ce que tu vois des tendances aussi dans l’évolution du choix des dimensions ? En grandes cultures, en élevage, sur les tracteurs avec chargeurs, sur les moissonneuses ?
N. B. : Les dimensions sur les engins de récolte changent au fil des ans. Tantôt des pneus de 800, 900, voire 1.050 mm, puis des chenilles, car les pneumatiques sont en rupture de capacité de charge. Puis retour au pneu l'année dernière avec le nouveau Michelin Cerexbib 2 en 900/65R46, notamment présent sur la nouvelle New Holland CR11. Pour ce qui est des tracteurs avec chargeur, nous montons souvent du profil industriel, bien plus robuste et adapté au travail demandé pour ce type de tracteur.
>>> Que constates-tu du développement du télégonflage dans ton secteur ? Y a-t-il des freins à son développement et à son utilisation ?
N. B. : Sur mon secteur, le télégonflage n’est pas encore vraiment démocratisé. Nous avons quelques demandes, mais bien souvent nous conseillons au client de le faire monter par son concessionnaire afin d’ajouter un axe de négociation (lors d’un achat de matériel neuf). C’est un équipement assez onéreux : entre 3.500 et 4.000 euros pour les tracteurs déjà équipés d’un système de compresseur, jusqu'à 15.000 ou 20.000 euros pour des ensembles tracteur + remorque. C’est un système qui est rentable après 2.500 à 3.000 h d’utilisation environ.
Nous retrouvons souvent le télégonflage chez les entrepreneurs, certaines Cuma, ou dans les entreprises spécialisées dans l’épandage. Bien souvent, il apparaît sur des tracteurs de plus de 250 chevaux, ou alors sur de gros épandeurs automoteurs chaussés de pneumatiques imposants (1050/50R32 pour citer les plus courants).
Concernant l’utilisation, il n’y a pas de problème à signaler puisqu'il y a principalement (j’insiste bien sur ce mot) deux types de pression : route et champ (même si c’est bien plus compliqué que ça). Concrètement, l’utilisateur va gonfler sur route ou dégonfler pour le travail au champ en appuyant sur un bouton, la plupart du temps déjà programmé. Le principal avantage est qu’il permet une préservation des sols (il limite la compaction) et augmente la capacité de traction. Il apporte un côté efficient et améliore donc la productivité dans la mesure où il permet de travailler dans des conditions plus humides dès lors que l’on descend les pressions.
Dernier point non négligeable : il économise du carburant. Sur la route, une pression adéquate (entre 1,8 et 2 bars en général) permet de réduire la surface au sol et donc limite la résistance au roulement. Pour les freins à son développement, je dirais le tarif et aussi le côté « exposé » de certains montages avec leurs tuyaux sur le côté des roues. Une disposition que l’on peut facilement accrocher si l’on n'est pas vigilant. Certains systèmes sont directement dans l’essieu, comme ce que propose le fabricant PTG.