
Couramment utilisés sur les vins rouges, les bois œnologiques peuvent aussi s’appliquer sur les vins blancs auxquels ils apportent de la complexité sans pour autant les boiser.
© Tonnellerie VinaAutorisés depuis 2006, les copeaux, segments et autres staves ont démocratisé l’utilisation du bois lors de la vinification et de l'élevage des vins. Prisés pour le boisé qu’ils apportent aux vins rouges, c’est précisément cette caractéristique qui peut faire peur sur les vins blancs. « Il y a moins de vins blancs élevés avec des bois œnologiques, car les vignerons craignent souvent de casser la fraîcheur des blancs, constate Anouck Chapuzet-Varron, la directrice générale de la tonnellerie Vinéa. Pourtant, on peut tout à fait apporter les propriétés du bois sans avoir le côté grillé ou fumé. »
À rebours de ces craintes, fabricants et œnologues s’accordent sur le fait que ces bois révèlent la fraîcheur et le fruit des vins blancs. « Les bois peu ou pas chauffés apportent de la fraîcheur au niveau du nez et de la rondeur, de la sucrosité au niveau de la bouche », constate Marilyne Bouix, œnologue conseil chez Enosens. Son confrère Édouard Massie, de chez Œnoconseil, souligne que « tout dépend du profil que l’on recherche. Le bois frais, par exemple, ne marque pas. Il donne du gras, de la complexité, et entre en synergie avec le fruit ».
Choix de la chauffe
Plusieurs facteurs entrent en jeu pour obtenir un tel résultat. À commencer par le type de chauffe. Tandis que la torréfaction est propice aux arômes d’épices et de grillé, d’autres méthodes de cuisson font plutôt ressortir des notes florales, de la sucrosité ou de la rondeur.
La cuisson hydro de la tonnellerie Vinéa permet ainsi de développer des arômes floraux et sucrés. Préalablement à la cuisson, les lames de bois sont d’abord saturées de vapeur d’eau. Les pores se dilatent, se remplissent d’eau, ce qui permet de rincer les derniers tanins astringents. Puis vient la chauffe céramique. « L’eau étant plus conductrice que l’air, la cuisson se fait à cœur, avant que le bois ne commence à torréfier, décrit Anouck Chapuzet-Varron. De cette manière, on évite l’aspect grillé et on apporte de la fraîcheur et de la rondeur. »
La chauffe hydro de la tonnellerie Vinéa permet de développer des arômes floraux et sucrés sur les vins blancs.
La torréfaction n’est pas pour autant rédhibitoire sur les vins blancs. Comme pour les rouges, les œnologues et les fabricants proposent des « cocktails » alliant du bois frais et du bois chauffé dont les proportions s’adaptent aux cépages et aux profils recherchés. « Quand je travaille un vin blanc, je suis souvent sur 80 % de bois frais et 20 % de bois chauffé », précise Édouard Massie.
Les vignerons ont bien sûr la possibilité de faire leurs propres assemblages, mais Marilyne Bouix recommande « d’être accompagné dans le choix des bois et du dosage ». « Quand il s’agit de vins blancs, on peut facilement se retrouver avec du jus de bois, avertit l’œnologue. En vinification, j’utilise entre 0,5 g et 1,5 g par litre pour les vins blancs, tandis que les vins rouges varient entre 2 g et 5 g par litre. »
Choix du format
En ce qui concerne le format des bois, tout est une question de temps. Plus le segment est petit, moins le temps de contact aura besoin d’être long. Édouard Massie conseille quelques heures de contact lorsqu’il s’agit de granulats, entre un et deux mois quand ce sont des copeaux et quatre à six mois pour les staves. « Plus le bois est petit, plus le vin s’infuse rapidement, résume l’œnologue. Le choix du format va donc dépendre de plusieurs paramètres : ce que le client veut apporter et le temps dont il dispose. » Les vins blancs ayant une rotation plus rapide que les rouges et étant souvent destinés à être bus dans l’année, leur temps de contact aura tendance à être plus court.
La taille des bois influence le temps de contact avec le vin : plus ils sont petits, comme ces copeaux, plus le temps de contact nécessaire est court.
Le choix du format est également influencé par le moment auquel les bois œnologiques entrent en scène, durant la vinification ou l’élevage. Des copeaux introduits lors de la fermentation des vins blancs auront par exemple un effet curatif, gommeront la verdeur et apporteront des tanins. Anouck Chapuzet-Varron relève d’ailleurs que « l’un des atouts des bois œnologiques sur les vins blancs est de contribuer à les protéger de l’oxydation ». Édouard Massie, lui, met en avant « une synergie avec les moûts, les levures et les tanins du bois » lorsque celui-ci est inséré lors de la fermentation alcoolique. « Quand le boisage est fait après, on n’obtient jamais le même fondu, observe-t-il. Mais cela vaut autant pour les blancs que pour les rouges. »
Choix du cépage
Sans surprise, les bois œnologiques s’harmonisent particulièrement bien avec le chardonnay. Mais ils donnent aussi de beaux résultats sur le chenin, auquel ils apportent de la rondeur, au colombard, au sauvignon blanc, ou encore au sémillon. « Certains cépages s’y prêtent plus que d’autres, mais il n’y a aucune contre-indication, assure Séverine Cros, directrice de l’innovation chez Vivelys. Le but n’est pas d’écraser le cépage, mais au contraire de le complexifier tout en gardant sa typicité. » Selon Anouck Chapuzet-Varron, la pratique est également très intéressante sur les vins liquoreux, car elle « permet de garder de l’acidité et de contrebalancer les sucres résiduels ».
Convaincue que le « bois est le meilleur ami du vin », la fabricante insiste néanmoins sur l’importance de l’utiliser « avec parcimonie » : « Le bon bois est celui que l’on ne caractérise pas tout de suite. Si c’est la première chose que l’on remarque, alors on a échoué. »
Des rosés boisés
Directrice de l’innovation chez Vivelys, Séverine Cros observe que « le boisage des vins rosés est en train de se développer afin de travailler la stabilité et le fruit de ce que l’on peut appeler des "rosés de garde" ». Édouard Massie, œnologue chez Œnoconseil, a lui aussi remarqué cette nouvelle tendance : « Cela se fait essentiellement avec du bois frais pour créer une synergie avec le fruit, et non pour obtenir un côté boisé. »
Des bois œnologiques à la portée de tous
Autorisés sur les vins finis en 2006, puis sur les vins en fermentation en 2009, les bois œnologiques ont l’avantage de mettre les propriétés du bois à la portée de tous. « Mon père et d’autres acteurs de la filière ont commencé à développer ce produit dans les années 1990 lorsqu’ils se sont aperçus que seulement 3 % des vins pouvaient s’offrir une barrique, retrace Anouck Chapuzet-Varron, directrice générale de la tonnellerie Vinéa. Ils se sont dit que les autres méritaient eux aussi de s’offrir les attributs du bois, même si on n’égalera jamais un élevage en barrique, notamment sur la micro-oxygénation. »
Alors qu’une barrique de 225 litres coûte en moyenne 800 € HT, son équivalent en stave bois neuf est d’environ 60 € selon les fournisseurs. « Le prix moyen du vin était de 3,90 € par litre en 2019, souligne Anouck Chapuzet-Varron. À ce prix-là, ce n’est pas possible d’amortir le prix d’une barrique à 800 €. » Cet écart de prix considérable permet donc à des vins d’entrée ou de moyenne gamme d’utiliser certaines caractéristiques du bois pour agir sur leur structure, leur capacité de garde, leur mâche, leur couleur, et bien sûr leurs arômes. « Il ne rendra pas excellent un vin moyen, nuance la directrice de Vinéa. Mais c’est un outil de différenciation lorsqu’il est utilisé avec parcimonie et intelligence. »