>>> Les vins blancs produits dans le Médoc sont en grande majorité revendiqués sous l’appellation Bordeaux blanc. Pourquoi vouloir s'en émanciper ?
Hélène Larrieu : La première raison pour laquelle les vignerons ont demandé d’inclure les vins blancs dans le cahier des charges qui protège les vins du Médoc était de protéger des pratiques et un savoir-faire local qui ont une antériorité importante. Ils voulaient aussi faire reconnaître des qualités organoleptiques communes et spécifiques à une région, et donc une typicité hiérarchiquement supérieure à Bordeaux.
Ce besoin d’affirmer une identité commune a été clairement amplifié par la labellisation en 2019 de notre péninsule géographique en Parc naturel régional. Beaucoup ont réalisé que l’on pouvait faire des Bordeaux blancs partout, mais que du Médoc blanc, c’était autre chose.
>>> Le contexte économique a-t-il pesé dans cette démarche ?
H. L. : Ce n’est pas flagrant. Même si la demande actuelle des consommateurs rend les vignerons plus aptes à diversifier leur gamme, ils sont conscients qu’ils ne vont pas tout basculer en blanc. Il est clair que ce produit est un avantage, mais ils ne se disent pas “je vais m’en sortir en ne faisant que des blancs”. L’état d’esprit c’est plus “je me fais plaisir en faisant du vin blanc, ça me rappelle mon grand-père qui en faisait lui aussi, et en plus je réponds à une attente”.
>>> Néanmoins, comment les vignerons se préparent-ils à cette possible reconnaissance ?
H.L. : Quelques-uns l’anticipent parce qu’ils savent que nous travaillons dessus depuis 2020. Cela reste une dynamique raisonnée, raisonnable et qualitative car tous les terroirs ne sont pas aptes à produire des blancs, et chacun garde en tête qu’il faut produire ce que l’on est capable de vendre. Personne, même les grosses propriétés, n'est passé à 5 ha de cépages blancs. Il n’y a pas de grosse bascule.
Lire aussi : Dans le Médoc, le château Les Tuileries a réduit ses surfaces dès le début de la crise
La moyenne aujourd’hui est plus de l’ordre de 2 ha par exploitation, et la surface totale en blanc dans le Médoc est de 208 ha (sur un vignoble d’environ 5.500 ha, ndlr) dont 180 ha qui pourraient prétendre à la reconnaissance. Cela représente une production de 5.000 hl en 2023. En comparaison, elle était de 1.800 hl en 1969, et de 17.000 hl dans les années 30.
>>> Quels sont les principaux critères que vous avez mis en avant dans le cahier des charges soumis à l’INAO ?
H. L. : Nous n’avons pas touché à la délimitation géographique de l’appellation Médoc car elle a été dessinée il y a très longtemps, lorsqu’il y avait déjà des vignes blanches. En ce qui concerne les cépages, nous en avons une quarantaine qui sont plantés car les vignerons du Médoc ont toujours été très curieux. On trouve par exemple du chardonnay, du chenin et du gros manseng.
Mais pour des raisons administratives et de cohérence territoriale, nous avons choisi de rester sur les cépages du cahier des charges de l’appellation régionale. C’est-à-dire du sauvignon blanc et du sauvignon gris, du sémillon et de la muscadelle. Nous avons aussi les fameuses variétés d’intérêt à fin d’adaptation (VIFA) qui ont été intégrées dans la liste de Bordeaux : le floréal, le sauvignac, le souvignier gris, l’alvarinho et le liliorila.
>>> Qu’en est-il en de la vinification ?
H. L. : C’est là que nous allons plus loin que l'appellation Bordeaux. En faisant des dégustations à l’aveugle nous avons pu identifier des pratiques cruciales pour obtenir des vins blancs avec un profil médocain. La plus importante d'entre elles, c’est un passage en contenant de bois, quelle que soit sa taille. Cet élevage ne sert pas du tout à boiser les vins. Ici, la proximité de l’océan et de l’estuaire donne aux vins une salinité qui a besoin d’être portée par les tanins du bois. Sans eux, cette complexité aromatique ne tient pas, et les vins ne sont pas qualifiés de médocains.
Nous avons donc inscrit l’obligation d’élever les vins jusqu’au 31 mars – comme pour les rouges – avec un passage d’au moins 30 % du volume en contenant bois, sachant que certains font du 100 %. Ces vins blancs étant plutôt des vins de garde, nous nous sommes dirigés vers un conditionnement en verre afin d’éviter les risques d'oxydation.
>>> Quelles sont les prochaines étapes pour parvenir à la reconnaissance de l’AOC Médoc Blanc ?
H. L. : Nous avons déposé notre dossier auprès de l’INAO fin 2023, et une commission d’enquête est venue en juillet dernier, à la suite de quoi nous avons apporté un certain nombre de précisions. Nous attendons maintenant le passage devant le comité national de l’INAO. Puis il y aura un vote, et selon le résultat, un décret signé par le ministère de l’agriculture. Nous imaginons que notre cahier des charges pourrait être validé courant 2025.
Propos recueillis par Fanny Laison
Quels marchés pour une appellation Médoc blanc ?
La production de vin blanc produit en Médoc étant aujourd’hui d’environ 5.000 hl, il n'occupe pas un marché clairement identifié. “Les circuits de vente sont très variables d’un château à l’autre, indique Hélène Larrieu. Certains vendent directement à la propriété tandis que les grandes maisons ont des marchés préférentiels qui passent directement par la place.”
Dans tous les cas, ce produit bénéficie d’une bonne valorisation, pour une grande partie entre 13 € et 25 €, et jusqu’à 31 € la bouteille. “L’objectif avec cette reconnaissance c’est aussi de maintenir, voire d’améliorer cette valorisation, ajoute la directrice de l’ODG. En apportant au consommateur l’assurance que les raisins viennent du Médoc et que les pratiques vont plus loin que du bordeaux. Ce qui justifie un positionnement premium.”
>>> À lire aussi : Les vins blancs de l’Entre-deux-Mers veulent changer de style