
Environ 2 000 travailleurs sont employés dans le Libournais (Gironde) au moment des vendanges. Et chaque année, la même question se pose : comment les loger ? Pour y répondre, des initiatives émergent, comme la maison des saisonniers de Libourne ou les logements proposés par le prestataire Banton Lauret.
L’affiche collée sur la porte d’entrée, une paire de bottes pleines de boue et barrée d’un trait rouge, ne laisse pas de place au doute. Nous sommes bien à la résidence hôtelière Le Prado. Installée à Libourne, en Gironde, elle est plus communément appelée la « maison des saisonniers ». Voilà un an que cette résidence hôtelière à vocation sociale a ouvert ses portes pour loger des travailleurs de la vigne, de l’hôtellerie-restauration, en formation professionnelle, ou des personnes ayant besoin d’un hébergement d’urgence.
87 studios de 18 m2 à 27 m2 sont aménagés, entièrement équipés et meublés : kitchenette, salle de bains, toilettes, placard, télé, ceintres... Certains sont individuels, d’autres partagés, ce qui porte à 146 le nombre de places disponibles. « Pour un studio partagé, si la personne est éligible à l’aide au logement et reste au moins un mois, le tarif le plus bas c’est 14 € la nuit », calcule Frédéric Masrevery, le directeur. Une laverie à tarification sociale, une grande salle de vie et une terrasse complètent ce bâtiment de quatre étages.
5 millions d’euros de budget
Aujourd’hui gérée par l’association Le Prado, la résidence a d’abord été un projet porté par trois collectivités du territoire : la communauté d’agglomération du Libournais, ainsi que les intercommunalités du Fronsadais et du Grand Saint-Émilionnais. « Quand je suis devenu maire de Libourne, j’ai dû faire évacuer un squat où vivaient des saisonniers parce qu’il y avait eu un départ de feu, se souvient Philippe Buisson. Cela avait provoqué beaucoup d’émotions. C’est à ce moment-là que nous avons fait la promesse d’essayer de faire naître une maison des saisonniers. »
Entre l'étude pour cibler les besoins, le choix d’un porteur de projet, la recherche de financements, d’un terrain et la construction, il aura fallu plus de dix ans et 5 millions d’euros pour que les logements sortent de terre. « Nous étions très attendus, se souvient Frédéric Masrevery. C’est un projet qui a impliqué de nombreux partenaires : les trois collectivités, le Département, l’État, Action logement, les prestataires viticoles, Pôle emploi, les services sociaux... »
Un problème loin d’être réglé
Après un an d’ouverture, le taux d’occupation est supérieur aux prévisions et les saisonniers ont représenté 10 000 nuitées. L’année dernière, pour ses premières vendanges, la résidence n’a pas pu répondre à toutes les demandes. Le succès est bien là, mais le problème du logement dans le Libournais reste (presque) entier. « Nous avons modélisé une réponse et c’est maintenant au reste du territoire de se l’approprier et de faire émerger d’autres solutions », juge Philippe Buisson.
C’est ce qu’a commencé à faire Banton Lauret. Le prestataire viticole a acheté et rénové trois maisons afin d’y loger ses salariés temporaires et prévoit d’en acquérir trois autres l’année prochaine. « Notre objectif, c’est de pouvoir loger entre 100 et 150 personnes d’ici fin 2024, annonce Benjamin Banton, le cogérant. Deux maisons sont déjà en service et sont actuellement habitées par une trentaine de saisonniers. » Chambres, cuisine équipée, laverie, draps, vaisselle, ils disposent même d’un barbecue et d’un terrain de pétanque.
Loger pour mieux recruter
L’opération a un coût conséquent : entre 1,5 et 2 millions d’euros. Mais elle est stratégique pour l’entreprise, qui emploie entre 1 000 et 1 200 travailleurs temporaires pendant les vendanges, entre 700 et 900 de la mi-avril aux vendanges et entre 250 et 300 durant l’hiver. Faute de main-d'œuvre locale, beaucoup de saisonniers sont étrangers, venus d’Europe et d’Afrique du Nord. Il faut donc les aider à se loger.
« Cela facilite le recrutement, observe Benjamin Banton. Je pense que si l'on ne le faisait pas, on aurait 300 personnes en moins. » Camping, maison des saisonniers, gîtes, Banton Lauret s'appuyait principalement sur l’offre d'hébergement locale : « Mais pour ceux qui restent de mai jusqu’à la fin des vendanges, ce n’est pas confortable de vivre pendant cinq mois dans un bungalow de camping, c’est pour cela que nous avons décidé d’investir dans des logements. C’est un peu comme si on revenait 50 ans en arrière, lorsque les châteaux logeaient leurs salariés. »
Tarifs de prestation en hausse
En offrant un hébergement de qualité, le prestataire espère aussi fidéliser ces salariés itinérants. « Pour avoir un travail de qualité, il faut les former, et il est donc dans notre intérêt qu’ils reviennent les années suivantes », explique le cogérant. C’est d'ailleurs l’un des arguments avancés auprès des clients pour leur faire accepter une augmentation des tarifs de prestation. Les châteaux doivent en effet participer au logement à hauteur de 10 € par nuit et par salarié. La participation des employés, elle, est de 8 € par nuit. « Nous avons dû échanger avec nos partenaires pour leur expliquer notre démarche, certains sont partis, reconnaît Benjamin Banton. La majorité, consciente de la problématique et attentive à une prestation de qualité, a compris que cela nécessitait un investissement commun. »
Mais pour parvenir à régler, à son échelle, le problème du logement, Banton Lauret estime qu’une partie de la solution est à trouver du côté des recrutements locaux. « Nous aimerions arriver à embaucher plus de personnes du territoire et ne plus avoir à recruter que 150 personnes venues d’ailleurs », expose Benjamin Banton. Pour ce faire, l’Académie Banton Lauret devrait voir le jour en 2024. Une académie dont la mission sera de former aux travaux de la vigne et de réconcilier la population locale avec un métier mal-aimé.
Deux ans, c’est l’échéance que se donne Philippe Buisson, le maire de Libourne et président de la communauté d’agglomération du Libournais, pour que le problème du logement dans ce territoire soit « en grande partie » réglé. « La mairie, les collectivités, nous sommes prêts à contribuer à nouveau, assure l’élu, appelant à des états généraux à l’échelle du bassin viticole. Mais il faut que toute la profession prenne à bras-le-corps ce problème. Elle a fait sa mue sur les questions environnementales, mais elle ne l’a pas encore faite sur les questions sociales. » Dans la ligne de mire de celui qui se qualifie de « pro-viticulture » : les grands châteaux. Particulièrement gourmands en travaux manuels, ils doivent, selon lui, accepter de prendre en charge une partie du coût de l’hébergement. « On ne peut pas faire la promotion de nos vins prestigieux et en même temps accepter des conditions de logement insalubres, estime Philippe Buisson, tout juste revenu de Vinexpo Asia. La viticulture ne peut pas être complice de traitements indignes. »