L'étude du microbiote de la vigne pourrait faciliter un diagnostic précoce « d’entrée en dépérissement »

Sophie Trouvelot, chercheuse à l’institut universitaire de la vigne et du vin (IUVV) de Dijon travaille dans le cadre du projet Holoviti sur l’holobionte vigne. En comparant des vigne saines et des vignes atteintes de dépérissement, Holoviti vise à mettre au point des bioindicateurs dont le suivi permettrait de prédire l'entrée en dépérissement de la vigne.

L’holobionte est constitué de la vigne et de son microbiote, présent au niveau des racines, des feuilles ou des baies.

© Sophie Trouvelot

Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est l’holobionte de la vigne ?

L’holobionte est un concept d’abord défini en santé humaine : l’idée est que chaque organisme vivant, qu’il soit humain, animal ou plante n’est pas un individu aseptisé, mais qui vit et interagit avec des bactéries, des virus, etc.
Il faut ainsi voir la vigne comme un super-organisme, qui possède son génome et l’ensemble des génomes des micro-organismes avec qui il est associé.

Si on fait le parallèle avec l’humain, il est désormais établi que le microbiote intestinal a un rôle clé dans l’immunité et que son dérèglement entraine des dysbioses qui aboutissent à certaines pathologies comme le diabète, l’obésité ou certaines formes d’autisme.

Dans le contexte de la vigne, il y a un parallèle à effectuer, notamment avec le microbiote racinaire : le végétal sélectionne surtout à partir du sol des endophytes, bactéries, champignons ou virus, dont une partie va ensuite remonter par la sève jusqu’aux parties aériennes (feuilles, rameaux et baies). Un certain enrichissement est aussi possible par voie atmosphérique, mais il est minime par rapport à cette voie racinaire.

L’holobionte est constitué de la vigne et de son microbiote. Donc pour comprendre le fonctionnement de la vigne, on doit considérer l’ensemble des fonctions rendues par ce microbiote au sein du végétal. Certaines fonctions peuvent être liées à une meilleure réponse/résilience à certains stress biotiques comme abiotiques. En laboratoire, lorsque la vigne est soumise à un stress hydrique, la composition des exsudats relargués par les racines dans le sol est modifiée. Ainsi, différents micro-organismes seront attirés puis recrutés au niveau de la rhizosphère, dont certains auront des fonctions qui lui permettront d’être plus résiliente face au stress subi.

Un pied de vigne est associé avec des micro-organismes bénéfiques, pathogènes ou neutres, formant ainsi l’holobionte vigne.

© Sophie Trouvelot

Quel était le but du projet Holoviti ?

Mené de 2019 à 2023 dans le cadre du PNDV, le projet Holoviti a eu pour objectif de fournir des bioindicateurs (végétaux et microbiens) liés à certains dépérissements. L’idée était qu’une vigne atteinte de dépérissement pouvait avoir un holobionte perturbé. Nous avons, avec Pierre-Emmanuel Courty (INRAE Dijon), comparé la composition de l’holobionte de vignes « asymptomatiques » et « symptomatiques » de dépérissements pour différents compartiments du végétal (racines, vieux bois, rameaux et feuilles).

Pour cela nous n’avons pas seulement regardé quelles espèces de champignons, virus ou bactéries étaient présentes, mais travaillé également à l’échelle des gènes (végétaux et microbiens), et plus exactement au niveau de leur expression. Pour ce faire, nous avons effectué un séquençage des ARN afin de mettre en évidence les possibles modifications de fonctions clés, comme par exemple celles liées à la nutrition de la vigne (ex. gènes codant pour des protéines impliquées dans le transport de l’azote ou pour des enzymes de la voie de biosynthèse des acides aminés) et la défense de la vigne (ex. production de certains composés phénoliques/métabolites).

Nous avons étudié sur différentes parcelles des « couples » de ceps, composé d’un cep « asymptomatique » présentant une croissance et un développement normaux, et d’un cep « symptomatique », présentant une pathologie ou un dépérissement tel que l’esca, le court-noué ou associé au porte-greffe 161-49C.

Dans le cadre du projet Holoviti, les chercheurs ont comparé la composition de l’holobionte de vignes « asymptomatiques » et « symptomatiques » de dépérissements (ici au niveau des racines).

© Sophie Trouvelot

Cette approche par séquençage de l’ARN, couplée à d’autres approches (métabolomique et cytologique notamment), nous a permis d’identifier les fonctions affectées en situation de dépérissement ainsi que les phénotypes associés.

Quels sont les premiers résultats du projet Holoviti ?

Quand un cep dépérit, on constate un changement de certains indicateurs végétaux (métaboliques en particulier) et microbiens. L’analyse des métadonnées n’est pas totalement terminée, mais à ce stade il semblerait que ces indicateurs soient « dépérissement dépendant » : ils sont différents selon le type de dépérissement considéré. Idéalement, nous souhaiterions être en capacité d’établir un diagnostic précoce « d’entrée en dépérissement » pour les 3 dépérissements étudiés :

  • maladies du bois (esca et dépérissement à Botryosphaeriaceae),
  • court-noué
  • dépérissement associé au porte-greffe 161-49C.

"Nous souhaiterions être en capacité d’établir un diagnostic précoce « d’entrée en dépérissement »", explique Sophie Trouvelot.

© Sophie Trouvelot

Cependant, nos travaux ont été menés sur des parcelles atteintes (expressives) de dépérissement. Il va désormais falloir vérifier si ces bioindicateurs de dépérissement sont valables avant l’apparition des symptômes. Les objectifs sont de définir des indicateurs prédictifs et d’identifier les pratiques au vignoble (couverts, agroforesterie, travail du sol, agriculture bio/conventionnelle, biocontrôle, etc), favorables ou défavorables à la santé du végétal.

Nous cherchons également à décrire les populations microbiennes clés que l’on retrouve systématiquement liées au fonctionnement optimal des ceps (microbiote dit « de cœur » ou « core microbiote »). Notre idée est de préconiser, avant qu’un dysfonctionnement ne soit observé ou au plus proche de son établissement, des pratiques qui pourraient être mises en place pour conserver et/ou favoriser ces micro-organismes d’intérêt.

 

L’enrichissement du sol en micro-organismes permet -il de renforcer l’holobionte ?

Il est pour l’instant difficile de répondre. À l’échelle de la rhizosphère, le recrutement des micro-organismes par la plante s’effectue à faible distance (zone de perception des exsudats racinaires), et concerne donc un faible volume de sol, de quelques millimètres autour des racines.

Lors de nos travaux, nous avons mis en avant que la diversité des espèces présentes dans un sol ne préjuge pas de la diversité des espèces associées avec le végétal, et notamment avec les racines. Un pied de vigne est associé avec des micro-organismes bénéfiques, pathogènes ou neutres, formant ainsi l’holobionte vigne.

L’ajout de micro-organismes bénéfiques exogènes (ex : inocula fongiques ou bactériens) ou l’enrichissement du sol en micro-organismes bénéfiques via une pratique comme la mise en place de couverts végétaux, permet d’augmenter la biodiversité présente dans le réservoir sol et donc d’augmenter la probabilité que certains micro-organismes bénéfiques soient recrutés par la vigne.

Cependant, il faut également bien distinguer les micro-organismes nécessaires au fonctionnement du sol comme ceux impliqués dans les processus de minéralisation de la matière organique, de ceux appartenant à l’holobionte vigne (souvent endophytiques), qui sont différents tant en termes d’espèces que de fonctions rendues à l’agro-écosystème.

Quelles perspectives ouvrent ces travaux, à la fois en recherche fondamentale et appliquée ?

Dans les dernières études menées sur cette thématique, l’importance de l’échelle ressort de plus en plus. On se rend compte qu’un champignon par exemple est lui-même un holobionte, et contient dans ses hyphes des mycovirus et des endo-bactéries, qui sont différents d’un champignon à l’autre au sein d’une même espèce. Cela explique pourquoi au sein d’une même espèce, on peut voir différents isolats, présentant des caractéristiques différentes.

Dans le cadre du projet Mycovir (projet PNDV porté par l’UMR Save - Inrae de Bordeaux), des collègues ont notamment montré l’importance des mycovirus dans la modulation de l'agressivité des champignons de type Botryosphaeriaceae, associés aux maladies du bois de la vigne. Il en va de même pour des virus (bactériophages), qui peuvent moduler les fonctions de certaines bactéries environnementales.

La prise en compte de l’holobionte ouvre ainsi de nouvelles recherches. Par exemple, nous nous posons des questions sur comment se structure l’holobionte avant plantation au vignoble (ex. préparation des greffés-soudés, élevage en pépinière).

Chez l’homme, l’immunité d’un enfant né par voie basse est supérieure à celle d’un enfant né par césarienne, en raison de l’enrichissement de son microbiote par celui de sa mère (lors du passage par voie basse). L’immunité est bien sûr différente pour les végétaux, mais cela conduit à des questions qu’il est fondamental de se poser pour mieux appréhender la santé du végétal dans son agro-écosystème et être en capacité de préconiser des pratiques agroécologiques depuis la pépinière jusqu’aux vignerons, gageant de la pérennité du vignoble.

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